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« Le suivi de la motivation des salariés constitue le cœur des missions RH »

Enjeux | publié le : 22.10.2013 | PAULINE RABILLOUX

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« Le suivi de la motivation des salariés constitue le cœur des missions RH »

Crédit photo PAULINE RABILLOUX

Victimes de conditions de travail stressantes, les salariés en burn-out sont parfois à l’origine d’agressions, tant à l’égard de leurs collègues que des clients de l’entreprise, voire de l’organisation elle-même. Prévenir ces dérives est au centre du travail du responsable RH.

E. & C. :En quoi le burn-out, symptôme individuel, concerne-t-il le service RH ?

Jean-Pierre Neveu : Le burn-out, syndrome dépressif lié à l’expérience de travail, se décline d’un point de vue psychologique selon une panoplie de symptômes : fatigue, effondrement émotionnel, lassitude cognitive, émotions négatives, insomnies… En tant que responsable RH, mon problème est d’identifier les circonstances d’apparition du burn-out en milieu professionnel afin d’en prévenir l’occurrence. Identification et prévention sont liées car, d’un point de vue gestionnaire, quand le symptôme apparaît dans l’organisation, il est déjà d’une certaine manière trop tard. Une mauvaise allocation de ressources est à incriminer, et l’entreprise n’a pas vu venir le problème. On peut assimiler cela à une erreur de gestion RH, puisque la dimension humaine n’a pas été suffisamment prise en compte.

E. & C. :Quelles sont les manifestations du burn-out sur le lieu de travail ?

J.-P. N. : Chacun ne réagit pas forcément de manière identique face au stress. La perception et l’interprétation subjective des facteurs de stress sont influencées par les perceptions et les traits de personnalité des individus. D’une manière générale cependant, l’épuisement tend à diminuer les ressources énergétiques – “motivationnelles” – d’une personne et à favoriser l’absence de réactions, voire la passivité. Mais, puisque la perturbation du bien-être engendrée par les éléments stresseurs provoque une émotion négative, l’individu en burn-out peut réagir par des périodes ou des accès d’agressivité envers les différents interlocuteurs professionnels, voire envers l’organisation elle-même, tenue pour responsable de facteurs de travail anxiogènes. Animés par la volonté de restaurer un certain contrôle, les individus ont alors des comportements négatifs dont le but est de nuire à la performance de l’entreprise, comportements souvent cachés et pernicieux pour éviter les sanctions, mais se manifestant aussi quelquefois par des éclats. Au-delà de l’aspect de souffrance individuelle, le burn-out peut donc aussi se révéler toxique, voire dangereux pour le collectif, pour les clients, pour l’image et les intérêts de l’entreprise.

E. & C. :Quelles sont les situations générant du stress ; et quand le moment de bascule survient-il ?

J.-P. N. : Outre le contrat de travail qui lie le salarié à son employeur, il existe aussi un contrat psychologique implicite essentiel au bon déroulement de la relation de travail. On peut donc dire qu’une personne bascule dans un sentiment de malaise quand ce qui la motivait pour aller travailler est nié ou mis en péril du fait de l’entreprise ou du fait de changements intervenus dans la vie personnelle du salarié : mariage, enfants, problèmes divers, évolution dans les priorités… La motivation du salarié peut ainsi être bousculée par rapport à quatre grands types de situations. Lorsque des changements matériels tangibles rendent le poste moins attractif – par exemple l’attachement des commerciaux à la voiture mise à leur disposition – ; lorsque l’estime de soi et le sentiment d’auto–efficacité dans le job sont remis en cause – entre autres, quand on se sent “débordé” par la tâche ou quand l’implication au travail n’est pas reconnue par la hiérarchie – ; lorsque les ressources interpersonnelles et l’équilibre entre vie au travail et vie hors travail ne fonctionnent plus bien ; lorsque le salarié perd le sentiment d’apprendre et de progresser. Dans ces quatre cas, les contraintes de l’emploi peuvent progressivement ou tout à coup apparaître insupportables, entraînant un effet de désillusion et de démotivation qui rend la situation encore plus éprouvante. Après, tout dépend des réponses apportées au problème par l’employeur.

E. & C. :Justement, peut-on anticiper le burn-out agressif ?

J.-P. N. : Ce n’est pas seulement qu’on le peut, mais surtout qu’on le doit. Le burn-out est le signe d’un échec patent du management RH. Comme si l’entreprise se réveillait trop tard. Comme si elle avait failli dans sa perception d’une réalité qui “ne tournait pas rond” pour un ou des salariés, ou elle était tellement tétanisée par le problème qu’elle n’avait pas su mettre en œuvre les solutions qui s’imposaient. Or le suivi “motivationnel” des salariés constitue le cœur même des missions RH. On touche là à la fonction stratégique des RH : une entreprise qui ne sait pas gérer ce capital humain court, à terme, à sa ruine et, à ce niveau, aucune n’est too big to fail. Il y va à la fois de sa capacité à attirer les talents et de sa capacité à mobiliser les dynamiques de travail de ses salariés.

E. & C. :Comment faire, concrètement, pour mettre l’organisation à l’abri ?

J.-P. N. : La réponse tient en trois temps : recrutement, suivi, formation et, surtout, la cohérence entre ceux-ci. Le recrutement doit être la base d’une bonne connaissance des salariés. À ce niveau – sauf dans des cas très spécifiques – je suis hostile à son externalisation. Cela revient à déléguer à des personnes non concernées la relation employeur-employé, au cœur de la dynamique de coopération présente et future. Si l’on veut que le salarié s’implique dans son travail, il faut qu’il se plaise là où il est, car chaque poste a sa propre gamme de motivations.

Une fois la relation de départ correctement définie, il reste à en assurer le suivi, car les motivations évoluent. Logiquement, l’entretien d’évaluation est là pour ça, à condition toutefois qu’il ne se réduise pas à juger le salarié sur ses résultats et à lui en fixer d’autres.

Enfin, la formation doit se caler sur le vécu et les attentes des personnes : ce n’est pas une liste de Noël sur laquelle chacun peut choisir son cadeau dans la limite des stocks disponibles. La formation est un relais entre le plan de l’entreprise – encore faut-il qu’elle en ait un – et les attentes des salariés. Elle concerne tous les niveaux hiérarchiques.

Si l’on ajoute à ce triptyque des audits sociaux spécifiques et réguliers pour mesurer précisément le climat social, et un vrai coaching des dirigeants – dont les DRH –, souvent débordés par leurs responsabilités, on n’est pas loin de tenir l’ensemble des solutions pour prévenir le risque de burn-out et préserver les organisations de l’éventuelle agressivité de leurs salariés.

PARCOURS

• Jean-Pierre Neveu est professeur de GRH à l’IAE de l’université de Montpellier 2. Docteur en sciences de gestion et titulaire d’un master of labor & industrial relations de la Michigan State University (États-Unis).

• Il est coauteur, avec Narjes Sassi, d’un chapitre intitulé “L’agressivité au travail comme conséquence du burn-out, un modèle théorique”, dans l’ouvrage Épuisement professionnel (Armand Colin, juillet 2013).

LECTURES

• Risques psychosociaux, santé et sécurité au travail : une perspective managériale, E. Abord de Chatillon, O. Bachelard et S. Carpentier, Vuibert, 2012.

• Le Stress des enseignants, L. Janot-Bergugnat et N. Rascle, Armand Colin, 2008.

Auteur

  • PAULINE RABILLOUX