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Les espaces d’expression peinent à émerger

Pratiques | publié le : 03.12.2013 | ROZENN LE SAINT

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Les espaces d’expression peinent à émerger

Crédit photo ROZENN LE SAINT

Plébiscités par les salariés, les temps dédiés au dialogue sur le travail sont rarement formalisés dans les entreprises. Régularité des rendez-vous, animateurs formés… Les conditions de la réussite doivent être posées.

Un salarié sur cinq seulement bénéficie d’espaces de dialogue sur le travail dans son entreprise. Le sondage de l’institut CSA, dévoilé dans le n° 1162 d’Entreprise & Carrières, réalisé en septembre 2013, montre aussi que dans 44 % des cas, les échanges sont impulsés par les salariés eux-mêmes. « Ils ne demandent pas de pouvoir parler de leur stress, de leur mal-être avec un psychologue, une assistante sociale… Mais de pouvoir parler de leur travail avec les individus avec lesquels ils l’exercent […], leurs collègues et managers », selon Mathieu Detchessahar, directeur du centre de recherche en gestion de Nantes-Atlantique (université de Nantes).

Justement, l’ANI sur la qualité de vie au travail, conclu le 19 juin 2013, insiste sur le droit d’expression des salariés. Les entreprises sont incitées (mais non obligées) à développer des espaces de discussion dans les services, en présence d’un référent métier ou d’un ­facilitateur. Toutefois, si le sondage CSA souligne le lien entre la possibilité d’échanger sur son travail et la qualité de vie en entreprise, il révèle également que, dans 45 % des cas, les salariés interrogés considèrent que le fait de parler du travail ne permet pas de l’améliorer. « Le seul fait d’ouvrir des espaces de dialogue est donc nécessaire pour améliorer la qualité de vie au travail, mais clairement insuffisant », déduit l’institut. Pour que ces espaces fonctionnent, un cadre est requis. Avec, en premier lieu, une personne compétente pour les animer.

La Banque populaire Atlantique a spécialement formé pendant deux jours une quinzaine d’animateurs d’“ateliers de codéveloppement”. Depuis 2011, deux fois par an, ils coordonnent des groupes de discussion entre managers le temps d’une journée. « Les managers nous ont fait remonter leur volonté de partager également leurs succès lors de ces ateliers, en plus de leurs difficultés, de manière à développer le partage de bonnes pratiques », témoigne Anne-Claire Perin, DRH de la Banque populaire Atlantique, elle-même animatrice de ces ateliers. Or, cette fonction ne devrait pas incomber aux RH, « perçues comme la police de l’entreprise », selon Bruno Lefebvre, psychologue clinicien, fondateur d’AlterAlliance, cabinet spécialisé dans la prévention des risques psychosociaux (RPS). « Il faut avoir recours à une personne en interne, formée, perçue comme légitime par les collaborateurs, ou bien à un consultant extérieur qui soit capable de comprendre et d’agir aussi bien au niveau des vécus individuels que des difficultés organisationnelles », estime-t-il.

Xavier Alas-Luquetas, directeur du cabinet de management et de prévention des RPS Éléas, anime ce type d’espaces d’expression entre managers depuis sept ans, « avec une montée en puissance de la demande des entreprises, liée à la problématique des réorganisations et des PSE ». Selon Bruno Lefebvre, « pour que ces espaces d’expression ne ressemblent pas à des réunions de managers anonymes, il faut être sûr que la direction les utilise aussi afin d’identifier des enseignements sur l’organisation ». Et que, selon Xavier Alas-Luquetas, « un régulateur extérieur garantisse que les choses peuvent être dites sans risque. Les managers ne sont pas là pour se plaindre mais pour réfléchir ensemble à mieux servir l’organisation. »

Autre condition de réussite de ces espaces : les rendez-vous doivent s’inscrire dans le temps avec une certaine régularité. Un rythme mensuel peut convenir pour un atelier dédié aux RPS, une réunion tous les deux ou trois mois suffirait pour ceux dédiés à la charge de travail par exemple. Le directeur d’Éléas vient justement d’en animer un sur cette problématique « dans une démarche d’échanges de bonnes pratiques, sur des questions telles que : comment faire plus avec moins de moyens ? Comment gérer les situations dans lesquelles les collaborateurs sont en difficulté et s’isolent ? », indique-t-il.

Le cabinet d’avocats Fidal, qui compte 2 300 salariés répartis dans 90 bureaux en France, est adepte des espaces d’expression pour ses managers depuis deux ans. « Notre organisation, décentralisée, ne favorise pas les échanges entre managers. De plus, la formation initiale des avocats ne prévoit pas une sensibilisation au management alors qu’il leur est de plus en plus demandé de travailler en équipe », indique Carole Chatelain, DRH du cabinet. Avec la pression des clients, « les avocats se retrouvaient parfois démunis face à des situations managériales complexes. Ils étaient soucieux de détecter plus en amont des comportements à risques. Nous avons souhaité sensibiliser l’encadrement au stress au travail et lui apprendre à mieux communiquer », témoigne-t-elle.

Libérer la parole

Pour inciter les avocats à se livrer, ils sont regroupés par huit, toute la journée, non pas par région, mais par niveau de fonction. « Au début, les avocats restaient réservés et ont dû apprendre à libérer leur parole face à leurs pairs. Une fois qu’ils ont compris que leurs échanges resteraient confidentiels, ils se sont confiés sur des situations délicates. Depuis, certains continuent à se concerter de manière informelle sur des problématiques managériales rencontrées », assure la DRH de Fidal. Ces espaces d’expression ont permis à Fidal de déceler un manque de formation en management de ces avocats, auquel le cabinet va pallier.

Communication de proximité

Même si, dans la majorité des cas, les espaces d’expression sont prévus pour les managers, ils ne leur sont pas réservés. L’entreprise de certification SGS, elle, a lancé des « causeries » en 2008, pour l’ensemble de ses 2700 salariés en France, mais uniquement dédiées à la sécurité dans l’entreprise. Elles sont menées par les managers de terrain, « qui vivent les mêmes choses au quotidien, ce qui ne serait pas le cas avec un intervenant extérieur », indique Gilles Cayzac, responsable de l’intégrité opérationnelle. « C’est un outil de communication de proximité, participatif et non directionnel avec une seule personne qui détient la vérité, explique-t-il. Il y a des causeries planifiées sur des thèmes de prévention, pour lesquels nous souhaitons que les équipes mènent une réflexion et des causeries d’opportunité, à la suite d’un incident. Dans ce cas, elles deviennent un outil d’action corrective. »

Pour la DRH de la Banque populaire Atlantique, « l’objectif à poursuivre est que les managers s’approprient davantage cet outil en utilisant cette technique de codéveloppement dans l’animation de leurs équipes. »

L’ESSENTIEL

1 Seuls 18 % des salariés estiment que des espaces de dialogue réguliers sur le travail existent dans leur société.

2 L’ANI du 19 juin 2013 invite les entreprises à développer des espaces de discussion dans les services en présence d’un référent métier ou d’un facilitateur.

3 Pour être efficaces, il faut qu’ils soient animés par des personnes formées, perçues comme loyales et qui amènent les discussions à une réflexion constructive de recherche de solutions.

Auteur

  • ROZENN LE SAINT