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Un accord pour une rupture historique

Actualités | publié le : 24.12.2013 | LAURENT GÉRARD, VALÉRIE GRASSET-MOREL

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Un accord pour une rupture historique

Crédit photo LAURENT GÉRARD, VALÉRIE GRASSET-MOREL

Fin du 0,9 % plan de formation, création du compte personnel de formation : le projet Medef, UPA, CFDT, CFE-CGC, CFTC, FO de réforme de la formation porte en lui une logique de rupture.

Où va le modèle français de la formation continue ? Pour le ministre du Travail Michel Sapin, c’est clair : « C’est sur la base du projet d’accord national interprofessionnel qu’un projet de loi sera préparé en vue d’une présentation au Conseil des ministres le 22 janvier prochain et d’un examen au Parlement en février 2014 », a –t-il déclaré le 18 décembre en Conseil des ministres.

Ce projet de loi comprendra différents volets : l’un consacré à l’apprentissage et à la formation professionnelle, « qui traduira de façon loyale les termes de l’accord national interprofessionnel, et viendra préciser le rôle de chacun des acteurs de la formation professionnelle dans le cadre de la réforme » ; l’autre consacré à la démocratie sociale, dont l’objet est notamment la distinction du financement de la formation de celui du financement des organisations patronales et syndicales; enfin, un volet “inspection-contrôle” renforçant les pouvoirs de l’inspection du travail et des services de contrôle de la formation professionnelle.

Une réforme de justice, selon le ministre

Dès le 14 décembre, le ministère du Travail a fait une présentation du projet d’accord conclu dans la nuit du 13 au 14 ! Il estime qu’il porte en lui « une réforme de justice, car près de 50 % de financements supplémentaires, soit 300 millions d’euros, sont pris sur les fonds des entreprises via le FPSPP pour former les demandeurs d’emploi », ce qui aboutit à une somme de 900 millions d’euros. Il calcule également que les financements pour les formations qualifiantes (via CIF, CPF – compte personnel de formation – et contrats de professionnalisation) passeront de 1,8 à 3,1 milliards d’euros. Enfin, il estime que les fonds pour les entreprises de moins de 10 salariés passeront de 390 à 620 millions d’euros, grâce au versement de 20 % des fonds du FPSPP.

La CGPME fait les mêmes constats, mais en tire précisément la conclusion que les entreprises de 10 à 300 salariés risquent d’être pénalisées par ce projet : « Former les chômeurs, c’est bien. Mais continuer à former les salariés en poste pour fortifier la compétitivité des entreprises de taille intermédiaire, c’est primordial. Sinon, les salariés non formés aujourd’hui seront les chômeurs de demain. Or le projet d’accord proposé à la signature par le Medef, l’UPA, quatre confédérations syndicales et entériné par le gouvernement n’y répond pas. » Tel était le credo de Jean-François Roubaud, président de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME), le 18 décembre, quatre jours après la fin de la négociation. La CGPME a donc maintenu sa position : elle ne signera pas le texte.

La surprise est venue du fait que, lors de la conférence de presse CGPME, trois de ses fédérations patronales, adhérentes également du Medef (bâtiment, industrie hôtelière, services de l’automobile), étaient à ses côtés ! Ainsi que d’autres fédérations patronales adhérentes de la CGPME ou de l’UNAPL : Synhorcat (hôtellerie), FNH (habillement) et Afigec (experts-comptables). L’Udes (entreprises de l’économie sociale et solidaire) a apporté son soutien à la CGPME le même jour. Et, selon la confédération générale des PME, l’Ania (industries agroalimentaires), adhérente du Medef, partagerait plutôt son analyse.

Au final, la CGPME estime que « la quasi-disparition de la mutualisation financière pour nos PME se traduira par une rupture d’égalité devant l’accès à la formation professionnelle, selon que l’on travaille ou non dans un grand groupe ». C’est, selon elle, une erreur historique, car, « grâce à la mutualisation, le taux d’accès à la formation est passé, entre 1974 et aujourd’hui, de 17 % à 45 % globalement, et de 15 % à 23 % dans les entreprises de 10-19 salariés, et de 28 % à 39 % dans celles de 50-250, a assuré Jean-François Roubaud, président de la CGPME. Le système fonctionne donc ! »

Et de conclure que son organisation fera tout son possible auprès du gouvernement et des parlementaires pour rétablir un système de mutualisation pour les entreprises de 10 à 300 salariés. D’ores et déjà, la CGPME prédit une nouvelle réforme en 2016, une fois constatés les dégâts qu’elle pressent.

Besoin de précisions

Quoi qu’il en soit, d’après les experts, l’écriture de la loi nécessitera un très gros travail de précision sur les points financiers et juridiques, et tous pointent des écueils à éviter.

Du côté des politiques, Gérard Cherpion, député UMP des Vosges et rapporteur de la loi formation du 24 novembre 2009, émet un avis positif : « L’esprit de l’ANI me convient, même si la complexité semble l’emporter. Je suis favorable à une baisse de la contribution légale des entreprises, mais plus faible que ce qui a été acté. Pourquoi ne pas expérimenter, puis évaluer les effets de cette baisse sur la formation des salariés ? » Cette piste de l’expérimentation, avancée par plusieurs partenaires sociaux, a toujours été refusée par le Medef, qui a maintenu sa volonté de supprimer « l’obligation de payer » au profit d’une « obligation de faire ».

Même analyse du côté de Jean-Patrick Gille, député PS spécialiste des questions de formation : « C’est un accord important, qui permet aux employeurs de passer de l’obligation de payer à celle de former, encadrée par un entretien professionnel obligatoire et formalisé par écrit tous les deux et six ans. Le financement est simplifié par une contribution unique de 1 % à un seul Opca. Le CPF prend forme et devrait améliorer l’accès à la formation des demandeurs d’emploi et des salariés. Mais il va falloir être vigilant sur la formation dans les entreprises de 10 à 50 salariés, sur les éventuels transferts de responsabilité de l’employeur sur les salariés, et la loi devra encadrer par des garanties collectives les responsabilités accrues qui vont être données aux salariés pour se former. »

Responsabilisation

Jean Wemaëre, président de la Fédération de la formation professionnelle, qui vient tout juste d’adhérer directement au Medef et non plus par l’intermédiaire de la Fédération Syntec, se veut optimiste : « La fin de l’obligation fiscale responsabilise les chefs d’entreprise : ils savent qu’il est vital d’entretenir les compétences de leurs salariés. Pas de crainte donc à avoir, a priori, sur une baisse de leurs achats de formations à des organismes extérieurs. » Néanmoins, il assure que sa fédération (les organismes de formation privés) sera « vigilante sur le CPF, qui doit accorder une place à l’acquisition de compétences transverses et liées aux emplois de demain, sur l’accompagnement des patrons de TPME qui ont une obligation d’adapter leurs salariés, et sur les contrats de professionnalisation dont le nombre risque de baisser ». Selon Jean Wemaëre, « la création d’un crédit d’impôt formation pour les entreprises et les particuliers pourrait assurer le succès de cet accord ».

Pour Jean-Marie Luttringer, expert en droit de la formation, il est clair que « des montagnes de questions juridiques restent à clarifier ! »

« Le projet, poursuit-il, fait pencher la balance vers la dimension individuelle du droit jusqu’à une limite inconnue à ce jour : CPF, entretien dans l’entreprise, CEP externe, consolidation du CIF, etc. La suppression de la référence à la loi fiscale, qui assurait stabilité et sécurité en même temps qu’elle engendrait des effets pervers, fait une place plus grande à la régulation par le contrat individuel et collectif : c’est tout le pari. De plus, le déplacement du centre de gravité du collectif vers l’individuel implique une nouvelle définition de l’objet social des Opca, alors que la suppression du 0,9 %, compensée par des contributions conventionnelles plus aléatoires et par des ressources aussi aléatoires provenant de la facturation de prestations de services, bouleverse leur modèle économique. Mais, à défaut de garanties juridiques apportées par la loi à la notion d’individu acteur, le texte aura fait œuvre de dérégulation en organisant progressivement le transfert de la responsabilité de son employabilité, de l’entreprise vers le salarié. »

La CGPME n’est pas la seule opposante

→ La CGPME et ses fédérations alliées refusent la configuration avancée par le Medef et l’UPA pour le financement de la formation continue (voir tableau), car elles y voient trois dangers.

→ La suppression du 0,9 % plan de formation « entrainera une baisse des ressources mutualisées demain de 75 % dans les entreprises de 10 à 49 salariés et de 87 % dans les entreprises de 50 à 300 salariés, indique Jean-François Roubaud, président de la CGPME. En moyenne, grâce à la mutualisation, une entreprise de 10 à 49 salariés bénéficie aujourd’hui du double de sa contribution financière pour payer la formation de son personnel. Demain, avec le système du chacun pour soi prévu dans l’accord, elle paiera facialement deux fois moins, mais bénéficiera de dix fois moins de financement ».

→ Pour la CGPME, les gagnants de cet accord seront les entreprises du CAC 40. Les grands donneurs d’ordre n’auront aucune obligation d’accompagner financièrement la formation des salariés de leurs sous-traitants, reléguant l’idée même de filières au rang de principes virtuels. Les perdants seront les PME assujetties à de nouvelles obligations sans avoir les moyens financiers de les mettre en œuvre, et dans l’incapacité juridique de s’en exonérer. « L’accord prévoit par exemple un financement à hauteur de 0,2 % de la masse salariale du compte personnel de formation, sauf accords de branche ou d’entreprise. En pratique, les PME sans représentant du personnel seront contraintes de payer pour les autres », prévoit Jean-François Roubaud.

→ Deuxième danger : l’amoindrissement des financements professionnalisation et une orientation de leur part vers les chômeurs « se traduiront par une disparition du 1/3 des contrats de professionnalisation : 50 000 sur un total de 150 000 ! ».

→ Troisièmement : les entreprises de plus de 10 salariés ne seraient plus tenues de consacrer 1,6 % de leur masse salariale à la formation professionnelle mais seulement 1 %. Un éventuel contrôle est renvoyé au dialogue social et aux IRP, mais il restera probablement un contrôle de l’administration. « Cette complexité, ainsi que la formalisation écrite des entretiens professionnels, avec possibilité de pénalité, vont entraîner une surcharge administrative, une insécurité juridique et des risques de contentieux prud’homaux. L’employeur, étranglé par la conjoncture économique, qui sera contraint demain de ne plus former ses salariés pour faire baisser ses charges sera en faute. La baisse de charges est donc une baisse en trompe l’œil, qui placera les PME en insécurité juridique », a asséné Geneviève Roy, présidente de la commission sociale de la CGPME.

→ Au final, Jean-François Roubaud a regretté que des gages de réduction de la pression fiscale sur les entreprises soient donnés par la France à la communauté européenne sur le dos de la formation professionnelle.

Jean-Pierre Willems CONSULTANT EN DROIT SOCIAL ET RH
« Le plus dur est devant nous »

E & C : « Le plus dur est devant nous », dites-vous à la lecture de ce projet. Pourquoi ?

J.-P. W. : Parce que la portée exacte de l’ANI dépendra de la manière dont le législateur relaiera le pari du transfert d’une obligation fiscale vers des obligations sociales. L’administration est-elle prête à faire sa révolution ? On pourra par exemple le vérifier dans sa manière de retranscrire et de contrôler la possibilité laissée aux entreprises de s’exonérer, par accord, du 0,2 % CPF. Au choix qui sera fait – contrôle par l’administration ou par les IRP –, on vérifiera si la loi fait le pari de la régulation sociale ou si les réflexes de régulation publique et centrale l’emportent encore. Le pire serait que la loi bricole un régime mixte de liberté concédée sous surveillance, qui créerait les conditions d’une déresponsabilisation de tous les acteurs. Or, pour la première fois depuis 1970-1971, les partenaires sociaux actent que le levier fiscal n’est pas le plus pertinent pour dynamiser la formation et font le pari que les leviers sociaux seront plus efficients : fin de l’imputabilité, fin du calcul fiscal, ouverture sur un financement forfaitaire de la formation et non pas sur la base de l’heure-stagiaire, etc. Ce pas en avant pourrait être un grand bond.

E & C : Pourtant, la CGPME et plusieurs fédérations du Medef prédisent plutôt un grand bond en arrière.

J.-P. W. : Les promoteurs de l’accord du 14 décembre 2013 doivent réussir le “service après-vente” auprès des entreprises, des salariés et des demandeurs d’emploi pour ne pas faire, dans dix ans, les mêmes constats qu’aujourd’hui sur le DIF et les périodes de professionnalisation, et ne pas avoir à tout chambouler à nouveau. L’exemple du DIF est éclairant : ce devait être un outil de promotion du dialogue entreprise-salariés et entreprise-représentants du personnel. Il n’en a rien été.

Tous les partenaires vont devoir se mobiliser pour gagner le pari de cette sortie du fiscal. C’est cet enjeu qui explique en partie les divergences entre le Medef et la CGPME. Faut-il, comme le pense le Medef, externaliser la gestion des dispositifs d’intérêt général et laisser l’entreprise libre de fixer elle-même le niveau de son investissement formation, ce qui conduit à distinguer l’intérêt de l’entreprise de celui du salarié ? Ou faut-il, comme le préconise la CGPME, donner de vrais moyens aux Opca pour qu’ils puissent proposer aux entreprises de toutes tailles, et pas seulement les TPE-PME, des services de qualité ? Répétons-le, ce n’est pas le simple transfert d’obligations qui génèrera une dynamique nouvelle. Mais plutôt la manière dont le dialogue social, et les pratiques managériales, intégreront ou non les questions de formation. Et pour cela, l’énergie de tous ne sera pas de trop.

Auteur

  • LAURENT GÉRARD, VALÉRIE GRASSET-MOREL