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Ikea à la recherche du dialogue social perdu

Pratiques | publié le : 11.02.2014 | HUBERT HEULOT

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Ikea à la recherche du dialogue social perdu

Crédit photo HUBERT HEULOT

Dans un contexte d’extrême défiance entre partenaires sociaux, un nouvel accord de dialogue social a été mis en place il y a quatre mois dans l’enseigne suédoise, qui centralise et professionnalise la négociation. Les syndicats estiment que cet accord est un recul par rapport au précédent, mais préfèrent regarder vers l’avenir.

C’est peu de dire que la confiance entre direction et salariés est à restaurer chez le distributeur de meubles Ikea. Quand, d’un côté, des dirigeants et des cadres sont mis en examen pour espionnage de salariés, et que, de l’autre, des délégués syndicaux font exploser leurs salaires à coup d’heures de délégation abusives, la condamnation en septembre dernier pour harcèlement moral d’un ex-représentant de FO, pour avoir « outrepassé ses prérogatives dans le but d’intimider et de déstabiliser des personnes », apparaît alors comme le symptôme d’un mal plus profond. C’est dans ce contexte qu’un accord relatif au développement du dialogue social a été mis en œuvre en septembre 2013.

En juillet, trois organisations majoritaires (CFDT, CFE-CGC, CFTC) le signent. Deux autres, FO et la CGT, s’y refusent. L’accord est obtenu en un mois « à l’arraché », reconnaît Sylviane Nguyen, déléguée centrale CFE-CGC. Les partenaires sociaux veulent en effet aboutir dans le délai d’un an après la dénonciation par la direction d’Ikea, en septembre 2012, du précédent accord conclu en 2007. « Ce nouveau texte permet de remettre en place des fondements pour un dialogue concerté et responsable après une période marquée par des comportements et des pratiques inacceptables, explique Bertrand Fialip, directeur des relations sociales. L’occupation du siège social et la séquestration des équipes de négociation des NAO en 2010 ont marqué le management et les représentants du personnel, et ont laissé des traces dans le comportement des acteurs du dialogue social. Il s’agit de lui redonner une logique et une vision ancrées dans la culture de l’entreprise, faite de transparence, de relations simples entre acteurs de terrain responsables qui ne se laissent pas dépasser par des préjugés idéologiques et, enfin, de processus de négociation efficaces. »

Centralisation des moyens

L’accord est conçu « à moyens constants » par rapport au précédent, mais il modifie l’architecture du dialogue entre direction et salariés. Ikea France compte 10 000 collaborateurs répartis en 31 établissements. Les signataires décident de centraliser la négociation et de transférer des moyens des élus vers les délégués syndicaux centraux qui, du coup, se professionnalisent. « Chez Ikea, le périmètre de négociation est bien l’entreprise, pas l’établissement. À l’échelon local se réalise le dialogue social au quotidien », résume Bertrand Fialip.

Les élus des instances locales voient leurs crédits d’heures ramenés aux niveaux du Code du travail alors que, dans l’accord de 2007, un secrétaire de comité d’établissement et son trésorier bénéficiaient de 5 heures extralégales, et un membre du CHSCT de 2 heures. Le secrétaire adjoint du comité d’établissement perd ses 5 heures extra– légales. Les heures de délégation ne sont plus transférables d’un mois sur l’autre. Le local syndical commun devient la règle (retour au Code du travail), alors que chaque or­ganisation syndicale d’établissement de plus de 400 salariés disposait auparavant du sien.

« Dans ces conditions, on ne peut pas bien faire notre travail de délégué syndical », reconnaît Sylvianne Nguyen, pourtant signataire. Pour Marylène Laure-Douilly, déléguée centrale CGT, le nouvel accord marque même un « retour au Moyen-âge ». Pour Dominique Nikonoff, délégué central adjoint à Force ouvrière, « on était supposés négocier à moyens constants. C’est faux. L’accord aboutit à des dispositions liberticides. On a complètement annihilé la négociation d’établissement pour ne discuter qu’au niveau du groupe ».

Permanents syndicaux

À l’échelon national, il n’y a plus que trois représentants syndicaux par organisation dans l’instance dédiée à la négociation collective contre quatre auparavant. Mais ses membres peuvent devenir permanents syndicaux. C’est la grande nouveauté de l’accord 2013. Ikea propose deux détachements par syndicat, l’un au délégué central, l’autre à son adjoint, et davantage de déplacements par an dans les établissements. Les délégués centraux bénéficiaient déjà de 35 heures de délégation par mois dans le précédent accord, 15 de plus que dans le Code du travail. Les voilà, s’ils le veulent, avec leurs adjoints, rémunérés par Ikea pour travailler à plein temps au sein de leur syndicat. « Tous syndicats confondus, nous sommes d’accord : un détachement permet d’améliorer grandement les compétences syndicales dont nous profiterons dans Ikea », indique Jean-Paul Barbosa, délégué central adjoint pour la CFDT. Pour Bertrand Fialip, Ikea valorise aussi le statut des délégués, avec un suivi du déroulement de carrière, la mise en place de bilans de compétences et de VAE. Par ailleurs, une instance de coordination des CHCST est créée.

Les organisations syndicales signataires, pas toujours convaincues par le contenu de l’accord, qu’elles jugent sur bien des points en recul par rapport au précédent, se veulent avant tout pragmatiques : « Il y a un dialogue social à créer dans cette entreprise », estime Jean-Paul Barbosa pour la CFDT. « Nous payons des erreurs de management ; les dérives syndicales n’auraient jamais dû être tolérées par les cadres, déclare Sylviane Nguyen. Ces dérives relevaient d’individualités et ne devaient pas être traitées en dénonçant un accord collectif. Mais aujourd’hui, peut-être faut-il en passer par là ? À la CFE-CGC, nous faisons le choix de construire. Si l’on arrive, repartant sur une nouvelle base, à se respecter de part et d’autre, d’autres accords suivront, meilleurs. »

L’ESSENTIEL

1 La direction et des syndicats d’Ikea ont signé un accord de dialogue social en septembre 2013.

2 Les signataires décident d’orienter les moyens extralégaux vers les délégués syndicaux et de réduire ceux des élus du personnel.

3 Cet accord, qui intervient dans un contexte de grande défiance entre direction et syndicats, doit permettre de relancer le dialogue.

Des formations communes direction-syndicats

Dans un esprit de professionnalisation du dialogue social, chaque négociation nationale est précédée d’une formation sur le sujet abordé, commune aux délégués des syndicats et à la direction. « Pour bien en saisir les données et les enjeux concrets, comme nous l’avons fait pour le contrat de génération », précise Bertrand Fialip, directeur des relations sociales. « Les formations et les intervenants sont décidés par la direction », relève toutefois Sylvianne Nguyen, déléguée centrale CFE-CGC.

À l’échelon local, même souci de travailler utile. Une réunion de préparation de chaque comité d’établissement est instituée pour les représentants du personnel. Le secrétaire adjoint du comité d’établissement, qui a perdu ses 5 heures de délégation, les voit transformées en heures de réunion.

Auteur

  • HUBERT HEULOT