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La nouvelle donne du forfait-jours dans l’informatique, l’ingénierie et le conseil

Pratiques | publié le : 04.03.2014 | NICOLAS LAGRANGE

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La nouvelle donne du forfait-jours dans l’informatique, l’ingénierie et le conseil

Crédit photo NICOLAS LAGRANGE

Les contentieux se multiplient après la décision de la Cour de cassation d’invalider le forfait-jours de la convention collective de la branche Syntec-Cinov. D’où des négociations dans certaines entreprises et au niveau de la branche pour fixer de nouvelles modalités.

Depuis le 24 avril 2013, l’arrêt de la Cour de cassation pèse sur de nombreuses entreprises de la branche Syntec-Cinov, qui avaient établi des forfaits-jours sur la base de la seule convention collective. Les magistrats ont considéré que les dispositions conventionnelles ne garantissaient pas une amplitude et une charge de travail raisonnables pour le salarié et n’assuraient pas une bonne répartition du travail de l’intéressé dans le temps. « Dès lors, la convention de forfait-jours qui ne fait que renvoyer à la CCN n’est pas valide et le salarié peut obtenir le paiement de ses heures supplémentaires, souligne Marion Ayadi, avocate associée du cabinet Raphaël. Lorsqu’ils contestent la rupture de leur contrat de travail, les cadres autonomes mettent en cause ce dispositif de plus en plus systématiquement. »

L’arrêt de la Cour de cassation menace les accords d’entreprise mal ficelés (suivi insuffisant de la charge de travail et des temps de repos), mais aussi les bons accords, mal, voire pas du tout appliqués. « Les accords ne sont pas prolixes en ce qui concerne le suivi des salariés en forfait-jours », peut-on lire dans une étude de la branche sur la négociation collective entre 2006 et 2013. Pour Noël Lechat, secrétaire général de la fédération CGT des bureaux d’études, « le forfait-jours est tellement fragile que les salariés gagnent presque toujours aux prud’hommes et obtiennent fréquemment plusieurs dizaines de milliers d’euros ». Un forfait-jours qui s’applique tout de même à 28 % des salariés de la branche.

Entretien sur la charge de travail

« Le forfait-jours doit être nettement mieux encadré, mais il ne s’agit pas de le supprimer, car il est souhaité par de nombreux salariés », estime Annick Roy, secrétaire nationale de la F3C-CFDT. C’est la voie suivie par la société SAP, où un avenant à l’accord temps de travail a été signé en septembre dernier par la CFDT et la CFE-CGC. L’entretien annuel sur la charge de travail doit notamment porter sur la durée des trajets, l’amplitude des journées de travail, l’état des jours de repos pris et non pris, et faire l’objet d’une retranscription. Le salarié doit également, à sa demande, être reçu dans les huit jours par les RH et le n + 1, avec un compte rendu à la clé. Autant de nouveaux garde-fous directement inspirés de l’accord de branche sur la santé au travail de février 2013. « Nous recevons régulièrement des mails de la hiérarchie nous demandant de prendre nos RTT, ajoute un représentant CFE-CGC. Un outil en cours de développement devrait à terme envoyer une alerte automatique au n + 1 en cas de non-respect des temps de repos. » Fin 2013, un nouvel accord a également été signé chez LRQA France (une centaine de salariés) : 9 JRTT au lieu de 6, un plafond annuel de 215 jours travaillés au lieu de 218, 12 heures de repos quotidien au lieu de 11, et 60 heures de repos au lieu de 35 entre deux semaines de travail.

À Steria, la renégociation démarrée à l’automne s’est soldée par un échec à la mi-janvier : « Le projet de la direction était un “copier-coller” de la convention collective, assure Hocine Chemlal, DSC CGT. L’autonomie des cadres au forfait-jours est très relative, lorsque certains reçoivent des avertissements en cas d’absence un jour ouvré. Et le décompte du temps de travail se résume au nombre de jours travaillés, sans vérification des temps de repos. »

Au final, les renégociations sont rares et l’attentisme est plus souvent de mise. Chez Accenture France, où une large majorité de salariés sont cadres autonomes, « le forfait-jours donne lieu à un décompte en heures et à une réelle autonomie, avec un accord d’entreprise nettement plus favorable que la CCN, selon Christophe Ecollan, DSC CFTC. Même si les salariés font souvent douze heures mais n’en déclarent que huit ».

Négociation de branche

Chez Atos, « il n’y a pas de renégociation en vue, alors que le forfait-jours est calqué sur la CCN », affirme le DSC CGT Jack Toupet. Même chose à CGI (ex-Logica), où « près de 1 500 salariés sont en forfait jours, selon Arnaud Degroise, DSC CFDT. Ils bénéficient d’une véritable autonomie et de possibilités de télétravail, mais leur charge de travail est énorme et n’est pas abordée lors des entretiens semestriels de performance. Par ailleurs, le système de décompte ne permet pas de déterminer les temps de repos ». Idem à Altran, où « le temps de travail est déclaré en demi-journées, sans aucune indication sur les repos quotidiens », affirme Olivier Estienne, DSC CFDT. Quant à Capgemini, « la direction estime que l’accord temps de travail de 2000 est solide, alors que le suivi de la charge de travail est quasiment inexistant, individuellement et à l’égard des IRP », juge le DS CFDT, Frédéric Boloré.

En fait, de nombreuses entreprises attendent les résultats de la négociation de branche, entamée en septembre dernier à l’initiative de la Fieci-CFE-CGC.

« Il s’agit de sécuriser à la fois les entreprises et les salariés, explique Frédéric Lafage, président de la commission des affaires sociales de Cinov, l’une des deux fédérations patronales [Syntec n’a pas souhaité s’exprimer]. Car le forfait-jours répond autant aux aspirations des salariés qu’au besoin de souplesse des entreprises. Mais la sécurisation ne doit pas empêcher, voire interdire, des organisations nécessaires à la pérennité des entreprises et des emplois. » La Fieci et la CFDT préconisent, de concert, de nouvelles garanties pour les cadres autonomes : un blocage des messageries professionnelles entre 20 heures et 8 heures, des entretiens semestriels spécifiques sur la charge de travail ou encore une visite médicale annuelle.

Autres garde-fous, suggérés par l’avocat Marc Robert, auteur d’une étude pour la branche sur les moyens de sécuriser les forfaits-jours : définir des plages horaires de travail et des périodes de non-travail, créer des outils de mesure objective de la charge de travail… « Les entreprises ont intérêt à prévoir entre deux et quatre entretiens par an sur la charge de travail, voire davantage, estime, de son côté, Me Ayadi. Par ailleurs, en cas de nouvel accord de branche, bon nombre d’entreprises devront faire signer à leurs salariés une nouvelle convention individuelle de forfait, si la précédente se contentait de renvoyer à la CCN. Même chose pour les entreprises dont la convention renvoie à un accord d’entreprise mal ficelé. Avec le risque que certains salariés refusent de signer leur nouvel avenant, ce refus ne pouvant pas, a priori, constituer un motif de licenciement. »

L’ESSENTIEL

1 Dans la branche, les risques juridiques liés au forfait-jours sont nombreux et potentiellement coûteux.

2 Peu d’entreprises ont renégocié le forfait-jours afin de mieux appréhender et réguler la charge de travail.

3 Les partenaires sociaux de la branche négocient un nouvel avenant à la convention collective afin de sécuriser le forfait-jours pour les entreprises et les salariés.

Une situation contrastée dans les PME

Dans les entreprises de moins de 200 salariés dépourvues de délégué syndical, une quarantaine d’accords signés avec les représentants du personnel ont été examinés par une commission paritaire spécifique, au cours du second semestre 2013. Dont la moitié sur le forfait-jours.

« La plupart de ces accords comportent des lacunes importantes, assure Chantal Guiolet, présidente (Fieci-CFE-CGC) de la commission paritaire : repos quotidiens et hebdomadaires non garantis, suivi de la charge de travail insuffisant, voire absent, ou encore forfait-jours appliqué aux Etam. Un des accords instaure même un plafond de 282 jours travaillés. Les représentants des salariés au sein de la commission peuvent émettre des réserves, sans pouvoir en empêcher la validation. » Un seul accord, signé dans une petite entreprise informatique rhônalpine d’une cinquantaine de salariés, a été approuvé à l’unanimité. Le forfait-jours est réservé à certains cadres ; la direction demande aux salariés de ne pas répondre au téléphone portable et/ou de ne pas lire leurs courriels entre 20 h 30 et 7 h 30 ainsi que le week-end; le suivi de la charge de travail fait l’objet d’un entretien tous les six mois et donne lieu à une retranscription et à un bilan annuel communiqué aux IRP ; enfin, le dépassement éventuel des 218 jours travaillés par an se traduit par un avenant et une majoration salariale de 25 %.

Auteur

  • NICOLAS LAGRANGE