logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Enjeux

« Le test de personnalité ne prédit en rien la réussite professionnelle »

Enjeux | publié le : 18.03.2014 | VIOLETTE QUEUNIET

Image

« Le test de personnalité ne prédit en rien la réussite professionnelle »

Crédit photo VIOLETTE QUEUNIET

La plupart des tests de recrutement évaluent la personnalité, alors que celle-ci n’a pas d’influence avérée sur la réussite professionnelle. En revanche, la recherche en psychologie montre une corrélation entre certains schémas cognitifs et le succès dans la carrière.

E & C : Quelle est la place des tests dans les processus de recrutement des entreprises ?

Jean Pralong : Aujourd’hui, un cadre sur deux a passé un test pour être recruté. Il y a quinze ans, ce n’était le cas que d’un cadre sur trois ou quatre. Le marché du testing a donc presque doublé mais, en même temps, il s’est asséché en se concentrant sur un seul type de tests. Il y a quinze ans, un cadre aurait passé des tests divers: d’aptitude, de logique, de personnalité… Aujourd’hui, un seul test domine : neuf fois sur dix, quand un candidat le passe, c’est un test de personnalité. Cela s’explique par l’essor d’un nouveau marché : celui des tests pour non-psychologues. Pour les vendre à des non-experts, les éditeurs se sont concentrés sur ce qui paraissait le plus évident et correspondait à une demande sociale: le test de personnalité. En effet, la plupart des recruteurs considèrent que la personnalité permet de bien évaluer le potentiel du candidat. Or toutes les études menées sur le sujet, des plus anciennes aux plus récentes, montrent une influence faible, voire nulle, de la personnalité sur la performance ou la réussite professionnelle.

E & C : Quels sont les critères mesurant cette réussite professionnelle ?

J. P. : Cinq critères sont utilisés en recherche. Deux basiques: l’évolution hiérarchique et la rémunération. Un troisième, qui est la qualité de carrière: maintien dans l’emploi, le fait d’avoir un contrat précaire ou un contrat stable, l’accès à la formation, l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, etc. Quatrième indicateur: la satisfaction de la personne. Cinquième critère: la performance telle qu’elle est mesurée par l’entreprise sous l’angle de l’atteinte des objectifs annuels.

E & C : Pourquoi la personnalité n’a-t-elle pas d’influence sur la réussite professionnelle ?

J. P. : Le concept de personnalité repose sur un problème théorique fondamental : l’idée qu’il existe chez nous des dimensions stables et internes qui se manifesteraient systématiquement dans toutes les situations. Or, nos comportements varient en fonction des situations et des contextes. Des personnes peuvent être extrêmement rigoureuses sur le plan professionnel, contrôlées, stables, vigilantes et, dans leur vie personnelle, avoir un comportement débridé. Ou inversement, des gens extrêmement créatifs dans leur vie professionnelle et complètement apathiques chez eux.

E & C : Que faudrait-il tester ?

J. P. : Il faudrait plutôt tester les schémas cognitifs des individus. Il s’agit d’une notion encore peu familière, issue d’un courant émergent en psychologie. Un schéma cognitif est un répertoire de connaissances que chacun d’entre nous mémorise progressivement au cours de sa vie. C’est un système de croyances, une grille de lecture personnelle que nous utilisons sans en avoir conscience. C’est un peu la compilation de ce que nous avons déduit des situations qui se ressemblent et qui nous permettent d’interpréter rapidement toute nouvelle situation.

Dans le monde du travail, il existe quatre schémas qui ont une influence déterminante sur la réussite professionnelle.

E & C : Quels sont les schémas cognitifs prédictifs d’une réussite dans le poste ?

J. P. : Le premier est la contribution au travail. Certaines personnes ont tendance à se concentrer sur l’excellence technique : elles définissent ce qu’on attend d’elles avant tout comme l’utilisation d’un savoir précis dans un domaine d’expertise. À l’inverse, d’autres individus considèrent que leurs contributions n’ont de sens qu’en fonction d’une stratégie d’entreprise.

Le deuxième est la relation aux collègues. Il y a d’une part les personnes qui se représentent l’entreprise comme un réseau de partenaires potentiels.

À l’inverse, d’autres considèrent qu’elles ne peuvent faire confiance qu’à un nombre limité de collègues et développent un comportement de défiance.

Troisième schéma : la relation à la carrière. Certains pensent qu’ils ont une vocation et attendent du travail et de la carrière la possibilité de réaliser cette vocation. Les autres, au contraire, ont un comportement plus opportuniste qui les incite à accepter des postes plus divers. Le quatrième schéma est celui du marché du travail. D’un côté, on trouve ceux qui considèrent que le comportement des entreprises en matière de recrutement ou de carrière est rationnel. De l’autre, ceux qui se sentent en insécurité face au marché du travail, le considèrent comme aléatoire et irrationnel.

Plus les individus croient en l’importance de la stratégie, croient que les collègues sont des partenaires, rejettent l’idée de vocation et pensent que le marché du travail est rationnel, plus ils réussissent. La chaire Nouvelles carrières a mené une étude sur la prédictibilité des schémas cognitifs auprès de 2 000 sujets en réinterrogeant chaque année les mêmes personnes. L’évaluation des schémas menée en 2006 ou 2007 prédit la performance de 2014.

E & C : Existe-t-il des tests utilisant ces schémas cognitifs sur le marché ?

J. P. : À ma connaissance, non. La mise au point d’un test demande un investissement en temps et en argent considérable, qui nécessite un retour sur investissement rapide. Or le concept de schéma cognitif est peu intuitif. Il est donc difficile pour un commercial de vendre cela à un DRH. D’où le succès des tests de personnalité, une notion que tout le monde comprend. C’est pourquoi les éditeurs de tests ne se sont pas encore saisis de cela. Mais peut-être que nos travaux de recherche vont faire entrer ce terme dans le vocabulaire des DRH et lever ce frein de la compréhension ! Nous commençons à être sollicités par des recruteurs.

E & C : Actuellement, en l’absence de tests fondés sur les schémas cognitifs, faut-il ne faire passer que des entretiens ?

J. P. : Surtout pas ! L’entretien seul est ce qu’il y a de moins fiable. En revanche, plutôt que de faire passer un test de personnalité, il est préférable de tester les aptitudes. Par exemple, tester les aptitudes numériques pour un comptable, les aptitudes verbales pour un vendeur. Les tests d’aptitude - ou d’intelligence - sont anciens, fiables et coûtent peu cher.

PARCOURS

• Jean Pralong, psychologue de formation et docteur en sciences de gestion, enseigne la GRH à Neoma Business School où il est titulaire de la chaire Nouvelles carrières.

• Il a été responsable du département gestion des compétences chez RH Facilites, une filiale d’Adecco, puis responsable du développement des RH du groupe Vedior.

• Il est coauteur de Pratiques et éléments de théorie GRH (Dunod, 4e édition, 2012) et auteur de nombreux articles sur la carrière, parmi lesquels “Les projets n’engagent que ceux qui y croient. Une étude longitudinale des projets, performances et compétences”, Revue française de gestion, 2011/7 (n° 216). Il vient de publier l’étude Testons les tests !, H.R. Insights, n° 3.

LECTURES

• Éloge du carburateur : essai sur le sens et la valeur du travail, Matthew B. Crawford, La Découverte, 2010.

• Sensemaking in Organizations, Karl Weick, Sage Publications, 1995.

• Fragments d’un discours amoureux, Roland Barthes, Seuil, 1977.

Auteur

  • VIOLETTE QUEUNIET