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Les Direccte au cœur de l’ordre social négocié

Pratiques | publié le : 03.06.2014 | HUBERT HEULOT

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Les Direccte au cœur de l’ordre social négocié

Crédit photo HUBERT HEULOT

Une proposition de loi sur l’inspection du travail donne aux Direccte le pouvoir de fixer le montant des amendes infligées aux entreprises qui ne respectent pas certaines obligations. Ces dernières années, les Direccte ont pris une place centrale dans la mise en œuvre du droit du travail et l’animation de la négociation collective. Le tout avec des effectifs en baisse.

Contrôle des accords d’entreprise, homologation des plans unilatéraux de sauvegarde de l’emploi, organisation de l’inspection du travail, distribution de pénalités financières et bientôt d’amendes, recours à la transaction pénale : les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (Direccte), créées en 2008, sont désormais au cœur de l’« ordre social négocié », pour reprendre une expression de Jean-Paul Jacquier, président de Clesdusocial.com, ancien secrétaire national de la CFDT.

Le dernier épisode de cette impressionnante montée en puissance est la proposition de loi relative « aux pouvoirs de l’inspection du travail ». Les députés doivent se prononcer prochainement. Si le Sénat vote à l’identique, la loi sera définitivement adoptée pour une entrée en vigueur prévue au 1er janvier prochain.

Un pouvoir déterminant

Les inspections du travail obtiendront alors un pouvoir déterminant, partagé avec les Direccte qui les chapeautent : celui de distribuer des amendes, comme les douaniers et les inspecteurs du fisc. Les entreprises ne pouvaient jusqu’ici être condamnées que devant les tribunaux ; 90 % des plaintes n’aboutissaient pas. Ces amendes administratives pourront atteindre 2000 euros par salarié concerné en cas de manquements sur les temps de travail, l’hygiène, la sécurité ou le respect du smic. Le double si la situation n’est pas corrigée au bout d’un an. L’amende sera proposée par les inspecteurs, mais son montant sera fixé par le directeur de la Direccte. La même proposition de loi prévoit en outre que l’« autorité administrative compétente » – la Direccte ? – pourra proposer aux entreprises une « transaction pénale », qui lui évitera un procès.

Pour Henri Jannes, du Syntef-CFDT, lui-même inspecteur du travail, la relation des Direccte avec les entreprises va s’en trouver modifiée : « Nos hiérarchies vont devoir se mobiliser sur les sanctions aux entreprises et leur suivi. » Julien Boeldieu, inspecteur du travail et représentant CGT, craint surtout que les transactions pénales ne donnent lieu à un « chantage à l’emploi », auquel les Direccte, « qui sont sous l’autorité du préfet », auront du mal à résister. Pour lui, on s’achemine vers un système à deux niveaux : « Aux inspecteurs les petites infractions, aux Direccte les relations avec les patrons. »

Mais les patrons voient également d’un mauvais œil les nouveaux pouvoirs conférés aux inspecteurs. « Sur le fond comme dans la forme, nous trouvons ce système d’amendes abusif, déclare Vincent Charpin, président du Medef de Loire-Atlantique. Pensez aux petites entreprises saisonnières sur la côte face au risque de 2 000 euros d’amende par salarié en cas d’infraction sur les temps de travail ! Nous craignons que ne se développe chez les inspecteurs du travail, comme au fisc, une politique du chiffre, un arbitraire, dicté par les volumes d’amendes à distribuer. Nous rêverions d’un changement culturel plus en faveur de l’entreprise, comme au ministère des finances. »

Pas de création de nouvelles infractions

Michel Ricochon, directeur de la Direccte à Nantes, se veut rassurant : « Je ne nous vois pas “tirer à vue” sur les entreprises, carnets à souche en main. Ce n’est pas notre manière de travailler. » Denys Robiliard, député socialiste rapporteur de la loi à l’Assemblée, insiste : « Nous n’allons pas compliquer la vie des entreprises. Aucune infraction nouvelle n’est créée. »

Pour Michel Zeau, responsable juridique du syndicat Unsa au ministère du travail, la réforme de l’inspection du travail « est bonne mais hypothéquée par les moyens humains pour la mettre en œuvre ». Julien Boeldieu estime que les effectifs des agents de contrôle, c’est-à-dire ceux qui sont sur le terrain, sont passés de 2335 en 2012 à 2219 en 2013. Au final, il considère que les nouveaux pouvoirs conférés aux inspecteurs ne seront pas effectifs.

D’autant que ces derniers se voient désormais imposer une hiérarchie. Depuis un décret paru le 24 mars, chaque inspection est recomposée en unités de huit à dix personnes, contre trois jusqu’ici. Elle est dirigée par un responsable d’unités de contrôle, créé à cette occasion, pour agir davantage de manière collective, avec des priorités. Or qui va désormais fixer les priorités ? Les Direccte. « Jusqu’à présent, les inspecteurs étaient sollicités par les représentants du personnel, ils deviennent des organes techniques dont les priorités sont fixées par le pouvoir politique », remarque Julien Boeldieu.

D’un autre côté, de nombreux rapports ont dénoncé l’isolement des inspecteurs du travail sur le terrain. « Il n’y aura pas plus de visites mais elles seront mieux faites », estime Michel Zeau.

Une équipe de dix inspecteurs spécialisés est créée pour les fraudes complexes et les sociétés aux chaînes de travail en cascade. Avec toujours, l’appui possible dans les Direccte, d’ingénieurs en prévention, de médecins et d’experts techniques des formes modernes de travail. « Une administration qui se réforme pour faire mieux avec les mêmes moyens, ce n’est pas si souvent », se réjouit Vincent Charpin du Medef.

De nombreuses prérogatives

Cette dernière réorganisation de l’administration du travail au profit des Direccte s’additionne aux nombreuses prérogatives qu’elles se sont vues attribuer ces dernières années. Ainsi, l’homologation des PSE et l’infliction de pénalités financières, par exemple dans le domaine de l’égalité professionnelle. Surtout, elles sont les animatrices d’une négociation collective toujours plus étendue et plus volumineuse, notamment dans les entreprises, qui signent plus de 35 000 accords chaque année. « Ces dernières années, les Direccte ont vu leur activité décuplée par la négociation collective, explique Corinne Cherubini, chef du département appui et soutien au contrôle à la Direction générale du travail (DGT). C’est une volonté générale de faire des partenaires sociaux des régulateurs forts de notre vie sociale, dynamique renforcée par la réforme de la représentativité. À nous, ensuite, dans les Direccte, de vérifier l’application des accords nationaux ou de branches dans les entreprises. Et de faire en sorte que les obligations de négocier imposées aux entreprises soient respectées. »

Jean-Christophe Sciberras, président de l’ANDRH et ancien inspecteur du travail, confirme. Pour lui, les Direccte exercent une forte pression sur les entreprises : « Nous recevons beaucoup plus de courriers. À l’occasion, l’administration reprend nos accords d’entreprise s’ils ne lui vont pas et nous demande de renégocier. C’est toujours un peu compliqué, parce qu’on perd un peu la face, les organisations syndicales comme nous. Et si, dans les trois mois, nous ne l’avons pas fait, nous voilà face à des sanctions financières ! »

Les Direccte emploient 8 000 fonctionnaires, dont 5 000 dans le pôle travail, qui s’occupe de prévention des risques professionnels, d’amélioration des conditions de travail et du suivi des relations collectives. Leurs effectifs ont été réduits de 107 postes, soit une baisse de 1,4 %. « Personne n’est exempté des plafonds d’emplois globaux de l’État, en baisse de 4 % », déclare Corinne Cherubini.

L’ESSENTIEL

1 Les Direccte s’imposent de plus en plus comme les interlocutrices des entreprises dans les domaines de l’emploi, du travail et du dialogue social.

2 Une loi en cours d’adoption va leur donner le pouvoir de fixer les priorités des inspecteurs du travail, de déterminer des amendes et de proposer aux entreprises une transaction pénale à la place d’un procès.

3 Leurs effectifs étant en baisse, auront-elles les moyens de mener à bien leurs nouvelles missions ?

Les accords d’entreprise sont déposés plus que vérifiés dans les Direccte

Leur nombre explose. Les accords d’entreprise doivent être déposés dans les Direccte dont le siège de la société dépend. Michel Zeau, de l’Unsa, tempère l’impact sur l’activité des Direccte : « Pour l’essentiel, les accords font l’objet d’un simple dépôt. Leur contrôle de légalité ne remonte à l’administration centrale que dans le cas d’entreprises étrangères ou possédant plusieurs établissements sur le territoire national ».

Corinne Cherubini, de la DGT souligne : « Par ce dépôt, leur contenu est à mis disposition du public ». Elle précise : « Il n’y a contrôle de légalité a priori qu’en cas, par exemple, de demande d’extension d’un accord de branche. Ce sont des contrôles souvent sur les formes. Dans un accord sur l’égalité professionnelle hommes-femmes dans une entreprise, une liste de sujets précis doit être traitée. Pour le reste, la confiance est accordée aux partenaires sociaux. Un accord est réputé valide dès lors qu’il est signé selon les règles de la représentativité. Seul un juge peut le récuser sur le fond ; mais il faut qu’il soit contesté devant les tribunaux. »

Auteur

  • HUBERT HEULOT