L’effort global des entreprises françaises en matière de formation professionnelle va diminuer du fait de la disparition de l’obligation légale de financement, DGEFP et Medef en conviennent (lire Entreprise & Carrières n° 1195). Mais qu’en sera-t-il de celui des grandes entreprises, voire très grandes, de plus de 2 000 salariés ? Leur effort formation est aujourd’hui, en moyenne, de 3,78 % de la masse salariale et, pour elles, le 1,6 % n’a guère d’impact.
Deux études parues la semaine dernière donnent à cette question des réponses concordantes. Ainsi, selon celle réalisée en mai par les cabinets conseil Karistem et Paradoxes auprès de 22 entreprises du CAC 40, 50 % de ces dernières pensent maintenir leur niveau de financement malgré la suppression de l’obligation fiscale de financement du plan de formation. Mais 37 % avouent ne pas savoir ce qui se passera et 13 % prévoient d’ores et déjà une diminution de l’effort.
Mêmes tendances exprimées par les résultats de l’étude du cabinet conseil Caraxo, menée en avril auprès de 130 entreprises réunissant 1 million de salariés; 64 % de ces entreprises prévoient un maintien de l’effort, 22 % annoncent d’ores et déjà une baisse et 14 % restent dans l’incertitude. « La raison de cette diminution ?, s’interroge Philippe Bernier, dirigeant de Caraxo. Peut-être une vision de la formation comme un centre de coûts et non de profits, ou la nécessité de réapprendre à communiquer sur les effets de la formation, non pas au travers de son coût, mais de son efficacité. »
Efficacité, c’est bien le mot. Et, sur ce sujet, les autres constats de l’étude Caraxo (comme ceux de l’étude Karistem-Paradoxes, lire p. 9), laissent songeur.
Premièrement : seule la moitié (53 %) des grandes entreprises (on laisse imaginer la réponse des TPE et PME…) se dit « en mesure de déterminer le nombre de salariés n’ayant pas bénéficié de formation depuis six ans » ; 30 % reconnaissent n’avoir « aucune possibilité de déterminer les non-formés » et 17 % « ne savent pas actuellement si cette analyse est réalisable dans leur entreprise ».
Ce qui fait dire à Philippe Bernier : « Même si l’obligation porte sur une mesure dans six ans – la loi ne pouvant être rétroactive –, c’est dès maintenant qu’il faut suivre ces indicateurs pour faire le bilan formation vis-à-vis des représentants du personnel, et pour se laisser le temps de réajuster l’écart d’accès à la formation. »
Deuxièmement: seuls les deux tiers (66 %) des grandes entreprises interrogées effectuent un entretien professionnel au moins tous les deux ans pour 100 % de leurs salariés. « Il reste donc un peu moins de deux ans pour les généraliser, puisque le compte à rebours a démarré le 7 mars 2014, conclut Philippe Bernier. Dès lors, tous les entretiens devront, pour la première vague, être réalisés au plus tard pour le 6 mars 2016, sous peine de défaut de garantie d’accès à la formation et donc de sanctions, notamment pécuniaires ! »
Ces constats sur les capacités d’identification des salariés à problèmes par les entreprises sont préoccupants, et s’ajoutent à deux autres avis peu engageants de leur part. Ainsi, seul un quart des entreprises (24 %) croient que « le CPF répond à une attente des salariés pour favoriser leur évolution professionnelle » (40 % de non et 36 % d’indécis), et seul un tiers d’entre elles (35 %) voient « la réforme actuelle comme un moyen de développer la formation en entreprise » (39 % de non et 26 % d’indécis).
Ces réponses peu optimistes interrogent fortement la capacité des entreprises à aider les salariés à se construire une stratégie pédagogique, à gérer leur CPF et à se diriger dans la réforme. En ce sens, le conseil en évolution professionnelle, mis en lien avec le bilan de compétences rénové (aujourd’hui moins de 1 % de la population active l’utilise, soit entre 60 000 et 70 000 bénéficiaires par an), s’annonce comme une pierre angulaire du dispositif (lire ci-contre l’interview de Serge Rochet). Sera-t-il à la hauteur ?