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L’interview

SYLVIE CHEVRIER : « Les ressources humaines sont au cœur des défis à relever à l’international »

L’interview | publié le : 16.09.2014 | PAULINE RABILLOUX

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SYLVIE CHEVRIER : « Les ressources humaines sont au cœur des défis à relever à l’international »

Crédit photo PAULINE RABILLOUX

La fonction RH est l’une des dernières à s’internationaliser, mais les enjeux de la globalisation sont tels que les choses évoluent rapidement. Les RH françaises savent innover pour s’adapter aux contextes locaux. Elles ont cependant à trouver une juste mesure entre un formalisme excessif et des consignes trop vagues concernant les pratiques RH locales.

E & C : La fonction RH est aujourd’hui au cœur des problématiques de croissance. Pourriez-vous préciser pourquoi ?

SYLVIE CHEVRIER : Dans un contexte où les entreprises cherchent de nouveaux relais de croissance, se développer à l’international constitue un moyen d’accroissement de l’activité et de réduction des coûts. Loin de se limiter à un rôle purement juridique d’accompagnement, les ressources humaines sont au cœur des défis à relever. Elles contribuent à la recherche, au développement et à la mobilisation des compétences nécessaires à la réussite des projets d’internationalisation. Mais les logiques d’internationalisation varient selon les secteurs d’activité, les marchés, l’actionnariat, les types d’organisation et, évidemment, les compétences dont l’entreprise a besoin. Les industries de main-d’œuvre qui requièrent des personnes peu qualifiées rencontrent moins de difficultés pour recruter à partir des filières locales. Dans d’autres secteurs – qui misent sur l’innovation par exemple – elles sont à l’affût de compétences pointues et rencontrent un triple problème : celui de leur recrutement, de leur développement et de leur fidélisation. Alors que la gestion des ressources humaines à l’international se limitait il y a quelques années à celle des expatriés, depuis deux décennies, les entreprises globales pensent de plus en plus souvent la chaîne de valeur au plan international, afin de localiser dans les pays les plus avantageux les différentes phases de leur activité. Elles incluent la problématique RH dans leur prospective stratégique. L’internationalisation des ressources humaines excède alors largement le cas des seuls expatriés. Ceux-ci continuent d’être présents à la marge, la majeure partie des cadres nationaux travaillant à l’international étant davantage concernés par des missions courtes à l’étranger ou des contrats locaux que par une expatriation à proprement parler. L’internationalisation concerne aujourd’hui essentiellement la main-d’œuvre recrutée localement, à qui l’entreprise doit offrir des perspectives de formation et de carrière à l’étranger, à l’image de ce qu’un salarié peut attendre d’un groupe international.

Quels sont ces enjeux RH pour les entreprises globales ?

Recruter des compétences pointues à l’international pose à la fois un problème quantitatif quand, par exemple, les marchés se développent à l’étranger et qu’il faut très rapidement trouver des compétences spécifiques pour faire face à ces débouchés, et un problème qualitatif, celui de la formation des personnes que l’on souhaite recruter. Les questions portent à la fois sur les profils recherchés, les critères, les méthodes et les canaux de recrutement, qui diffèrent significativement des pratiques du pays d’origine. Il faut promouvoir des réseaux spécifiques, des partenariats avec des établissements de formation et, surtout, des systèmes de parrainage par les salariés eux-mêmes, avec, à la clé, un intéressement incitatif. Le turnover, notamment dans les pays émergents, est important du fait du dynamisme économique de ces régions et de la vitalité du marché de l’emploi local. La fidélisation de la main-d’œuvre est donc importante pour un retour sur investissement des formations dispensées par l’entreprise. Il est nécessaire d’offrir de réelles perspectives de carrière, passant le plus souvent par la mobilité internationale avec tous les problèmes que cela pose. En effet, s’il est généralement facile d’inciter à une mobilité est-ouest vers les sièges où d’autres unités dans le monde occidental, il est beaucoup plus difficile ensuite de convaincre les intéressés ou bien de retourner dans leur pays d’origine ou, plus généralement, d’accepter une mobilité ouest-est vers des pays en développement réputés difficiles.

Au plan de la culture d’entreprise, il importe ensuite de savoir gérer l’équilibre entre l’uniformisation des compétences et des procédures au plan international et l’adaptation locale, sachant que deux domaines résistent en tout état de cause à l’homogénéisation : le juridique et le social, tributaires des législations et des cultures locales.

À cet égard, quelle a été l’incidence des scandales liés aux mauvaises conditions de travail locales, largement médiatisés ?

La responsabilité sociale des entreprises est avant tout appréhendée en termes de risques, puisque le coût de scandales comme celui de l’effondrement du Rana plaza au Bengladesh peut s’avérer exorbitant. Mais toutes les chartes qui encouragent les grandes entreprises à vérifier la solidité et la résistance au feu des bâtiments, les conditions de salubrité, d’emploi, de travail, etc. émanent en l’état actuel essentiellement de démarches volontaires des entreprises concernées. De plus, lorsque la volonté d’améliorer les choses existe, la réalité résiste le plus souvent. Entre menacer de dénoncer un accord de sous-traitance et la possibilité réelle de le faire, il y a une marge; on ne change pas du jour au lendemain l’organisation de la production, cela prend du temps et il faut pouvoir contrôler, s’adresser à des partenaires travaillant autrement, déplacer les unités de production, etc. Le risque est désormais un facteur que la gestion internationale des ressources humaines doit intégrer.

De quelle manière cette internationalisation des RH transforme-t-elle la fonction ?

La fonction RH est la dernière de l’entreprise à s’internationaliser, bien après les fonctions commerciales, de R & D et de production. Cependant, cela évolue, non d’ailleurs parce que les DRH auraient une carrière internationale, mais parce que l’entreprise fait en son sein de plus en plus de place à des salariés ayant travaillé au niveau opérationnel à l’étranger. Par ailleurs, on commence à valoriser au sein de la fonction RH des personnes ayant fait au moins une partie de leurs études à l’étranger, davantage en mesure d’appréhender la réalité du personnel international. Des progrès ont été réalisés, ne serait-ce que dans la pratique des langues étrangères. Les services ressources humaines français ont également un atout, dans la mesure où ils savent être innovants et à l’écoute des particularités locales, ce qui leur permet de s’adapter. Le danger serait à ce niveau de chercher coûte que coûte à copier les entreprises américaines, qui tendent à imposer un formatage par les processus et la modélisation des bonnes pratiques. Un équilibre est cependant à trouver entre une formalisation excessive et des consignes trop vagues, qui embarrassent nos interlocuteurs étrangers. Le développement conjoint de compétences interculturelles et de la réflexion stratégique devrait permettre de remédier à ce risque.

SYLVIE CHEVRIER PROFESSEURE EN GRH

Parcours

→ Sylvie Chevrier, professeure en sciences de gestion, est directrice adjointe de l’Institut de recherche en gestion (IRG), coresponsable du master GRH et mobilité internationale de l’IAE Gustave-Eiffel (Paris Est-Marne-la-Vallée).

→ Ses travaux de recherche portent sur l’enracinement culturel des pratiques de gestion et le management en contexte multiculturel.

→ Elle est l’auteure du Management interculturel (PUF, 2013).

Lectures

→ Gestion internationale des ressources humaines, M. Barabel et O. Meier, Dunod, 2014.

→ Gestion des ressources humaines internationales, coord. M.-F. Waxin et C. Barmeyer, éditions Liaisons, 2008

Auteur

  • PAULINE RABILLOUX