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TEMPS PARTIEL : Les employers composent avec la réforme

L’enquête | publié le : 07.10.2014 | ÉLODIE SARFATI

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TEMPS PARTIEL : Les employers composent avec la réforme

Crédit photo ÉLODIE SARFATI

Minimum de 24 heures hebdomadaires, compléments d’heures par avenants, majorations… La loi de sécurisation de l’emploi a modifié en profondeur la législation des temps partiels, et placé la négociation de branche au cœur du dispositif. Entre dérogations et risques juridiques, contraintes d’organisation et assouplissement des contrats, les effets de la réforme s’annoncent ambivalents.

Le patron de la CGPME, Jean-François Roubaud, y avait vu une « folie », l’UPA un dispositif destructeur d’emplois, les syndicats signataires de l’ANI du 11 janvier 2013 un levier contre la précarité. Redouté ou espéré, le big bang de la réforme du temps partiel n’a pour l’heure pas eu lieu. Car, trois mois après l’entrée en vigueur de cette nouvelle réglementation, c’est d’abord la manière d’y déroger qui semble prendre le pas.

D’abord au niveau des branches. Rares sont, parmi les accords conclus sur le temps partiel, ceux qui intègrent le seuil des 24 heures de travail par semaine (lire p. 22). Ensuite au niveau des entreprises. Même dans les branches où les partenaires sociaux ont dérogé au seuil légal, il n’est pas toujours évident de se conformer au texte signé. « Notre accord de branche prévoit un seuil à 16 heures par semaine, mais, dans le secteur, il y a beaucoup de contrats de 5 ou 10 heures, pour lesquels il sera très difficile de trouver du travail en plus », souligne ainsi Bertrand Castagné, vice-président de la Fédération des entreprises de propreté (FEP). Et de nombreux secteurs n’ont pas (encore) réussi à s’accorder sur le sujet – c’est le cas pour les branches des HCR (hôtels, cafés, restaurants), des services à la personne ou encore des organismes de formation.

Du coup, les entreprises « tentent de bénéficier autant que possible des dérogations individuelles prévues par la loi, constate Karine Hollmann-Agard, avocate au cabinet Lérins. Soit en embauchant davantage d’étudiants pour les emplois qui le permettent et auxquels les 24 heures hebdomadaires ne s’appliquent pas, soit en demandant aux nouvelles recrues d’accepter de travailler moins d’heures ».

MISE EN CONFORMITÉ REPOUSSÉE À 2016

Quant aux salariés à temps partiel déjà en poste, et qui peuvent demander une augmentation de leurs heures, « les entreprises ont tendance à repousser le problème au 1er janvier 2016, date à laquelle elles devront mettre les contrats en conformité avec le seuil légal ou conventionnel », complète Aymeric Hamon, avocat au cabinet Fidal.

Exemple à Vitalliance, société d’aide à domicile pour personnes âgées. La direction s’est rapprochée des salariés dont le contrat de travail est inférieur à 24 heures, soit environ la moitié des 2 000 auxiliaires de vie, indique son dirigeant, Julien Castel. « Nous devons anticiper pour éviter d’avoir à régulariser tout le monde en 2016. Nous demanderons à ceux qui souhaitent travailler moins de 24 heures de nous en faire la demande par écrit. Pour les autres, on se donnera jusqu’à 2016 pour leur proposer des missions complémentaires. Mais, d’ici là, beaucoup ne travailleront plus avec nous, et nous aurons peut-être un accord de branche dérogatoire. » Quant aux recrutements, le seuil de 24 heures le conduit à « reculer un peu les embauches en attendant d’avoir suffisamment de missions à proposer, sauf si on a des dérogations individuelles ».

UNE OPPORTUNITÉ POUR CERTAINS

Emmanuel Gautret est plus serein. DG adjoint en charge des RH du groupe Armonia (société d’accueil comprenant notamment Phone Régie), il voit même dans la réforme une « opportunité » : « Nous allons essayer de négocier avec nos clients l’extension des horaires d’accueil, ou la prise en charge d’autres tâches comme le petit secrétariat, la gestion du parc automobile… » Pour lui, la réforme sera « gérable » : « D’une part, les dérogations prévues par la loi correspondent à nos spécificités, car nous faisons souvent appel à des étudiants ou à des artistes qui cherchent seulement des compléments d’activité, souligne-t-il. D’autre part, nous sommes en mesure de proposer des postes sur d’autres sites à ceux qui voudront augmenter leurs heures. »

Quelques entreprises sont allées plus loin en abordant la question de manière collective. Axeo Services, réseau d’agences de services à la personne, s’apprête ainsi à mettre en place un système d’annualisation pour accompagner une montée en charge progressive des heures de travail (lire p. 24). Et chez Ikea, un accord d’entreprise a redéfini les droits des salariés à temps partiel (lire p. 23). Néanmoins, ces exemples font figure d’exception, selon Aymeric Hamon : « Le report de l’application de la réforme, du 1er janvier au 1er juillet 2014, a été dévastateur en termes de communication envers les entreprises. Elles se sont dit que ce n’était plus le sujet principal. »

Il faut dire que la réforme s’est surtout discutée, et se discute encore, au niveau des branches. Là où se définissent, outre les seuils, les modalités d’organisation des horaires de travail, ainsi que l’encadrement des compléments d’heures par avenants temporaires. Ce dispositif, désormais autorisé par la loi à condition d’être prévu dans un accord de branche, pourrait bien se banaliser. Car l’intérêt des employeurs pour cet outil est indiscutable. C’est pour pouvoir en disposer que ceux de la grande distribution ont ouvert une négociation sur le temps partiel, alors que la convention collective prévoyait depuis 2008 un seuil de 25 heures hebdomadaires. Dans des secteurs comme le transport de voyageurs, où les entreprises estiment ne pas être assujetties à la réforme du fait de l’utilisation de CDI intermittents (ce point est toutefois contesté par certains syndicats), des négociations pourraient tout de même s’ouvrir dans cette même perspective. Dans la propreté ou la restauration rapide, les avenants temporaires étaient largement utilisés avant que la Cour de cassation n’oblige à les considérer en 2010 comme des heures complémentaires. « Depuis, les salariés ne comprenaient pas pourquoi ils ne pouvaient pas travailler au-delà de leur base horaire contractuelle, notamment les étudiants pendant les vacances scolaires », remarque Hubert Mongon, président de la commission sociale du Snarr (restauration rapide), qui y voit donc une opportunité pour les salariés.

Ce n’est pas l’avis de Patrick Ertz, président de la fédération commerce et services de la CFTC. Pour lui, la plupart des accords de branche ne limitent pas suffisamment ces compléments : « La grande flexibilité qu’ils permettent risque d’inciter les entreprises à recruter à temps partiel plutôt qu’à temps plein. »

BESOIN DE VISIBILITÉ

Alors, de quel côté – moins de précarité ou plus de flexibilité – la réforme du temps partiel fera-t-elle, à terme, pencher la balance ? Pour se donner un peu plus de visibilité, les partenaires sociaux de la branche de l’animation et de celle du sport ont prévu, dans leur accord, de rouvrir la négociation en 2017. « Nous nous sommes engagés à créer un observatoire des pratiques en matière de temps partiel pour pouvoir, à partir des données recueillies, évaluer la pertinence des mesures et trouver si nécessaire des ajustements, explique le délégué général du CNEA (Conseil national des employeurs d’avenir), signataire dans les deux branches. À défaut de négociation, les minima horaires des salariés à temps partiel seront réévalués automatiquement. »

Dans l’intervalle, des mesures doivent être prises par la branche de l’animation pour développer la mutualisation des emplois. Et, dans la propreté, l’accord prévoit d’élaborer des chartes partenariales avec les donneurs d’ordre pour promouvoir le travail en journée et lutter, aussi, contre la dispersion des horaires. De fait, comme le rappelle Françoise Milewski, économiste à l’OFCE, la précarité liée au temps partiel est « multidimensionnelle » (lire p. 25), et le faible volume d’heures travaillées n’en est qu’une composante. Celle que la réforme a rendue le plus visible.

NOUVELLES RÈGLES, NOUVEAUX LITIGES ?

Depuis le 1er juillet, les contrats de travail doivent prévoir une durée du travail de 24 heures hebdomadaires minimum (ou un seuil inférieur défini par la branche). Sauf si le salarié fait une demande écrite et motivée pour travailler moins. Ces dérogations « présagent des contentieux futurs, prévient Karine Hollmann-Agard, avocate au cabinet Lérins. Certaines entreprises introduisent dans les contrats de travail des clauses stipulant par exemple que, pour des raisons exceptionnelles, la durée hebdomadaire du travail pourra être abaissée sous le seuil légal, ou que celui-ci prend en compte les heures complémentaires. Ces échappatoires rédactionnelles pourraient aboutir à des requalifications en cas de contestation ».

Les salariés embauchés avant le 1er juillet peuvent demander à augmenter leur temps de travail pour atteindre le seuil légal ou conventionnel. Toutefois, l’employeur peut refuser jusqu’au 1er janvier 2016, s’il le justifie par une impossibilité liée à l’activité économique de l’entreprise. « Mais la loi ne précise pas ce que recouvre cette notion, distincte de la notion de difficulté économique. Il y a là un potentiel de contentieux », avance Aymeric Hamon, avocat au cabinet Fidal.

Un accord de branche peut prévoir d’augmenter temporairement la durée du travail prévue au contrat, dans la limite de huit avenants par an. Les heures effectuées dans le cadre de ces compléments d’heure ne sont pas majorées (sauf si un accord de branche le prévoit). Pour Michel Miné, professeur de droit du travail au Cnam, « cette différence de traitement entre les salariés à temps plein, pour qui les heures supplémentaires sont majorées, et les salariés à temps partiel, va à l’encontre de la jurisprudence européenne.

Elle constitue aussi une discrimination indirecte à l’égard des femmes, qui forment la majorité des salariés à temps partiel. Il y a donc un risque que certaines dispositions soient remises en cause, comme avec les forfaits-jours, et que des employeurs soient condamnés, même s’ils appliquent de bonne foi ce qui a été négocié dans leur branche ».

CHIFFRES CLÉS

Les salariés à temps partiel sont à 82 %DES FEMMES.

Parmi eux, UN TIERS SONT À TEMPS PARTIEL“SUBI”, 30 % ont des horaires variables et 48 % travaillent plus de 5 jours par semaine. 63 % sont des employés, 11 % des ouvriers non qualifiés.

Ils sont salariés du SECTEUR TERTIAIRE À 90 %, 16 % ont plusieurs emplois.

48 % travaillent moins de 24 heures par semaine. Ils travaillent en moyenne 23,2 HEURES PAR SEMAINE.

La moitié d’entre eux ont un SALAIRE NET INFERIEUR À 850 EUROS PAR MOIS.

Ils sont MOINS FRÉQUEMMENT ABSENTS que les salariés à temps complet, mais la durée des arrêts est plus longue.

Source : Dares, Anact.

Auteur

  • ÉLODIE SARFATI