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avec “Women in SME”, LE RHÔNE S’INSPIRE D’UN MODÈLE SUISSE

ZOOM | publié le : 14.10.2014 | V. Vigne-Lepage

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avec “Women in SME”, LE RHÔNE S’INSPIRE D’UN MODÈLE SUISSE

Crédit photo V. Vigne-Lepage

La chambre des métiers et de l’artisanat du Rhône lance une opération de validation des acquis de l’expérience (VAE) permettant de diplômer une dizaine de femmes de dirigeants de TPE-PME. Et, pour ce faire, reprend une démarche suisse. Une opération qui pourrait faire évoluer le processus de VAE en France.

Depuis mi-septembre, en Rhône-Alpes, une dizaine de femmes conjointes de responsables de PME-TPE suivent un parcours de validation des acquis professionnels (VAE) pour les compétences qu’elles ont développées lors de leur participation à la création et la gestion de ces entreprises. En effet, ces conjointes y jouent souvent un grand rôle (comptabilité, gestion du personnel, etc.), et ont acquis des compétences sur le tas. La reconnaissance de leur expérience et l’obtention d’un diplôme leur permettra de sécuriser leur propre parcours professionnel, et également la pérennité de ces PME en cas de décès ou d’impossibilité de travailler de leur conjoint. Cet enjeu de pérennité pour ces TPE-PME est d’autant plus grand que, d’après une étude de la Commission européenne(1), ces entités, majoritairement fondées sur un couple, ont été à l’origine de 85 % des créations nettes d’emplois dans l’UE entre 2002 et 2010.

Particularité de cette opération de VAE rhônalpine : elle repose sur le transfert pédagogique d’une expérience suisse, qui, elle-même, fait suite à une précédente expérimentation européenne à laquelle participait déjà la France. La démarche s’inscrit dans le cadre du projet européen “Women in SME” (“Femmes dans les PME”), lancé en octobre 2013, et qui vise à opérer, d’ici à septembre 2015, un transfert d’innovation en matière de VAE de la Suisse vers la France, les Pays-Bas et la Slovénie. Women in SME prend la suite du projet Ecoa (“Europe des conjoints d’artisans”) qui l’a précédé de 2005 à 2009, et qui impliquait sept pays(2). Ecoa et Women in SME sont tous deux financés par le programme européen Leonardo da Vinci.

La chambre des métiers et de l’artisanat du Rhône est le partenaire français de Women in SME, et dispose à ce titre d’un budget de 382 000 euros. Il participe à ce financement à hauteur de 25 %; l’Europe prend en charge les 75 % restants.

Besoin de professionnalisation

« Bien que la France soit dotée d’un diplôme d’assistant de dirigeant d’entreprise artisanale (Adea), de nombreuses conjointes ne le possèdent pas : il y a un besoin de professionnalisation », explique Martine Gravayat, responsable de formation et pilote du projet à la chambre consulaire. « D’autant que la gestion d’une entreprise s’est complexifiée », commente Lucien Boiché, directeur du service formation professionnelle de la chambre.

Le projet Women in SME en est à mi-parcours, dans la mesure où la première phase consistait pour les Suisses à présenter aux autres pays participants les outils qu’ils ont construits, et à former les acteurs de chaque pays. La seconde phase, débutée en septembre, est celle de l’expérimentation de ces outils par des groupes pilotes dans chaque pays et de l’adaptation aux contextes nationaux. Si elle est concluante, cette expérimentation pourrait faire évoluer le processus de toute VAE en France.

Concrètement, les candidates passent d’abord par une phase d’autoévaluation en répondant à un questionnaire basé sur un référentiel de 60 compétences (une version simplifiée du modèle suisse qui en propose 400). « Nous avons adapté ce référentiel aux entreprises artisanales, commente Martine Gravayat. En effet, notre diplôme est de niveau IV et non III comme le brevet suisse. Certaines questions, notamment celles relatives aux marchés internationaux, ne sont pas pertinentes, alors que d’autres, spécifiques à la France, comme la conduite d’entretiens individuels, sont à ajouter. » Il a fallu aussi l’adapter aux questions prévues dans le dossier de preuves du dispositif français.

Autoévaluation

« Cette phase d’autoévaluation permet aux candidates d’avoir une première réflexion, poursuit Martine Gravayat. Au stade du dossier de preuves, elles savent quels exemples détailler. Cela limite les abandons ou validations partielles. Grâce à l’autoévaluation, la candidate peut dire d’emblée qu’elle n’a pas telle ou telle compétence et engager toute de suite une formation pour l’acquérir, au lieu d’attendre le refus du jury. »

Ensuite, les candidates bénéficieront d’un accompagnement collectif, indispensable pour ces femmes qui ont un fort besoin de réassurance. En Suisse, les consultants ont organisé des réunions lors de trois week-ends dans un hôtel, et ont travaillé en sous-groupes à partir des réponses apportées par chacune au questionnaire d’autoévaluation. « Pour chaque compétence, une ou deux femmes disant avoir les ressources expliquent aux autres ce qu’elles font pour la déployer », explique Diane Reinhard, du cabinet suisse PotentialYse, créatrice du questionnaire d’autoévaluation.

Entre deux rencontres, les participantes se sont même parfois contactées spontanément, prouvant l’intérêt de la réassurance par des pairs. Le profil de compétences des animateurs, chargés de favoriser ces échanges, s’est cependant révélé important : « Il y avait des femmes dirigeantes de PME d’au moins 10 salariés, un homme chef d’entreprise et économiste, et moi-même, coach et chef de PME, détaille Diane Reinhard. Il faut des personnes ayant l’expérience de la direction d’entreprise, mais aussi une capacité à expliquer et un solide background en économie. »

Innovation pédagogique

L’accompagnement sera similaire en Rhône-Alpes, mises à part certaines modalités pratiques. « En France, dans un tête-à-tête classique entre un candidat à la VAE et un conseiller, la qualité de l’accompagnement dépend fortement de ce conseiller, constate Martine Gravayat. L’intérêt, dans ce projet européen, est que les échanges sont transversaux et se basent sur un outil exogène à la relation : le questionnaire. Il a paru difficile d’organiser les rencontres du groupe pilote français sur des week-ends, comme l’ont fait les Suisses. Mais il est également difficile de soustraire une personne à son entreprise deux jours de suite en semaine. Nous avons donc choisi de répartir les six jours de rencontres en une fois deux jours (fin septembre-début octobre), deux fois un jour et une dernière fois deux jours. Le tout étalé jusqu’en juin, date de présentation des dossiers au jury. Les Suisses préconisent un maximum de travail pendant ces temps d’accompagnement, profitant du support des autres. »

Pour Lucien Boiché, « ce projet apporte une véritable innovation pédagogique, qui peut faire évoluer nos pratiques. La VAE, peu investie par l’artisanat, pourrait développer la professionnalisation des responsables de PME ayant peu de temps à consacrer à la formation ».

LINE PILLET DIRIGEANTE DU CABINET PILLET & PARTNERS, PILOTE DU PROJET POUR LA SUISSE
« Un brevet spécial pour la VAE »

« Dans le cadre du programme européen Ecoa (Europe des conjoints d’artisans), Européens et Suisses ont élaboré une classification des compétences de ces femmes cocréatrices de fait de ces TPE, avec notamment un module sur l’articulation entre vies privée et professionnelle. Ce référentiel était assez général, mais a permis d’avoir un dénominateur commun. La Suisse a ensuite enrichi cette base pour créer un diplôme supérieur ad hoc (niveau III), le “brevet de spécialiste de gestion de PME”. Aidés de l’université de Saint-Gall, nous avons listé jusqu’à 400 ressources-compétences du candidat, avec différents niveaux définis à l’aide de la taxonomie de Bloom, un modèle de classification des niveaux d’acquisition de connaissances : restitution, compréhension, application, analyse, synthèse, évaluation. Validé par le ministère fédéral de la Formation professionnelle en 2013, il a été, depuis, obtenu par douze femmes d’un groupe pilote de quinze, les trois autres ayant cinq ans pour compléter leur dossier. Particularité de ce brevet : il a été conçu spécialement pour être délivré par la VAE, puis ensuite adapté, à la demande du ministère, à un accès aussi par voie “modulaire”, dénomination suisse de la formation continueclassique. De ce transfert de la Suisse vers la France, nous espèrons de bonnes idées en retour : lorsque les premières femmes françaises auront élaboré leurs dossiers, elles nous serviront d’exemples. En France, la VAE jouit d’une antériorité et d’une reconnaissance de fait, car elle est inscrite dans la loi. Alors qu’en Suisse, elle est encore le parent pauvre de la formation. Nous avons un important travail de marketing à faire. »

DIANE REINHARD CABINET SUISSE POTENTIALYSE, CRÉATRICE DU QUESTIONNAIRE D’AUTOÉVALUATION
« Le temps d’accès au diplôme est raccourci »

« À partir du référentiel de compétences ou ressources, j’ai créé le questionnaire d’autoévaluation. Proposé en libre accès sur Internet, celui-ci permet aux femmes potentiellement intéressées par cette VAE, de vérifier si elles sont bien concernées. C’est le cas si elles peuvent répondre à 60 % des questions. Celles-ci vont des aspects stratégiques à l’opérationnel. Nous avons fait ce choix pour que les femmes soient immédiatement conscientes du niveau requis. Si elles trouvent le test trop difficile, c’est qu’elles n’assurent que des tâches administratives dans leur entreprise. La VAE menant au brevet n’est pas pour elles, et nous les orientons alors vers le certificat de capacité, d’un niveau inférieur. Le temps d’accès au diplôme est ainsi raccourci, ce qui est important pour ces dirigeantes d’entreprise peu disponibles. Par rapport à la voie scolaire, nous estimons que le gain est de 800 heures de travail en moins, et de 7 000 francs suisses (environ 5 800 euros). En effet, les participantes au groupe pilote ont payé 3 000 francs suisse pour leur VAE, alors que le coût du cycle scolaire est de 10 000 à 11 000 francs suisses. »

<ec.europa.eu/enterprise/policies/sme/facts-figures-analysis/performance-review/index_en.htm>

France, Allemagne, Italie, Irlande, Hongrie, Norvège et Suisse.

Auteur

  • V. Vigne-Lepage