logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

L’interview

Fabienne Autier : « La GRH par âges est une segmentation pertinente pour les DRH »

L’interview | publié le : 23.12.2014 | Violette Queuniet

Image

Fabienne Autier : « La GRH par âges est une segmentation pertinente pour les DRH »

Crédit photo Violette Queuniet

La relation au travail n’est pas une question de génération mais une question d’âge. Les ressorts de la motivation changent selon les périodes de la vie professionnelle. Les entreprises gagneraient à mettre en place une GRH par âges.

E & C : Au terme d’une enquête menée auprès de 100 cadres de tous âges, métiers et secteurs d’activité, vous récusez l’approche générationnelle pour caractériser la relation au travail. Pourquoi ?

Fabienne Autier : Le but de cette enquête était de rechercher la dynamique interne qui lie chacun d’entre nous au travail. L’approche générationnelle est vite apparue comme une impasse. Elle ne dit pas grand-chose à part que nous sommes différents, et elle risque de poser les ferments d’une incompréhension réciproque.

L’approche par âges, au contraire, paraît beaucoup plus féconde. Selon les différents âges de la vie, nous n’attendons pas la même chose du travail. Dès lors qu’on admet cette dynamique d’âges, on est beaucoup plus ouvert à comprendre la logique de l’autre : parce qu’il a été jeune, un manager de 40 ans peut comprendre ce qui motive les plus jeunes de son équipe. De même, il peut mieux percevoir les attentes des seniors en sachant que ce sera aussi sa propre trajectoire.

Cette dynamique d’âges se traduit par trois grandes phases dans la carrière. Quelles sont-elles ?

Le travail offre l’opportunité de nous engager dans trois registres d’activité. Le premier est celui des obligations. Elles s’imposent à tous, c’est le dénominateur commun de ce que nous allons tous faire au travail, puisque c’est la base du contrat de travail, la raison pour laquelle nous sommes rémunérés. Le deuxième registre est celui des initiatives. Ce sont des activités par lesquelles on cherche à se singulariser. C’est une façon particulière de faire ce qu’on a à faire en mettant en place des façons qui nous sont propres. Le troisième registre est celui des aspirations : elles expriment un besoin de sens, non pas dans les aspects extérieurs de la réalisation des missions professionnelles, mais dans la finalité que nous attribuons à ce que nous faisons. Ces deux derniers registres ne sont pas investis par tous : chacun décide, ou non, de s’y engager.

On constate que ces registres sont plus ou moins moteurs de la motivation à travailler selon les différents âges de la vie. La découverte la plus frappante de l’enquête est l’importance des obligations dans la première partie de la vie professionnelle. Leur côté structurant est recherché par les jeunes, contrairement aux idées reçues sur la recherche d’autonomie de la génération Y. Ce n’est que lorsqu’il commence à bien connaître son métier que le jeune professionnel va se tourner vers le moteur des initiatives, pour s’affirmer comme un être singulier dans le monde dans lequel il travaille. Cette phase peut être plus ou moins longue et se clôt par un troisième rendez-vous, généralement à l’aube de la cinquantaine. L’individu ressent tout à coup une lassitude assez forte alors même que rien n’a changé et qu’il affiche un parcours de réussite : c’est la crise de milieu de vie professionnelle qui ouvre sur un possible investissement dans la phase des aspirations.

Quelles sont les actions RH à mettre en place lors de ces différentes phases ?

Lors de la première phase, il faut être extrêmement clair sur les obligations. S’il fallait donner un seul conseil aux DRH, ce serait d’arrêter de raconter aux jeunes que tout est possible, qu’on attend d’eux de la prise d’initiative. Il n’y a rien de plus angoissant pour eux que de leur dire que tout est possible alors que ce n’est pas le cas. Il faut d’abord être très explicite sur ce qu’on attend d’eux.

Autre message : donner du feed-back… ce qu’on ne sait pas bien faire en France, malgré le déploiement de l’entretien annuel d’évaluation. Le mentorat est également un outil intéressant à condition que le jeune ait la possibilité d’identifier lui-même son mentor.

Et dans la phase des initiatives ?

La priorité ici est l’accompagnement de carrière pour permettre aux personnes qui le souhaitent de saisir des opportunités, de prendre des responsabilités croissantes. Les leviers de motivation sont clairement, dans cette phase, la rémunération, la promotion hiérarchique. Le problème est qu’il y a de moins en moins de places à prendre en promotion verticale. Il serait donc utile d’aider les managers de ce type de collaborateurs à identifier les initiatives qu’ils aimeraient porter, en parallèle de leurs obligations, en mode projet, par exemple. Une partie de l’entretien annuel pourrait y être consacrée.

La phase des aspirations est plus compliquée à traiter car les leviers de motivation ne sont plus externes mais internes.

Effectivement. Clairement, ce n’est pas aux entreprises de prendre la main. La recherche d’aspirations est, par définition, individuelle. En revanche, les DRH ont un rôle à jouer pour ne plus faire de ce rendez-vous de la vie professionnelle un tabou. Car c’est ainsi que le vivent ceux qui ont fait l’expérience de cette crise de milieu de vie professionnelle. Or cette crise est une crise de sens, un rendez-vous normal et qui n’a rien de pathologique. Tout en étant en “monitoring passif”, l’entreprise doit adopter une posture d’accompagnante : proposer par exemple à l’individu d’utiliser ses droits à la formation pour faire un bilan professionnel, avoir quelques séances de coaching pour y voir plus clair et prendre du recul.

Autre modalité d’accompagnement : être ouvert sur des propositions autour des besoins de transmission, des besoins d’utilité, un registre que les professionnels en dernière partie de carrière investissent souvent parce qu’il est porteur de sens. Il ne s’agit pas d’imposer des missions humanitaires aux collaborateurs – comme on a pu le voir dans certaines entreprises – mais de laisser une place à ce type de propositions.

Il faudrait donc mettre en place une GRH par âges ?

Exactement. C’est une des leçons de cette étude. Aujourd’hui, on segmente beaucoup la GRH par catégories (cadres et non-cadres), par talents, etc. La segmentation par âges nous semble faire vraiment sens et justifierait un accompagnement RH différent selon les grandes périodes de vie.

À mon avis, les DRH ont tout à gagner. Dans les phases 1 et 2, il y a des enjeux forts de fidélisation des talents. Dans la phase 3, des enjeux de motivation. On s’aperçoit que les individus qui ont pu s’investir dans leur dernière partie de carrière sur leurs aspirations sont très remotivés dans leur travail et beaucoup plus efficaces dans leur façon de mener leurs obligations. Bref, la gestion par âges, c’est vraiment du gagnant/gagnant.

Fabienne Autier Professeur-chercheur en management RH

Parcours

→ Fabienne Autier, docteur en sciences de gestion, est professeur-chercheur en management des RH à l’EM Lyon Business School. Elle intervient en formation initiale et continue auprès d’étudiants et de managers.

→ Elle est l’auteure de L’Antibible des ressources humaines : 10 principes de la GRH à l’épreuve des faits (Village mondial, 2009) et vient de publier, avec Sanjy Ramboatiana, Travailler, pour quoi faire ? Traité de réussite professionnelle à l’usage de tous (Gereso éditions, 2014).

Lectures

→ Le travail à cœur, Yves Clot, La Découverte, 2010.

→ Éloge du carburateur – Essai sur le sens et la valeur du travail, Matthew B. Crawford, La Découverte, 2009.

→ The Overworked American, Juliet B. Shor, Basic Books, 1992.

Auteur

  • Violette Queuniet