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L’interview

« IL Y A UN DÉCALAGE FLAGRANT ENTRE LA RHÉTORIQUE RH ET L’ACTIVITÉ EFFECTIVE DES DRH »

L’interview | publié le : 27.01.2015 | Pauline Rabilloux

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« IL Y A UN DÉCALAGE FLAGRANT ENTRE LA RHÉTORIQUE RH ET L’ACTIVITÉ EFFECTIVE DES DRH »

Crédit photo Pauline Rabilloux

S’il veut participer à la création de valeur, le DRH doit de plus en plus se préoccuper des parties prenantes externes : actionnaires, clients, candidats potentiels. Sa mission se rapproche de ce fait de plus en plus d’une activité de marketing social.

E&C : La mondialisation et l’entreprise réseau impliquent, selon vous, d’étendre les attributions des DRH à la gestion des relations avec les parties prenantes externes. Pouvez-vous préciser pourquoi ?

François Pichault : Je constate que les RH évoluent souvent à des années-lumière de ce qu’on enseigne en GRH. Le lien traditionnel de subordination du salarié avec la hiérarchie de l’organisation existe de moins en moins. Dans l’entreprise réseau, l’essentiel de la relation de travail s’effectue à la croisée de plusieurs liens hiérarchiques. Les partenaires et les clients sont amenés à gérer conjointement ce qui semblait le domaine réservé des ressources humaines internes : le recrutement, la formation, le temps de travail. L’essentiel de ce qui faisait la gestion RH est pris en charge par les partenaires d’affaires. La fonction RH “maison” devient dès lors de plus en plus virtuelle. Il s’agit de faire en sorte que tous les salariés de toutes les entreprises sous-traitantes ou parties prenantes aient l’impression de travailler dans la même entreprise selon les mêmes valeurs alors que leurs contrats de travail sont hétérogènes. Si on prend l’exemple de Thalys, une entreprise née de la réunion de quatre entités différentes, on démombre une centaine de personnes directement sur le “payroll” de l’entreprise, tandis que plusieurs centaines d’autres salariés travaillent pour la marque et sont mises à disposition par la SNCF, la Deutsche Bahn, les chemins de fer belges et hollandais, les sociétés de restauration, etc. Leurs contrats de travail, leurs temps de travail, les systèmes de rémunération sont différents. La fonction RH centrale consiste essentiellement à y gérer la communication d’ensemble en élaborant des chartes de conduite, en organisant des rencontres entre membres du réseau pour partager sur les attentes des clients et des actionnaires… En interne comme en externe, le travail de la DRH revient à fabriquer de toutes pièces une culture qui véhicule l’image de marque de l’entreprise. Le DRH est obligé de délaisser la GRH de proximité pour devenir une sorte de VP Public Affairs, dont les partenaires sont les clients et les actionnaires avant d’être les salariés.

Vous parlez à ce propos de marketing social. Que recouvre ce terme ?

L’activité du DRH consiste souvent aujourd’hui à construire des supports de communication en vue de favoriser l’intégration d’entités de plus en plus hétérogènes. Il est amené à élaborer des enquêtes de satisfaction auprès des clients contribuant à l’évaluation des personnels et aux décisions de renouveler ou non les contrats de service, à commander des audits de qualité sociale auprès des fournisseurs, à concevoir des codes de conduite et des chartes sociales engageant les partenaires dans la voie de la responsabilité sociétale, à médiatiser ces actions par le biais de communication sur le Web, de participation à des conférences, de contacts avec la presse, à faire du lobbying social… Il ne s’agit cependant pas tant de vendre en interne la fonction RH auprès d’une nouvelle catégorie de “clients”, en l’occurrence les salariés, comme le fait le marketing qui vend les produits de la marque aux clients de l’entreprise, mais de construire du collectif à partir de situations de travail différentes. Il est nécessaire aujourd’hui de déborder le cadre juridique traditionnel de l’entreprise pour faire exister des collectifs élargis vis-à-vis des clients.

La fonction RH traditionnelle est-elle destinée à disparaître ?

La situation de chaque entreprise est particulière en fonction de son activité, de son marché, de sa structure organisationnelle, de sa culture. Il appartient à chacune de trouver l’équilibre qui lui convient entre ce que j’appelle un rôle de DRH mécanique, assumant ce qui a trait à l’administration du personnel, un rôle organique qui consiste à orchestrer le recours aux spécialistes et aux outils RH en support à la hiérarchie, et un rôle médiatique de marketing social. Ce qui est clair, en revanche, c’est que le débat des années 1990-2000 sur la nécessaire montée en puissance de la fonction stratégique du DRH est obsolète. Dans le top 100 des plus grosses entreprises américaines, la part business partner n’a pas bougé depuis les années 19901. Elle plafonne environ à 25 % de l’emploi du temps des DRH, et je le constate également en Belgique dans les entreprises que je rencontre. Il y a un décalage de plus en plus flagrant entre la rhétorique RH et l’activité effective des DRH. La question n’est pas de savoir si cette situation est souhaitable ou non, mais de constater que l’évolution ne s’est pas faite dans le sens de l’importance croissante d’une GRH stratège. L’ouverture de l’entreprise sur le monde et le fait que le travail s’organise autrement obligent le DRH à se tourner de plus en plus vers l’extérieur. Ce n’est qu’en s’exposant à ces réalités externes qu’il pourra gérer efficacement les besoins de l’entreprise en ressources humaines.

Concrètement, qu’est-ce que cela change ?

Pour les DRH, cela implique à la fois l’apprentissage de nouveaux rôles et l’acquisition de nouvelles compétences. Sans avoir nécessairement plus de pouvoir en interne, ils sont plus exposés au regard de toutes les parties prenantes externes à l’entreprise. Si pouvoir il y a, il s’exprime davantage en termes de capital relationnel et social qu’en termes d’influence sur les décisions stratégiques de l’entreprise. En ce qui concerne les compétences, à côté des savoirs RH traditionnels de gestion du personnel, les DRH doivent être à même de comprendre les enjeux économiques et organisationnels nouveaux. Ils doivent aussi acquérir des compétences en termes de communication, de lobbying, mais aussi en termes juridiques, au-delà du droit social qui faisait traditionnellement partie de leurs attributions. Il appartient aux DRH de savoir sécuriser les relations interentreprises notamment grâce à l’arsenal des normes de certification. Leur vocation n’est cependant pas – sauf à envisager un éclatement de la fonction entre les différents pôles qui la constituent – de devenir des hypertechniciens, mais de sauvegarder l’idée d’une fonction généraliste plus vaste parce que l’entreprise est plus ouverte, plus médiatique au sens étymologique. Une fonction qui fait le lien entre les différents acteurs internes et externes impliqués aujourd’hui dans la création de valeur.

1 Effective Human Resource Management, de Lawler et Boudreau, Stanford University Press.

François Pichault PROFESSEUR EN GRH

Parcours

→ François Pichault, docteur en sociologie, est professeur affilié en gestion des ressources humaines à ESCP Europe. Il est, par ailleurs, professeur à HEC-École de gestion de l’université de Liège (Belgique). Il préside le laboratoire de recherche Lentic, spécialisé dans l’étude des aspects humains et organisationnels des processus de changement et d’innovation.

→ Il est l’auteur de plusieurs ouvrages et vient notamment de participer au livre À quoi ressembleront les RH de demain (dir. de M. Barabel, O. Meier, A. Perret, Dunod, 2014).

Lectures

→ Le DRH innovateur. Management des ressources humaines et dynamiques d’innovation, F. Gallouj et F. Stankiewicz (dir.), Peter Lang, 2014.

→ Effective Human Resource Management. A Global Analysis, E. E. III Lawler et J. W. Boudreau, Standford University Press, 2012.

Auteur

  • Pauline Rabilloux