Les outils numériques transforment les métiers et les organisations. La révolution digitale impose à la fonction RH d’affirmer sa dimension stratégique d’accompagnement du changement et sa capacité à anticiper.
Régine Monti : Comme tous les métiers de l’entreprise, la fonction RH est concernée par l’ensemble des transformations qui l’affectent. Mais, à la différence des autres métiers, la fonction RH est touchée non seulement dans son fonctionnement mais aussi dans sa mission. En effet, de façon grandissante ces dernières années, la fonction RH est beaucoup plus associée à la stratégie et à la conduite du changement. Or, les questions d’évolution des organisations sont intimement liées aux questions du numérique. Le numérique devient donc un de ses terrains d’action essentiel pour répondre à ses missions. Les RH se retrouvent, de façon presque surprenante, aux premières loges de ce sujet, ce que personne n’imaginait-il y a une dizaine d’années.
Les professionnels RH, lorsqu’ils répondent à nos questionnaires sur les évolutions passées, mentionnent quatre changements principaux : la généralisation de la communication par mails et son corollaire, l’infobésité pas toujours maîtrisée ; la généralisation des portails RH, qui ont modifié, plus en profondeur qu’il n’y paraît, la relation entre les salariés, les managers et le service RH ; l’usage des outils numériques au service du recrutement et l’essor de l’e-learning. Plus récemment, les professionnels RH sont sensibles au phénomène des réseaux sociaux et à leur impact sur la marque employeur.
Tout en devenant stratégique, la fonction RH s’est aussi déportée vers les managers. Les professionnels RH considèrent que les outils du numérique ont accompagné ce mouvement, de même qu’ils ont renforcé la tendance à l’individualisme. Grâce à ces outils, les salariés ont désormais très facilement des relations directes avec la DRH et inversement. C’est un changement probablement majeur par rapport aux relations collectives classiques qui étaient la caractéristique des entreprises jusque-là.
Les responsables RH dégagent deux tendances lourdes. La première, c’est l’ouverture de l’entreprise sur l’extérieur, la disparition des frontières. C’est déjà en partie le cas : les DRH ont pris l’habitude de gérer plusieurs statuts, plusieurs relations contractuelles liant les individus et l’entreprise sur plusieurs lieux. Le numérique va accélérer cette tendance jusqu’à des ruptures qui vont questionner en profondeur la fonction RH dans sa dimension d’accompagnement dans et hors de l’entreprise.
Seconde tendance lourde : la montée de la dimension collaborative qui transforme l’entreprise de l’intérieur. Elle trouve sa source dans de nouveaux usages du numérique qui n’avaient pas été anticipés. Les responsables RH avaient, la plupart du temps, bien anticipé le fait que les réseaux sociaux nourrissaient la montée de l’individualisme. Mais ils n’avaient pas toujours vu que la dimension collaborative pouvait transformer plus encore en profondeur les organisations. Ils accompagnent désormais la montée du travail collaboratif entre pairs, ce qui est source de valeur, de talent, d’innovation, mais aussi de perturbation avec la remise en cause de la hiérarchie. Du coup, le rôle du manager va très certainement être modifié en profondeur dans les années qui viennent.
Avec la révolution digitale, on voit aussi émerger un nouveau modèle de management assez éloigné du modèle actuel, qui est celui du management de la performance. Il y aura donc tout un travail de conduite du changement à mener par les RH. La fonction se retrouve au premier plan et les directions générales vont se tourner de plus en plus vers elle pour les accompagner sur ces questions complexes.
Les exercices de prospective RH permettent d’éclairer l’action présente des détenteurs de la fonction à la lumière des futurs possibles. Ce qui est très important, dans cette méthode, est que ce soient les acteurs eux-mêmes qui produisent la réflexion, la ramènent à leurs préoccupations et à leur champ d’action. Il est d’ailleurs intéressant de constater que les RH sont de plus en plus partie prenante de la réflexion prospective des organisations et sont au cœur des réflexions sur les métiers de demain. Ils l’étaient déjà avec les démarches de GPEC dont l’horizon est plus court. Désormais, la prospective RH aborde de nouvelles rives avec le numérique.
La prospective s’intéresse au long terme, car c’est l’horizon des ruptures. Or, le long terme, dans le numérique, c’est trois ans ! Cela interpelle la fonction RH qui peut être tentée de baisser les bras : trois ans, pour faire évoluer une organisation, c’est trop court. Je pense qu’il faut raisonner à l’inverse et être en position d’anticipation. Sur le numérique, il faut, encore plus que sur les autres sujets, avoir un coup d’avance. Cela oblige la fonction RH à quitter une attitude parfois réactive pour une attitude proactive afin d’anticiper les solutions, les innovations… Deuxième conseil : sur ce sujet, il faut travailler avec tous les acteurs de l’entreprise qui comprennent les changements apportés par le numérique, en groupes pluridisciplinaires. La prospective n’est pas un travail en chambre. Le rôle de la fonction RH sera d’animer les processus de réflexion concernant l’impact du numérique sur les ressources humaines de l’entreprise, avec d’autres acteurs au sein de l’organisation, voire à l’extérieur. Enfin, troisième conseil, tout cela peut très bien se faire avec les outils numériques collaboratifs, et là, la boucle est bouclée !
Parcours
→ Régine Monti, docteure en sciences de gestion, est professeure associée au Cnam, École management et société, auprès de la Chaire de prospective et de développement durable. Elle est chercheure associée au sein du Lirsa (Cnam).
→ Elle a publié entre autres articles “Prospective, compétences et gestion des ressources humaines”, in La Prospective stratégique en action (éd. Odile Jacob, 2014).
→ Spécialisée en prospective des RH, elle est directrice associée du cabinet conseil Groupe ressources prospective (Gerpa).
Lectures
→ La Dynamique d’Internet. Prospective 2030, sous la direction de L. Gille et J.-F. Marchandise, Étude pour le Commissariat général à la stratégie et à la prospective, 2013 (<
→ Les valeurs des Européens, rapport de la Commission européenne, baromètre Standard 77, printemps 2012 (<
→ Chindiafrique, J.-J. Boillot et S. Dembinski, Odile Jacob, 2013.