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L’interview

Marc Ferracci : « LA PRÉSENCE SYNDICALE A UNE FONCTION POSITIVE QUAND LE DIALOGUE SOCIAL INFORMEL EST BON »

L’interview | publié le : 17.03.2015 | Pauline Rabilloux

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Marc Ferracci : « LA PRÉSENCE SYNDICALE A UNE FONCTION POSITIVE QUAND LE DIALOGUE SOCIAL INFORMEL EST BON »

Crédit photo Pauline Rabilloux

Le syndicalisme, d’une part, la productivité et la profitabilité de l’entreprise, de l’autre, ne s’opposent pas nécessairement, pour peu qu’on favorise un syndicalisme responsable et représentatif de l’intérêt de toutes les catégories de salariés.

E & C : Quel est l’impact de l’action syndicale sur la productivité et la profitabilité des entreprises ?

Marc Ferracci : Il est difficile de répondre à cette question. Des études comparatives rigoureuses exigeraient de pouvoir, à situations d’entreprises comparables, mesurer précisément et systématiquement la différence en termes de productivité et de profitabilité entre celles où il existe une présence syndicale et celles où il n’y en a pas. Ce type d’évaluation est rare en France. Des études empiriques émanant essentiellement de sources étrangères permettent cependant de voir assez nettement que les réponses ne sont pas univoques. La présence syndicale tend logiquement à augmenter le niveau des salaires dans l’entreprise. On estime de 10 % à 15 % environ la “prime” syndicale sur les salaires. L’impact sur la productivité est, quant à lui, plus ambigu. La présence syndicale peut causer une augmentation de la conflictualité nuisant à la productivité, dans le cas où le dialogue social informel est mauvais et où la satisfaction des revendications ne passe que par la grève. Mais elle peut aussi avoir une fonction positive quand le dialogue social informel est bon, car les syndicats, en jouant un rôle d’information et de médiation, contribuent alors à l’amélioration de l’organisation et des conditions de vie au travail. L’impact sur la profitabilité dépend, pour sa part, de la balance entre la pression à la hausse sur les salaires, induite par la présence de syndicats dans une entreprise, et l’éventuelle augmentation de la productivité, dans le cas où les relations de confiance y sont encore améliorées par le dialogue social formel, augmentant du même coup l’implication au travail des salariés.

Quelles sont les particularités de la situation française ?

Contrairement à ce qu’on a tendance à penser, le syndicalisme est assez présent dans les entreprises françaises, mais il est cependant dans la situation paradoxale d’être peu représentatif de la population salariée – à peine 8 % de syndiqués et seulement 5 % dans le secteur privé –, alors que les accords collectifs couvrent 98 % des salariés. Les partenaires sociaux, en outre, disposent de prérogatives prélégislatives importantes, puisqu’ils négocient en amont des projets de loi intéressant le droit du travail, ce qui leur permet de poser les termes du débat social. Le double problème du dialogue social en France est, d’une part, la faible confiance des salariés vis-à-vis des représentants syndicaux par lesquels ils s’estiment mal représentés, de l’autre, la faible confiance vis-à-vis du management en ce qui concerne le dialogue social informel, dont les enquêtes internationales révèlent qu’il est moins bon dans notre pays que dans les autres pays occidentaux. Partant, faire en sorte d’améliorer la confiance dans les syndicats inciterait certainement le management à être plus conciliant sur des questions importantes pour le quotidien de l’ensemble des salariés. Or les organisations syndicales se préoccupent prioritairement de défendre les intérêts de leurs adhérents, qui appartiennent sociologiquement aux catégories de travailleurs les mieux protégées du fait de leur contrat de travail à durée indéterminée et de leur qualification. A contrario, les populations les plus précaires, notamment les jeunes souvent recrutés en CDD, se voient souvent délaissées dans les négociations. Cela tend à accroître encore le fossé entre les travailleurs les plus qualifiés, dont la situation avoisine le plein emploi, et les travailleurs peu ou insuffisamment qualifiés qui sont souvent également les plus précaires et les plus mal défendus par les syndicats.

Quelles seraient les pistes d’évolution pour le système social français ?

Là où existe un cercle vicieux de la défiance, il est souhaitable de chercher, au contraire, à créer les conditions d’une confiance renouvelée. Augmenter le taux d’adhésion syndicale permettrait d’accroître l’écoute des revendications par le management. Cela servirait aussi le dialogue informel. Pour cela, plusieurs pistes existent. Le levier le plus puissant consisterait sans doute à réserver les avantages négociés par les syndicats aux seuls adhérents, comme cela se fait aux États-Unis ou en Suède. Cette solution radicale semble culturellement et juridiquement difficile à faire passer en France. En revanche, l’idée d’un chèque syndical financé par l’entreprise et attribué par le salarié au syndicat de son choix aurait à la fois le mérite d’encourager les salariés à s’intéresser au débat syndical, puisqu’ils devraient choisir à qui le donner, et instituerait une certaine concurrence entre les syndicats, obligés pour des raisons économiques d’écouter les préoccupations de l’ensemble des salariés.

De manière plus générale, pour éviter que les syndicats ne privilégient la défense des salariés les plus qualifiés et les mieux protégés, il conviendrait de réduire l’écart entre les emplois protégés et les emplois précaires en augmentant fortement les protections liées aux contrats précaires et en réduisant légèrement celles attachées aux CDI. Des mesures comme l’accroissement des cotisations sociales – système de bonus-malus – des entreprises ayant le plus recours aux emplois précaires sont aujourd’hui nécessaires, car elles permettraient de pénaliser celles qui font le choix de la rotation des emplois plutôt que de leur stabilité. Or un salariat à deux vitesses pénalise le rôle d’information et de médiation que les syndicats jouent dans l’entreprise. Mais il revient aussi à ces derniers d’augmenter leur attractivité en développant des contreparties tangibles à l’adhésion syndicale, comme des aides à l’orientation, à la formation ou à la mobilité professionnelles. Il appartient par ailleurs également aux entreprises et aux organisations patronales de jouer le jeu, comme cela peut se faire en Allemagne. Ce pays a largement démontré que la cogestion peut profiter à toutes les parties, tandis qu’en France, la participation des représentants des salariés dans les conseils d’administration fait encore l’objet de réticences dans une partie du camp patronal. Même si les effets de cette participation sur la performance des entreprises ne sont pas univoques, ce type d’évolution permettrait pourtant de construire la confiance entre les partenaires sociaux.

Marc Ferracci ÉCONOMISTES

Parcours

→ Marc Ferracci est professeur en économie à l’université de Nantes (Lemna) et chercheur affilié au Crest (Centre de recherche en économie et statistiques de l’Ensae) et au Liepp (Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques, Sciences Po).

→ Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur la formation professionnelle et sur l’efficacité des politiques publiques. Il vient de publier

Dialogue social et performance économique (aux Presses de Sciences Po).

Lectures

→ Chômage : inverser la courbe, Bertrand Martinot, Les Belles Lettres, 2013.

→ La fabrique de la défiance, Yann Algan, Pierre Cahuc, André Zylberberg, Albin Michel, 2012.

Auteur

  • Pauline Rabilloux