logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

Chronique

LA CHRONIQUE JURIDIQUE D’AVOSIAL

Chronique | publié le : 23.06.2015 | STÉFANIE OUDARD, NICOLAS C. SAUVAGE

Image

LA CHRONIQUE JURIDIQUE D’AVOSIAL

Crédit photo STÉFANIE OUDARD, NICOLAS C. SAUVAGE

LA CJUE VA-T-ELLE LEVER LE VOILE ?Le refus d’un client d’accueillir dans ses locaux une salariée voilée de son prestataire constitue-t-il une « exigence professionnelle essentielle et déterminante » permettant de justifier une différence de traitement et un licenciement C’est la question préjudicielle posée à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).

Une salariée est embauchée par une société de conseil. L’employeur précise alors accepter le port du voile, sauf en cas de contact avec la clientèle.

Malgré cela, la salariée décide d’arriver voilée chez un client, qui se plaint et indique ne pas « souhaiter de voile la prochaine fois ». L’employeur renouvelle sa mise en garde mais la salariée s’obstine et est licenciée. Aux prud’hommes, elle invoque la nullité de son licenciement pour discrimination à raison des convictions religieuses.

La cour d’appel relève que le licenciement n’est pas discriminatoire, admettant que l’entreprise « est […] naturellement amenée à imposer aux employés qu’elle envoie au contact de sa clientèle une obligation de discrétion qui respecte les convictions de chacun, à condition toutefois que la restriction qui en résulte soit justifiée par la nature de la tâche et proportionnée au but recherché ».

Le raisonnement est convaincant, même si la Halde modère le propos : « Le simple fait d’être au contact de la clientèle ne semble pas être en soi une justification légitime pour restreindre la liberté de religion et de convictions du salarié. » Le principe de proportionnalité illustré dans l’affaire Baby Loup a été appliqué. « La restriction que la société […] a alors posée à la liberté de la salariée de manifester ses convictions religieuses par sa tenue vestimentaire a été proportionnée au but recherché puisque seulement limitée aux contacts avec la clientèle, les travaux effectués dans ses locaux par un ingénieur d’études portant un voile ne lui créant aucune difficulté selon ses propres déclarations. »

Sans doute inquiète de l’impact médiatique de sa décision, la Cour de cassation s’en remet à la CJUE. L’article 4 § 1 de la directive susvisée autorise les États membres à prévoir qu’une différence de traitement fondée sur la religion ou les convictions, le handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle « ne constitue pas une discrimination lorsque, en raison de la nature d’une activité professionnelle ou des conditions de son exercice, la caractéristique en cause constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant que l’objectif soit légitime et que l’exigence soit proportionnée ».

Un détail n’a été relevé par aucun commentateur jusqu’à présent : la cour d’appel insiste ici sur le fait que la société cliente voulait ne pas gêner ses propres collaborateurs. Cette référence n’est pas anodine. Les signes ou comportements religieux ostensibles peuvent en effet créer un ressenti de harcèlement moral chez les employés. Donc, pour leur garantir un environnement professionnel non harcelant, les employeurs, obsédés par le risque de violation de l’obligation de sécurité de résultat, pourraient préférer assurer une neutralité totale dans leur enceinte. À cet égard, le règlement intérieur pourrait être une solution si la rédaction est “ciselée”.

Respecter les souhaits du client : cela peut-il être cette exigence professionnelle essentielle et déterminante justifiant une restriction à la liberté religieuse Dans un environnement économique dégradé et un contexte de radicalisation religieuse, quelle décision prendre Entre la satisfaction des clients et le respect de la liberté religieuse des salariés, la CJUE va se livrer à un numéro d’équilibriste.

Auteur

  • STÉFANIE OUDARD, NICOLAS C. SAUVAGE