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Dans le BTP, les politiques zéro accident ancrent la culture de la sécurité

ZOOM | publié le : 01.09.2015 | Rozenn Le Saint

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Dans le BTP, les politiques zéro accident ancrent la culture de la sécurité

Crédit photo Rozenn Le Saint

Longtemps sinistrés par les accidents du travail sur les chantiers, les géants de la construction insistent sur la prévention depuis les années 2000. Au-delà de son effet de communication, l’objectif “zéro accident” mobilise les salariés pour ne plus faire de ces événements une fatalité. À la clé, des récompenses pour les équipes qui parviennent à y échapper.

Qui peut le plus peut le moins. C’est dans cet esprit que les grands groupes du bâtiment et des travaux publics (BTP) ont incité leurs équipes à frôler le zéro accident du travail pour lutter contre la sinistralité sur les chantiers. Un outil de communication dont Philippe Maygnon, directeur partenariat grandes entreprises à l’Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics (OPPBTP), nuance la pertinence : « Je ne suis pas sûr que fixer un objectif de zéro accident change grand-chose dans les groupes où travaillent 30 000 personnes ; c’est quasi inatteignable, souligne-t-il. Cela motive certainement les opérationnels, mais à qui demande-t-on des comptes ? Le préventeur fait ce qu’il peut ; seulement, si derrière, le directeur général de la filiale ne pousse pas, c’est difficile de mettre en place une politique d’envergure. »

Si les directions générales ont commencé à s’intéresser à la prévention des risques professionnels il y a trente ans, motivés par la réduction de leurs cotisations AT-MP, « à présent, c’est davantage l’aspect commercial et social ainsi que l’image véhiculée qui leur importent », analyse-t-il. Il est davantage favorable à la fixation d’objectifs réalistes, qui visent tout simplement à progresser, à terme, en diminuant la sinistralité dans les entreprises et qui seraient selon lui davantage productifs.

Sensibilisation

Pour preuve, les services de prévention à présent bien fournis dans les grands groupes du BTP sont parvenus, à coup d’actions de sensibilisation, à décompter six fois moins d’accidents que dans les autres entreprises du secteur, selon l’OPPBTP. Or ces actions sont intrinsèques à la démarche zéro accident. Cela passe par des journées annuelles consacrées à la prévention pour impliquer l’ensemble du personnel, à l’image de la “Global safety week” organisée par Colas, la filiale de Bouygues, avec l’objectif zéro accident, toujours affiché. Le groupe met en avant la division par deux en treize ans du taux de fréquence des AT, grâce au déploiement d’outils de prévention comme les sensibilisations à la sécurité, qui consomment 40 % des budgets de formations du groupe et sont dispensées via un réseau de 300 préventeurs sur le terrain. « Davantage qu’un réel objectif de zéro accident, la démarche a pour but d’instaurer la culture de la sécurité, qui vise à ne pas accepter l’accident comme inhérent à l’activité de chantier. Cela ne veut pas dire que l’on a une politique parfaite mais que, nécessairement, quand on commence à penser un chantier, on s’oblige à réfléchir dans l’optique zéro accident », témoigne Bruno Magnin, directeur Qualité sécurité environnement (QSE), en charge de la prévention et de la sécurité chez Bouygues Bâtiment Ile-de-France, également président de l’ASE BTP (Animateurs sécurité des entreprises de bâtiment et des travaux publics). Un outil de communication à la base, qui permet de « mobiliser toute l’entreprise, pas uniquement les opérationnels », ajoute-il.

Un objectif réaliste

Et si montrer du doigt les chantiers les plus accidentogènes ne se révèle pas forcément positif, la démarche zéro accident vise aussi à valoriser, à l’inverse, ceux qui en connaissent le moins. Au-delà de l’aspect communication, elle est prise au pied de la lettre dans certains groupes, qui récompensent les équipes échappant à tout incident. Ainsi, l’entreprise Razel-Bec dote ses filiales vierges de tout accident d’une étoile symbolique : une pour une année sans AT, deux pour deux ans, et ainsi de suite. « Montrer qu’il est possible d’atteindre le zéro accident de manière ponctuelle va dans le bon sens, celui de l’exemplarité. C’est davantage réaliste qu’un objectif global de zéro accident sur l’ensemble du groupe », estime Philippe Maygnon.

Mais quand ces récompenses sont accompagnées de primes et font partie intégrante du benchmark de l’entreprise, les effets pervers peuvent immédiatement se faire ressentir, avec des pressions de la part des responsables d’équipe pour que leurs opérationnels ne déclarent pas leurs accidents du travail. Une pression d’autant plus efficace quand la prime est collective. « Il ne faut pas que ce soit zéro accident déclaré en ce sens qu’il faut minimiser les risques, pas les déclarations, nuance d’ailleurs Bruno Cornet, responsable à la FNSCBA-CGT. Il arrive souvent que les responsables d’équipe proposent à l’accidenté du travail de rester chez lui pour ne pas avoir à déclarer l’AT en lui disant qu’il y est gagnant, qu’il continue de toucher son salaire et ses indemnisations panier-repas. » « Dans les grands groupes, cela paraît difficile de cacher les AT, se défend Philippe Maygnon. Nous avons constaté une amélioration de la transparence. À présent, l’information remonte. C’est sans commune mesure par rapport à ce qui était déclaré il y a dix ans », admet quant à lui le responsable QSE de Bouygues Bâtiment.

Valorisation des équipes

C’est pour éviter les stratégies de contournement que pourrait induire cet objectif zéro accident instauré en 2000 par Spie Batignolles que le groupe récompense simplement par des trophées ses collaborateurs les plus exemplaires, sans la carotte de la prime sécurité liée aux résultats, après avoir été attaqué aux prud’hommes en 2013 pour ses pratiques passées. « On ne monnaie pas la sécurité. Les trophées valorisent les équipes qui mènent des actions efficaces en matière de sécurité. Les collaborateurs sont fiers d’être récompensés par ces trophées remis par la direction générale », distingue Philippe Rousseau, directeur de l’écoperformance du groupe Spie Batignolles.

En revanche, dans une démarche proactive, le groupe a mis en place un concours d’innovation pour inciter à faire remonter les bonnes idées destinées à améliorer les conditions de travail avec à la clé, cette fois, un bon d’achat.

Autre piste de réflexion avancée par le spécialiste de l’OPPBTP pour diminuer les déclarations des AT et s’approcher du zéro accident : le reclassement temporaire des personnels victimes d’accidents du travail. Si une cheville blessée à la suite d’une chute sur un chantier empêche un maçon de reprendre son poste, il peut en revanche prêter main-forte dans les bureaux. « La démarche d’essayer de ne pas arrêter les salariés victimes d’un accident du travail en leur proposant un poste de substitution est une pratique “gagnant-gagnant” : le salarié ne subit pas de perte de revenu et l’entreprise ne perd pas de main-d’œuvre », estime Philippe Maygnon. « Cela peut arriver mais, dans tous les cas de figure, cela dépend de l’aptitude de la personne à occuper un autre poste, sur laquelle le médecin du travail se prononce », commente, plus mesuré, l’expert de la sécurité de Bouygues Bâtiment. Bruno Cornet, de la CGT, se dit plutôt favorable à cette démarche, « tant que l’accident du travail est déclaré quoi qu’il en soit. »

Auteur

  • Rozenn Le Saint