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L’interview

Guillemette de Larquier et Géraldine Rieucau : « Les entreprises devraient publier davantage leurs emplois vacants par annonce »

L’interview | publié le : 06.10.2015 | Pauline Rabilloux

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Guillemette de Larquier et Géraldine Rieucau : « Les entreprises devraient publier davantage leurs emplois vacants par annonce »

Crédit photo Pauline Rabilloux

Les annonces représentent une source d’information sur les emplois scrutées par les chercheurs d’emploi ; mais elles sont, au final, peu efficaces pour en trouver un. Renforcer la transparence et l’équité dans la recherche d’emploi, notamment via les annonces, reste un enjeu des politiques publiques.

E & C : Premier canal de recherche d’emploi en France, les annonces ne servent que marginalement à recruter. Comment comprendre ce paradoxe ?

Guillemette de Larquier et Géraldine Rieucau : D’après l’Insee, près de 8 chercheurs d’emploi sur 10 étudient les annonces par voies d’affiche, de presse et sur Internet – dans enquêtes Emploi en continu 2003-2012. Ce canal est la première source d’information sur les emplois vacants. Pourtant, seuls 40 % des chercheurs d’emploi répondent à des annonces, et seulement 7 % des salariés ont trouvé un emploi par ce canal, loin derrière le recrutement par candidatures spontanées – soit 40 % des embauches –, et le réseau (20 %), Pôle emploi (10 %). Parmi les personnes consultant les annonces et y répondant, les seniors, les personnes sans diplôme et celles de nationalité étrangère à la naissance sont sous-représentés. Ces chiffres appellent deux commentaires : on peut supposer, d’une part, une éventuelle difficulté à utiliser ce canal – bien qu’a priori ouvert et très accessible – et, de l’autre, une autocensure des candidats au moment de répondre, du fait du formatage des profils et du type d’emplois proposés dans les annonces.

Cela semble contredire le côté ouvert et accessible du recrutement par annonce. Pourriez-vous préciser ces deux points ?

Le recrutement par annonce est, pour le chercheur d’emploi, un recrutement sans médiation. Il est facile d’accès et gratuit pour les personnes en quête d’emploi, bien qu’il soit coûteux pour l’entreprise, en temps et en argent. Cette dernière doit formuler l’annonce, la faire éditer et, surtout, trier les candidatures reçues, ce qui suppose d’avoir en interne les compétences pour le faire. Le candidat qui envoie son CV et sa lettre de motivation n’est recommandé par personne, ce qui présente un risque pour l’employeur. Étant donné ces inconvénients, on peut comprendre que les organisations ne recrutent par annonce que sur des postes pour lesquels elles sont prêtes à investir – des postes qualifiés et en CDI.

La difficulté d’utilisation de ce canal pour certains profils de candidats peut s’expliquer par le fait que lire et répondre à une annonce suppose de maîtriser les codes de la lecture, de l’écriture et souvent du numérique. Et, même pour ceux qui la consultent sans difficulté, les exigences de l’annonce peuvent les exclure d’emblée quand, par exemple, ils n’ont pas le diplôme requis, ou qu’ils savent d’expérience qu’ils ne correspondent pas au profil et que leur démarche sera sans suite. Ainsi, les chômeurs, qui lisent davantage les annonces que les salariés en recherche de mobilité – ce qui illustre l’accessibilité de ce canal – y répondent moins ; ils s’autocensurent, sans doute parce qu’ils ne se retrouvent pas dans les profils requis. Cela peut même décourager certains d’entre eux au point de considérer la démarche comme inutile.

En quoi cette autocensure rejoint-elle la demande des entreprises ?

En France, les annonces d’emploi sont très formatées. Elles font souvent de la possession du diplôme l’indispensable sésame pour postuler, ce qui n’est pas toujours le cas à l’étranger. Si les entreprises souhaitent parfois publier l’annonce d’un poste vacant, et donc ouvrir leur recrutement au-delà du réseau de candidats qui ont déjà travaillé pour elles, celles-ci veulent éviter cependant d’être assaillies de candidatures. L’exigence de diplôme – qui reste déterminant dans notre culture – est une manière de limiter le nombre des réponses. Si les annonces semblent plus particulièrement destinées à des diplômés, c’est néanmoins pour occuper des postes de niveau intermédiaire et non de cadres – par exemple, “commerciaux qualifiés”, “développeurs informatiques”, etc. Ces emplois requièrent surtout des compétences techniques, certifiées par un diplôme, un titre, la maîtrise de certains savoirs faciles à retranscrire dans une annonce. Il s’agit de nommer des diplômes, des titres et des outils, c’est-à-dire des signaux standards et sans ambiguïtés, qui entraînent une antisélection efficace de ceux qui n’en disposent pas. Comparativement, la place du diplôme est moindre dans le recrutement par réseau, qui concerne, il est vrai, souvent des emplois peu qualifiés. Dans ce cas, l’information sur les compétences des candidats et sur les attentes des employeurs circule de façon non préformatée, essentiellement de manière orale. Cela donne plus de chances à certaines personnes de décrocher un emploi, notamment les moins diplômées et les plus âgées.

Quels enjeux le recrutement par annonces représente-t-il pour les politiques publiques de l’emploi ?

Un paradoxe existe entre le côté a priori ouvert du canal des annonces et celui très restreint des embauches effectivement réalisées via ce biais. Le marché du travail est peu transparent en France. La majorité des emplois restent invisibles, et cela pénalise les personnes ne disposant pas d’un réseau personnel susceptible de les informer sur l’existence d’un poste à pourvoir. Dans le même temps, on exige des demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi qu’ils fassent des recherches actives en consultant et en répondant aux annonces, alors qu’elles ne leur sont peut-être pas destinées – parce qu’elles correspondent à un segment du marché du travail qui n’est pas celui où ils recherchent – ou qu’elles sont trop sélectives, leur laissant peu de chances. Une des pistes pour améliorer cette situation serait d’inciter les entreprises à davantage publier leurs emplois vacants par annonce. Les petites entreprises ne disposant pas du personnel RH pour les gérer pourraient être concrètement aidées par Pôle emploi pour formuler leur demande et traiter les retours. Et cela dans l’intérêt des entreprises et des chercheurs d’emploi.

Guillemette de Larquier et Géraldine Rieucau : économistes

Parcours

→ Guillemette de Larquier est maître de conférences en sciences économiques à l’université Paris Ouest-Nanterre, membre du laboratoire EconomiX (CNRS) et chercheuse associée au Centre d’études de l’emploi (CEE).

→ Géraldine Rieucau est maître de conférences en sciences économiques à l’université Paris 8, en détachement au CEE.

→ Elles viennent de publier ensemble un document de travail intitulé Trouver de travail par annonce : une porte étroite (CEE, n° 186, septembre 2015).

Lectures

→ Les Embarras des recruteurs. Enquête sur le marché du travail, Emmanuelle Marchal, Éditions EHESS, 2015.

→ Lettres de non-motivation, Julien Prévieux, La Découverte, 2007.

Auteur

  • Pauline Rabilloux