logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

ZOOM

L’obésité reste un tabou dans le monde du travail

ZOOM | publié le : 03.11.2015 | Rozenn Le Saint

Image

L’obésité reste un tabou dans le monde du travail

Crédit photo Rozenn Le Saint

Près d’un salarié français sur six se croit susceptible d’être discriminé en raison de son apparence physique. L’obésité constitue un frein au recrutement, surtout pour les femmes. Mais peu d’entreprises se sont encore saisies de cette forme de discrimination.

Les tests menés par l’Observatoire des discriminations de Paris 1 sont formels : l’envoi de CV avec une photo d’une personne obèse en réponse à une offre d’emploi reçoit deux fois moins de réponses que celle d’une personne ne présentant pas cette caractéristique ; trois fois moins quand il s’agit de commerciaux et quatre fois moins pour les télévendeurs, alors même que ceux-ci n’ont aucun contact physique avec les clients. Les femmes sont davantage touchées (29 % estiment qu’elles pourraient être discriminées du fait de leur apparence physique contre 20 % des hommes). La faute à la dictature de la minceur et aux représentations esthétiques, qui leur sont davantage imposées qu’aux hommes.

Rares poursuites

Pour autant, le Défenseur des droits est peu saisi des différences de traitement liées à l’obésité. D’une part parce que cette discrimination joue surtout à l’embauche, or ces situations enclenchent seulement 30 % des saisines, contre 70 % pour le déroulement de carrière, et d’autre part « en raison du sentiment d’impuissance des victimes, qui pensent qu’il est inutile d’agir face à une situation où la preuve est très difficile à apporter », indique Clémence Levesque, chargée de mission emploi privé auprès du Défenseur des droits. À noter qu’avec la Belgique, la France est le seul pays européen à avoir intégré l’apparence physique parmi les critères de discrimination. Elle figure dans la loi du 16 novembre 2001, même si les poursuites judiciaires pour ce motif sont très rares.

« Contrairement aux associations de défense des personnes handicapées, il en existe peu pour venir en aide aux personnes obèses. Elles sont marginales et peu puissantes », assure Jean-François Amadieu, sociologue et auteur du Poids des apparences(1). Et les rares organisations existantes ne se sont pas encore saisies de la discrimination sur le marché du travail, admet Anne-Sophie Joly, présidente du Collectif national des associations d’obèses (CNAO) : « Peu de personnes obèses viennent nous voir pour cela. La société renvoie un côté punitif du poids, la personne serait actrice de la prise de poids. »

« C’est un des effets négatifs des campagnes de santé publique pour lutter contre le surpoids, alors que celui-ci peut être lié à une défaillance hormonale ou à la manière dont on a appris à manger, puisque l’obésité touche davantage les personnes de milieux sociaux défavorisés », souligne Thibaut de Saint Pol, sociologue à l’ENS Cachan et auteur du Corps désirable. Hommes et femmes face à leur poids(2).

Ces croyances expliquent aussi l’intransigeance des recruteurs : « Les gens estiment que l’obésité relève de la responsabilité propre des individus ; qu’après tout, ils n’ont qu’à moins manger ou faire du sport pour maigrir », rapporte Jean-François Amadieu. D’ailleurs, les recruteurs ne se rendent pas forcément compte qu’ils discriminent pour cause d’obésité, alors qu’ils font davantage attention à se prémunir de toute accusation concernant la couleur de peau, par exemple, un critère de discrimination davantage dénoncé. Car les stéréotypes liés à la personne obèse sont davantage intériorisés. « Elle est reliée à des archétypes psychologiques. Elle donne l’image de quelqu’un de paresseux, qui se laisse aller », indique Thibaut de Saint Pol. Ou encore, qui fait preuve de difficultés relationnelles, d’une lenteur d’exécution ou d’un manque de rigueur…

Sensibilisation

« Parmi les clichés, il y a la question de l’odeur, mais cela relève de la propreté, pas de la corpulence », témoigne Laurent Depond, directeur diversité du groupe Orange, une des rares entreprises, avec La Poste, à avoir amorcé une sensibilisation des managers recruteurs à la discrimination liée au physique. Et ce, via la formation en e-learning mise en place par l’Association française des managers de la diversité (AFMD), dont il est le vice-président : un module spécifique sur le recrutement aborde les stéréotypes liés à l’apparence physique dans son ensemble.

En revanche, selon lui, le CV anonyme, mis en avant comme solution, « ne sert à rien. Il est même contre-productif, puisqu’il stigmatise la première ligne de recrutement en sous-entendant que les gens qui reçoivent les CV voudraient discriminer, alors que ce n’est pas forcément le cas, d’autant moins quand ils sont formés pour ne pas le faire. Souvent, c’est lors du dernier entretien que cela bloque ». Jean-François Amadieu met également en avant les tests de personnalité ou les méthodes de recrutement par simulation, « qui se focalisent davantage sur les compétences, en évitant la prise en compte de l’apparence physique, souligne le professeur. Aux pouvoirs publics et à Pôle emploi de les utiliser davantage, pour commencer ».

(1) Le Poids des apparences. Beauté, amour, gloire, Jean-François Amadieu, Odile Jacob, 2005.

(2) Le Corps désirable. Hommes et femmes face à leur poids, Thibaut de Saint Pol, PUF, coll. Le lien social, 2010.

Auteur

  • Rozenn Le Saint