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L’enquête

Sociétés d’ingénierie : Du licenciement… au contournement

L’enquête | publié le : 21.06.2016 | Nicolas Lagrange

Explosion des ruptures conventionnelles et/ou des licenciements pour motif personnel… un certain nombre de grosses sociétés d’ingénierie font tout pour éviter les PSE. Des pratiques de plus en plus contrées par les syndicats et sanctionnées par l’inspection du travail.

À la Fédération de la communication, du conseil et de la culture (F3C) CFDT, on a appris à s’organiser : « Nous recommandons à nos représentants de pointer régulièrement les embauches et les départs sur le registre unique du personnel, explique Annick Roy, secrétaire nationale. Même chose en CE avec le bilan social et les tableaux des effectifs. Car un certain nombre de grands groupes utilisent les ruptures conventionnelles ou les licenciements individuels pour dégraisser. Sans recourir aux PSE et aux mesures d’accompagnement associées. Ce qui leur permet aussi de ne pas avoir à évaluer la charge de travail des salariés restants. »

Illustration chez Segula Technologies, où « l’effectif total a diminué de moitié, passant de près de 2 000 à 1 000 salariés de 2009 à 2010, dont 366 fautes graves, assure Sébastien Sauvé, DS CFE-CGC. L’effectif est ensuite remonté à près de 2 000 salariés, avant de retomber à nouveau à environ 1 000 salariés à partir de 2013, via des licenciements massifs pour motif personnel et des ruptures conventionnelles. La direction a toujours dit ne pas pouvoir payer un éventuel PSE, au vu de la situation financière du groupe ». Le CE et les syndicats ont saisi le TGI pour défaut de consultation au titre des années 2013 et 2014.

À Astek Sud-Est (groupe Astek, 1 800 salariés), sous-traitant pour quelques grands donneurs d’ordre comme Amadeus, « les licenciements pour motif personnel sont passés de 20 en 2012 à 80 en 2013 et 120 en 2014, précise Jonathan Schwartz, élu du CE sous l’étiquette Solidaires Informatique. Comme par hasard, les années où l’entreprise a perdu des contrats. Un lien clairement démontré par le rapport d’expertise comptable remis au CE ».

En septembre 2015, L’Humanité et Politis publient des échanges d’e-mails de la direction, dévoilant « une gestion industrielle » des licenciements individuels. En décembre 2013, le rapport d’expertise remis par le cabinet Catéis au CHSCT avait fait état de pressions, de fins de missions brutales, de ruptures conventionnelles contraintes…

Astek Sud-Est : mise en demeure sur les RPS

Si le directeur général d’Astek Sud-Est a été débarqué au début de l’année, « rien ne garantit que l’utilisation des licenciements individuels comme variable d’ajustement des effectifs ait disparu », estime Jonathan Schwartz. Le taux de turnover moyen atteindrait 33 % pour l’ensemble du groupe en 2015, selon FO.

Pour l’heure, le CE et l’intersyndicale ont échoué à faire requalifier en PSE ces départs contraints. En janvier 2016, la cour d’appel a en effet indiqué ne pas être compétente pour apprécier la motivation (économique ou pas) des licenciements. Même si elle a ordonné une consultation du CE sur la contraction des effectifs, sur la base de l’article 2323-15 du Code du travail. Enfin, l’inspection du travail a mis en demeure la société de présenter un plan d’action contre les RPS d’ici au 7 août.

Sopra Steria : PV de l’inspection du travail

Le groupe Sopra Steria a, lui, été lourdement sanctionné. Une plainte de la CFE-CGC de novembre 2014 contre le recours fréquent à des ruptures conventionnelles a abouti à un procès-verbal de l’inspection du travail en octobre 2015 et à deux amendes, de 570 000 euros chacune, pour licenciement économique d’au moins 10 salariés sans consultation du CE et pour absence de notification à l’administration. Transmis au procureur, le PV pourrait être examiné au pénal début 2017.

En novembre 2015, le groupe écopait également d’une pénalité de 4,53 millions d’euros pour inaction contre les RPS dans un contexte de restructuration et de réduction d’effectifs.

Depuis mars 2010, une instruction de la DGT invite d’ailleurs les services de l’État à scruter les possibles indices d’évitement d’un PSE : par exemple, plus de dix demandes d’homologation de ruptures conventionnelles sur trente jours consécutifs. « Sur la période 2013-2015, le nombre de licenciements a été multiplié par 2 et le nombre de ruptures conventionnelles par 2,5 sur le périmètre de Sopra et de Steria, expose William Beaumond, DSC CFDT. La direction pousse vers la sortie des salariés expérimentés au profit de juniors surqualifiés mais peu payés, pour abaisser la moyenne d’âge et accroître les marges. »

Pour Chantal Guiolet, DSC CFE-CGC : « Ces pratiques de réductions massives d’effectifs sont malheureusement fréquentes dans le secteur. De surcroît, les groupes n’assument pas leur obligation de maintien dans l’emploi et ne garantissent pas l’employabilité des salariés. Quant aux grands donneurs d’ordre, ils exercent une forte pression financière et se montrent très rarement vigilants sur les pratiques sociales des sous-traitants. » Contactées, les directions de Segula Technologies, Astek et Sopra Steria n’ont pas souhaité répondre.

Auteur

  • Nicolas Lagrange