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Discrimination syndicale : La première action de groupe en France est lancée contre Safran par la CGT

La semaine | publié le : 30.05.2017 | Frédéric Brillet

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Discrimination syndicale : La première action de groupe en France est lancée contre Safran par la CGT

Crédit photo Frédéric Brillet

À peine entrée en vigueur, la loi du 18 novembre 2016, dite de « modernisation de la justice du XXIe siècle », trouve à s’appliquer au bénéfice de 34 salariés syndiqués de Safran.

Le 23 mai, la CGT a lancé la première action de groupe contre les discriminations au travail chez Safran avec quatre cabinets d’avocats (Emmanuelle Boussard–Verrecchia, Savine Bernard, Slim Ben Achour et Joao Viegas). Cette action concerne 34 salariés de différents sites de Safran Aircraft Engines qui estiment avoir été lésés au cours de leur carrière du fait de leur engagement syndical. Contactée, la direction de Safran s’est refusée à tout commentaire.

Aux termes de la loi, le déclenchement de l’action de groupe ouvre une période de six mois durant laquelle les partenaires sociaux négocient. Si Safran accepte de rattraper le retard de salaire et d’échelon des syndicalistes, l’action de groupe s’interrompra. Si l’employeur refuse, la CGT saisira le tribunal de grande instance pour faire constater la discrimination et y mettre fin, au besoin par une astreinte financière. L’action de groupe permet en outre aux plaignants de mutualiser les procédures et les frais d’avocats ; d’autres salariés qui s’estiment lésés peuvent ensuite se joindre à la démarche.

Au milieu du gué.

Mais la CGT voudrait améliorer la loi. « Nous sommes au milieu du gué », estime Sophie Binet, dirigeante confédérale. Considérant la loi actuelle insuffisante, la CGT préconise enfin une série de mesures pour la rendre plus efficace. Entre autres, la centrale souhaite la mise en place d’un nouvel indicateur obligatoire dans les bilans sociaux permettant de mesurer les discriminations sur les carrières et d’un registre des candidatures permettant de comparer les recrutements effectués et les candidatures reçues. En complément, la CGT réclame que lors de chaque entretien d’embauche les salariés se voient notifier leurs droits et les moyens de se prémunir contre les discriminations, un renforcement des condamnations et des effectifs d’inspecteurs du travail.

Expertise.

Pour constituer son dossier, la CGT s’est fondée sur l’expertise développée depuis des années par l’un de ses adhérents, François Clerc, qui consiste à mesurer les discriminations de carrière et à évaluer les préjudices subis. Cette « méthode Clerc », qui compare la situation des personnes s’estimant discriminées avec celle de groupes ou panels de salariés en situation comparable (même âge, ancienneté, niveau de diplôme…), a été reconnue par la jurisprudence. Elle a ainsi révélé qu’après quelques années les cégétistes de Safran se retrouvaient systématiquement parmi les derniers de leur panel en termes de rémunération, alors même que leur hiérarchie ne leur reprochait rien. « Il faut en effet du temps pour que la discrimination apparaisse nettement sur la feuille de paie, mais la discrimination liée à l’engagement syndical se décèle cependant plus facilement que celle liée au genre, remarque l’avocate Savine Bernard. En effet, le début de l’engagement coïncide souvent avec le début du décrochage du salaire par rapport à la moyenne. »

Cette action de groupe n’est que le nouvel épisode d’une affaire qui a commencé au début des années 2000. Condamné en 2004 aux prud’hommes, Safran Aircraft Engines accepte de signer un protocole de fin de contentieux par lequel l’employeur indemnise 119 cégétistes ayant subi des discriminations. L’entreprise s’engage à l’époque à mettre en place un outil de suivi des carrières des militant(e)s dans chaque établissement des sociétés du groupe pour éviter que cela ne se reproduise. Engagement concrétisé par l’accord du 19 juillet 2006 et que la CGT signe tout en critiquant les insuffisances de l’outil, qui compare les évolutions de salaires à coefficient comparable mais sans tenir compte du fait que les salariés cégétistes étaient promus bien plus lentement que les autres.

Outils inadaptés.

Constatant le maintien de pratiques discriminatoires, la CGT saisit de nouveau les prud’hommes pour dénoncer un outil inadapté et le confronter à un autre, dérivé de la méthode Clerc. Mais pour imposer sa méthode de calcul plus favorable aux salariés concernés, la CGT avait besoin d’accéder à des informations statistiques détenues par la DRH, qui a dû les communiquer en 2016, à la suite d’une injonction du juge des prud’hommes saisi par des cégétistes du Creusot. Résultat ? Si l’outil de la direction faisait déjà apparaître des écarts entre salariés syndiqués et non syndiqués de même coefficient, l’outil de la CGT révèle une discrimination d’une ampleur bien plus importante tout au long de la carrière.

Généralisation.

C’est sur cette base qu’a été engagée l’action de groupe, qui a pour objectif de généraliser la victoire du Creusot et de faire appliquer cette méthode à tous les autres sites de l’entreprise. Par ailleurs, la CGT compte lancer des actions similaires contre d’autres firmes, les pratiques discriminatoires liées à l’engagement syndical étant assez répandues à en croire plusieurs enquêtes. Ainsi à sexe, âge et niveau de diplôme identiques, les délégués syndicaux ont en 2009 un salaire moyen inférieur de plus de 10 % à leurs collègues(1).

Les syndicalistes subissent par ailleurs une discrimination à l’embauche : les candidats ayant mentionné dans leur CV leur appartenance syndicale ont une probabilité sept fois plus faible d’obtenir un entretien d’embauche(2).

Sébastien Tokarek, ajusteur sur le site du creusot, élu CGT
300 euros de moins que ses collègues

Entré en 2001 chez Safran à Gennevilliers où il prend sa carte de la CGT, Sébastien Tokarek, 43 ans, demande en 2010 sa mutation au Creusot. Site sur lequel il estime avoir été victime de discrimination pour s’être fait élire au CHSCT puis délégué du personnel sous l’étiquette CGT. À la suite d’une période de formation à son nouveau poste, qu’il a suivi dès son arrivée au Creusot et qui durait 18 mois, il s’attendait à toucher une prime et à une augmentation, comme il est de mise en ces circonstances. « Mais je n’ai jamais touché la prime et ai dû attendre trois ans pour avoir une augmentation correspondant à mon nouveau coefficient de qualification ». À la suite d’une action aux prud’hommes menée avec d’autres cégétistes, il reconnaît avoir été augmenté de 85 euros en brut mensuel, mais l’écart demeure important : après sept ans au Creusot, son salaire brut mensuel de 2 253 euros accuse un retard de 300 euros par rapport à ses collègues de profil comparable. « Pourtant, lors des entretiens d’évaluation, on ne me fait aucun reproche, on me dit que tout va bien ».

1) « Les employeurs face aux représentants du personnel : une situation de discrimination stratégique ? », J.Bourdieu et T. Breda, rapport d’étude pour la DARES, 2014.

2) Enquête réalisée à partir de l’affiliation à Sud Étudiant par l’Observatoire des discriminations de l’université Paris 1, Amadieu et Roy, 2016

Auteur

  • Frédéric Brillet