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Le point sur…

« Si le pouvoir n’a pas forcement change de mains, il change profondément de forme »

Le point sur… | publié le : 15.01.2018 | Frédéric Brillet

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« Si le pouvoir n’a pas forcement change de mains, il change profondément de forme »

Crédit photo Frédéric Brillet

Au sommet de la pyramide, les dirigeants d’entreprise fonctionnent encore en mode vertical mais, sous le plafond de verre, la situation évolue : les managers, les cadres intermédiaires sont de plus en plus en mode projet ou matriciel. La dématérialisation des liens aujourd’hui, le développement de l’intelligence artificielle demain accélèrent cette évolution.

Qu’est-ce qui vous a amené à écrire Vers un nouvel exercice du pouvoir ?

Dans cette agitation qui trouble nos regards sur ce qui passe et se passe, j’ai eu envie de saisir le temps de l’écriture pour témoigner des courants qui traversent nos organisations, et nos façons d’y exercer le pouvoir. Ce partage d’expériences et ces « photos » prises sur le vif cherchent à engager le lecteur en liberté et responsabilité dans la voie qu’il décide de prendre, ou de faire prendre. Mais savoir se situer dans sa propre dynamique et se donner les moyens d’agir requiert de s’appuyer sur des méthodes de prise de conscience que j’évoque dans cet ouvrage.

Comment évolue l’exercice du pouvoir en entreprise ?

Vaste question… Tout d’abord une remarque : l’exercice de ce pouvoir se trouve naturellement impacté par une vague de nouveaux paradigmes transformants qui nous font évoluer vers une société post-moderne. Tous ces flux nous amènent à nous réinterroger sur la vocation du travail, de l’entreprise, de notre place dans la société et des relations de pouvoir nécessaires. La disruption digitale a encore renforcé les exigences de rapidité et de productivité, mais ce n’est pas une raison pour ne pas décider nous-mêmes d’où nous voulons aller, comment et pourquoi.

Si le pouvoir n’a pas forcément changé de mains, il change profondément de forme. À terme, c’est par ce changement de forme qu’il finira par changer de mains. Au sommet de la pyramide, les dirigeants d’entreprises fonctionnent encore en mode vertical mais, sous le plafond de verre, la situation évolue : les managers, les cadres intermédiaires fonctionnent de plus en plus en mode projet ou matriciel. Les dirigeants favorisent ce travail en mode circulaire ou horizontal, car il apporte de la proactivité, de la réactivité, mais ils n’hésitent pas à reprendre la main en cas de problème ou de virement stratégique. Quand la verticalité du pouvoir impose l’arrêt ou la réorientation d’un projet géré jusque là de manière autonome et horizontale par les strates intermédiaires, ce sont alors souvent des injonctions paradoxales qui émergent : « On me suggère de faire comme je l’entends, puis on m’intime l’ordre de m’en tenir aux ordres, où est le sens et quel est mon rôle ? »

Autre élément de changement : hier, on fabriquait ce que l’on connaissait et on pouvait toucher les personnes avec lesquelles on interagissait. Aujourd’hui, avec internet et la financiarisation, le bien comme le lien se sont dématérialisés et dépersonnalisés. C’est pourquoi il est important de savoir revenir à qui l’on est, décider de ce que l’on choisit de devenir. Car on se façonne soi-même par ce que l’on fait et par la manière dont on le relie. En cela, le travail est un processus identitaire fondamental.

Demain, que va changer l’intelligence artificielle (IA) à l’exercice du pouvoir ?

Elle fera poindre de nouveaux défis. Demain, non seulement des humains piloteront des systèmes d’IA, mais ces derniers manageront aussi des hommes. Cela se fait déjà dans certains projets industriels complexes où des logiciels distribuent les tâches en fonction des compétences et des disponibilités des humains, recommandent et contrôlent les délais et les normes de qualité. Les intelligences humaines et artificielles seront amenées à se coordonner et cette cohabitation générera sans nul doute de nouvelles injonctions paradoxales. Entre les robots dotés d’un sens rationnel et des humains qui intègrent le facteur émotionnel et politique dans leurs interactions et leurs prises de décision, il y aura forcément des frictions.

Qu’est-ce que les nouvelles générations vont changer à l’exercice du pouvoir ?

Elles cherchent aujourd’hui de nouvelles voies et, contrairement aux précédentes, ne font pas allégeance à la hiérarchie ou à l’entreprise en tant que telle. Ce sont les projets, les possibilités d’exercer un métier intéressant qui forgent leur fierté d’appartenance et leur motivation. Les nouvelles générations ont besoin que le management les inspire, donne du sens, les nourrisse, et pour cela qu’il soit cohérent, partage sur des projets où chacun apprend. Ils veulent du pragmatisme, avec l’utilisation de nouveaux moyens pour travailler à distance, plus d’autonomie et moins de présentéisme. Ils souhaitent pouvoir accéder régulièrement à des formations professionnalisantes pour développer leur employabilité.

Qu’est-ce que l’exigence de responsabilité sociale change à l’exercice du pouvoir ?

Aujourd’hui, la responsabilité sociale vis-à-vis des collaborateurs passe beaucoup par le préventif et par le souci croissant qu’affichent les organisations de la qualité de vie au travail (QVT), le « bonheur » étant un mot excessif. Des bureaux et un cadre de travail agréables, voire ludiques, participent d’un bon exercice du pouvoir car ils témoignent de la prise en compte des besoins des collaborateurs dans cet espace de vie, et cela, en retour, leur donne envie de s’impliquer plus ou mieux. D’où l’importance des aménagements qui favorisent la communication, cassent les barrières hiérarchiques : canapés, bulles confort, baby foots, bombecs….

Pourquoi recommandez-vous aux managers de savoir s’arrêter ?

Prendre le temps de s’arrêter permet de voir plus large ou plus haut, de s’aérer, ou de faire un pas de côté, et amène à se poser les bonnes questions plutôt que foncer sur des solutions toutes faites. C’est un temps qui peut être très bref, mais indispensable à l’agilité attendue. C’est ce qui permet de différencier un problème d’une préoccupation, de clarifier la place qu’on y occupe et de solutionner plus en justesse, ce qui relève du dehors ou de soi-même. Malheureusement, notre époque, en se focalisant sur la vitesse, génère trop souvent des amalgames, projections, réactions qui, finalement, font régresser. Ralentir est ainsi nécessaire pour discerner, puis relier (dedans-dehors) et réassocier en conscience et en liberté. C’est un processus qui favorise la fluidité, l’innovation et le « faire autrement ». Et ce sont ces comportements individuels et collectifs qui contribueront à la performance des nouvelles organisations mouvantes et enclencheront des cercles vertueux de progrès.

Quelles compétences doivent acquérir les managers pour diriger et manager demain ?

Le nouveau pouvoir consiste à savoir faire bouger l’autre, d’où il est et avec ce qu’il a, vers ce que l’on veut. Pour y parvenir, il faut savoir le prendre en compte, l’attirer, le stimuler et lui permettre de s’enrichir par sa propre contribution au système. Une roue de progrès en nourrit une autre. Cela requiert de la confiance, de la bienveillance et du respect, tout en restant en permanence rivé sur le projet ou l’enjeu. Dans mon livre, je parle des spécifications du nouvel agir et je développe ces aspects.

Comment s’exercera demain le pouvoir dans les organisations ?

Il s’agira de s’adapter et de se préserver sans cesse pour progresser. Il faudra entreprendre et entretenir un profond travail sur soi pour parvenir à cette agilité. Demain, nombre d’entreprises se transformeront en gigantesques plateformes autour desquelles graviteront des hommes et des compétences, regroupés au gré des projets spécifiques, ouverts ou mutualisés. Le nombre d’actifs dotés d’un statut d’indépendants va exploser et les rôles de client-fournisseur, patron-collaborateur seront interchangeables en fonction des nécessités… ou des hasards !

Sylvie de Frémicourt

• Coache de managers et de dirigeants depuis 1989, Sylvie de Frémicourt a fondé le cabinet Agophore en 1998. Elle accompagne les entreprises et les salariés dans la conduite de leurs changements et transformations. Son travail l’amène à s’intéresser aux dynamiques de pouvoir, de liens, de progrès, aux crises de vie des systèmes et cycles de revitalisation. Elle a rédigé trois ouvrages sur ces questions : Le coach, ce nouvel architecte (2013), Le coach, une approche holographique décoiffante (2015), Vers un nouvel exercice du pouvoir (2018), tous publiés aux éditions EMS.

Ses lectures

• Philosophie du vivre, de François Jullien, Folio.

• Comment tout peut s’effondrer, de Pablo Servigne et Raphaël Stevens, Seuil.

Auteur

  • Frédéric Brillet