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Le grand entretien

« L’expérience collaborateur est le nouveau baromètre de modernité »

Le grand entretien | publié le : 16.04.2018 | Frédéric Brillet

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« L’expérience collaborateur est le nouveau baromètre de modernité »

Crédit photo Frédéric Brillet

L’expérience collaborateur, qui regroupe tout le vécu du collaborateur au sein de l’entreprise, doit être positive pour qu’il puisse travailler efficacement. Elle est remarquable dans certaines entreprises dont les taux de croissance sont importants, et déterminante pour leur attractivité. C’est un avantage compétitif alors que le rapport au travail évolue fortement, toutes générations confondues.

L’expérience collaborateur nécessite une mesure continue. À chaque entreprise de définir les critères de performance pertinents pour son activité. D’où vient l’idée du livre L’Expérience collaborateur : faites de vos employés les premiers fans de l’entreprise ?

Je voulais percer le secret d’entreprises qui cumulent simultanément des taux de croissance, d’innovation, d’attractivité et d’engagement des collaborateurs impressionnants, comme Airbnb, Google, Adidas ou encore Michelin. L’expérience qu’elles offrent à leurs employés est une clé majeure de leur performance et constitue un sacré avantage compétitif sur leurs marchés.

Comment se définit l’expérience collaborateur ?

L’expérience collaborateur est l’ensemble des moments que vit concrètement le salarié depuis son entrée dans l’organisation jusqu’à sa sortie. Cette expérience doit être positive, enthousiasmante et simplifier sa vie pour qu’il puisse travailler efficacement. L’expérience s’exprime dans un registre émotionnel, ce qu’on n’a pas l’habitude d’évaluer en entreprise. Des promoteurs du concept vont jusqu’à le résumer par : « Les employés d’abord, les clients ensuite. » Moi je dis plutôt : « Les collaborateurs d’abord, les clients aussi ! » Les deux sont vitaux pour une entreprise.

Pourquoi ce concept émerge-t-il aujourd’hui ?

L’engouement actuel autour de ce concept s’explique par une simultanéité de facteurs qui mettent les organisations au pied du mur. Tout d’abord, depuis la crise financière de 2008, les entreprises peinent à engager leurs troupes sur la durée. Les équipes sont épuisées par les transformations continues à mener dans notre monde en changement permanent. Les leviers de reconnaissance ne sont souvent plus là. Comment créer une culture engageante sur le long cours ? C’est ce que propose l’expérience collaborateur. Ensuite, notre rapport au travail évolue fortement, toutes générations confondues. Travailler, oui, mais plus à n’importe quel prix ! Nous voulons du sens et nous accomplir personnellement. La génération Z qui arrive sur le marché du travail accentue le phénomène. Elle rêve d’entreprendre, de vivre une aventure collective et tient moins au CDI que les précédentes. Il ne faut pas l’éconduire. Enfin, le tsunami digital auquel nous assistons ne laisse plus le choix : vous ne pouvez pas être le roi chez vous en tant que consommateur digital, en commandant vos taxis, vos livres ou vos prochaines vacances en quelques clics, puis débarquer au bureau où votre expérience sera désagréable, laborieuse et épuisante. Ce décalage est de moins en moins supportable pour chacun de nous.

Pourquoi la qualité de l’expérience collaborateur contribue-t-elle plus qu’hier au succès d’une entreprise ?

Il y va d’abord de la réputation de l’entreprise. Tout se sait désormais sur les réseaux sociaux. Le moindre stagiaire ou free-lance peut twitter une expérience désastreuse qui ruine l’attractivité de l’organisation. Pensez au site Glassdoor, le « Tripadvisor des entreprises » où chacun peut évaluer une organisation et même son CEO ! Il est aussi question de performance au quotidien : une expérience positive génère l’énergie et l’envie de travailler dont les équipes ont besoin. Surtout, une expérience collaborateur de qualité contribue à réduire les irritants dans la vie opérationnelle du salarié et donc à gagner en productivité. Enfin, une expérience exceptionnelle fidélise les salariés mais aussi les travailleurs indépendants qui seront de plus en plus nombreux à graviter autour de l’entreprise.

Quels risques prennent les entreprises qui négligent cette approche ?

L’expérience collaborateur est, selon moi, le nouveau baromètre de modernité d’une entreprise. Bientôt, les technologies ne feront plus la différence, elles se banaliseront d’une organisation à l’autre. C’est l’expérience humaine proposée autour qui sera différenciante. Les organisations qui ne rentrent pas dans la partie seront vite hors course : moindre attractivité, faible engagement des individus, innovation à la traîne, lourdeurs administratives et organisationnelles.

Y a-t-il des modèles d’entreprises expertes dans l’art d’intégrer l’expérience collaborateur à leur management, à leur stratégie ?

Les entreprises expertes dans le domaine sont celles qui ont compris que pour être disruptives sur leur marché, elles devaient être disruptives en tant qu’employeur. Les Gafama Natu sont des cas d’école sur le sujet parce qu’elles n’ont pas le choix : la rapidité des évolutions de leurs activités et la volatilité de leurs clients les obligent à soigner leurs forces vives pour qu’elles donnent le meilleur. L’expérience collaborateur fait partie intégrante de leur business model. De plus en plus de grands groupes leur emboîtent le pas comme Orange, Michelin, Danone, L’Oréal, etc. Je trouve cela formidable !

Quelles mesures faut-il mettre en place en priorité pour améliorer l’expérience collaborateur ?

Premièrement, il faut déclarer l’expérience collaborateur comme cause nationale au plus haut niveau de la hiérarchie. Deuxièmement, répondre à la question : quelle aventure unique voulons-nous faire vivre à nos collaborateurs ? Troisièmement, créer un groupe de volontaires, un incubateur ou autre pour entreprendre la démarche, peu importe le format, du moment que l’ensemble des directions soit impliqué de manière collaborative et en mode test and learn. Surtout pas d’usine à gaz !

Faut-il créer un poste dédié à l’expérience collaborateur ou tout au moins charger un responsable RH de suivre ce sujet ?

La démarche prend souvent naissance aux RH. Très vite, il faut mettre les autres fonctions autour de la table, notamment le marketing, la communication, l’informatique, etc., sinon la démarche tourne court et ne devient qu’un projet RH de plus. Le DRH d’Airbnb a été le premier au monde à troquer son titre avec celui de responsable de l’expérience collaborateur. Ce titre fleurit aujourd’hui dans beaucoup d’entreprises. Encore faut-il qu’on lui attribue suffisamment de poids.

Comment se mesure la qualité de l’expérience collaborateur ?

L’expérience collaborateur nécessite une mesure continue. À chaque entreprise de définir les critères de performance pertinents pour son activité. Il ne s’agit pas juste de faire plaisir au collaborateur ou d’assurer son bien-être. Cela va au-delà des enquêtes de satisfaction et d’engagement. Il faut croiser celles-ci avec l’impact sur les ventes, par exemple, les gains en productivité à certains endroits, la rétention effective des talents, etc. On a intérêt à aimer la data !

Justement, jusqu’à quel point un employeur doit-il surveiller ses salariés pour améliorer leur expérience collaborateur ?

Il est indispensable de mener une réflexion éthique alors même que le concept d’expérience collaborateur suscite un enthousiasme croissant et à l’heure du big data. Tracer chaque moment de la vie du collaborateur, au nom du bonheur au travail et sous prétexte de mesurer l’efficacité de la démarche, n’est pas sans rappeler certains régimes totalitaires ou le roman d’Orwell 1984. L’injonction de transparence poussée à l’extrême dans certaines organisations fait peur. Vigilance donc ! À suivre…

Parcours

• Jusqu’en 2003, Corinne Samama a conseillé dirigeants et hommes politiques sur leur communication personnelle et leur leadership et elle a cofondé en 2004 le cabinet Resonance dédié au coaching en management. Depuis lors, Corinne Samama aide les entreprises à adapter leurs pratiques managériales à un monde en perpétuel bouleversement.

• Elle a publié en 2013 Manager dans un monde sans visibilité, 5 nouveaux défis à relever (éditions Pearson) et en 2017 L’Expérience collaborateur : faites de vos employés les premiers fans de l’entreprise ! (éditions Diateino).

Auteur

  • Frédéric Brillet