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« Un manager sur cinq s’estime débordé par le fait religieux »

Le point sur | publié le : 18.06.2018 | Lisa Vanier

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« Un manager sur cinq s’estime débordé par le fait religieux »

Crédit photo Lisa Vanier

De plus en plus de responsables font état de conflits liés à des questions religieuses au sein de leurs entreprises, phénomène confirmé par l’enquête 2017 de l’Observatoire du fait religieux en entreprise. Enseignant à l’université Paris Dauphine, Jean-François Chanlat a publié plusieurs ouvrages consacrés au management de la diversité*.

Depuis 2013, l’Observatoire du fait religieux en entreprise, créé par notre collègue Lionel Honoré en lien avec l’institut Randstad, mène chaque année une enquête. Ses résultats sont assez frappants. Ainsi, en 2017, deux tiers des salariés déclarent observer régulièrement ou occasionnellement des faits religieux au travail ; 7,5 % évoquent des situations conflictuelles. Un manager sur cinq s’estime débordé par le fait religieux.

La question de fond est en réalité la suivante : comment, dans une société devenue pluriculturelle, rendre compatible le temps collectif et le temps des convictions religieuses par essence particulariste ? On voit que cette question se pose dans les entreprises comme dans la sphère publique. Mais alors que, dans la sphère publique, le principe de laïcité s’applique, ce n’est pas le cas dans les entreprises privées.

Les attentats islamistes de ces dernières années ont-ils modifié la perception du fait religieux en entreprise ?

Mon collègue Patrick Banon, associé à la chaire Management, diversité et cohésion sociale de l’université Paris Dauphine, et qui intervient fréquemment sur le terrain, fait remonter ces derniers temps de nombreux cas épineux. Certaines entreprises sont en effet confrontées aujourd’hui à la présence en leur sein de salariés islamistes radicalisés. L’une d’elle a dû ainsi se séparer récemment de 73 personnes fichées S pour des raisons de sécurité.

Le principe de « neutralité de l’entreprise » qui émerge des jurisprudences récentes va-t-il permettre de résoudre plus facilement les différends liés aux religions au sein des organisations ?

En France, il y a une tradition de discrétion, de retenue religieuse qui s’ancre dans l’histoire. Mais les règles de la laïcité qui datent du début du XXe siècle ne concernent que la sphère publique et apparentée et ne s’appliquent donc pas au secteur privé. Beaucoup de dirigeants d’entreprise estimaient donc, jusqu’il y a peu, manquer d’un cadre légal approprié.

La loi Travail – ou loi El Khomri – adoptée en août 2016 a rendu possible l’inscription d’une « clause de neutralité » dans le règlement intérieur des entreprises, précisant les conduites autorisées et interdites. La Cour de justice de l’Union européenne, au printemps 2017, puis la Cour de cassation, à l’automne suivant, ont précisé les modalités possibles de cette « neutralité ». Pas question, par exemple, d’interdire le foulard dans une entreprise sans interdire tout autre signe témoignant de convictions politiques, philosophiques ou religieuses. Et ces interdictions ne sont considérées comme acceptables que pour les salariés en contact avec la clientèle. De même, on ne peut pas empêcher quelqu’un de prier sur le lieu de travail, mais il ne faut pas que l’organisation de ces prières perturbe la production.

La jurisprudence est assez complexe, ce qui favorise les grandes entreprises disposant de services juridiques, à même de guider les décisions, mais l’établissement d’un règlement intérieur peut être un bon cadre de départ pour toute entreprise.

Vous avez publié un ouvrage sur les pratiques en vigueur dans différents pays.* Les problèmes sont-ils semblables et les solutions similaires aux nôtres ?

Le principe de laïcité est spécifiquement français. Au Royaume-Uni par exemple, où la reine est chef de l’Église anglicane, le concept n’a aucun sens. Les pays anglo-saxons, de manière générale, sont plus ouverts à la diversité des pratiques religieuses. Mais on sent depuis peu dans ces pays un intérêt pour le modèle français.

La communauté musulmane française est en effet la plus importante du continent, environ un quart des musulmans européens vivent en France. Si la grande majorité ne pose aucun problème, une minorité suscite cependant des difficultés par leurs exigences accrues sur le lieu de travail. Nos voisins observent d’autant plus près les pratiques françaises qu’ils voient leur population musulmane s’accroître, et apparaître des zones de friction avec les minorités rigoristes qui existent en leur sein.

* Management et diversité, tome : Comparaisons internationales et Management et diversité, tome II : Approches thématiques, sous la direction de Jean-François Chanlat et Mustafa Özbilgin, éditions Les Presses de l’université Laval, Herman,2018.

Auteur

  • Lisa Vanier