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N’oublions pas les seniors !

Chroniques | publié le : 29.03.2021 |

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N’oublions pas les seniors !

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Gilles Gateau Directeur général de l’Apec

La crise sanitaire met à mal notre cohésion sociale. Tout autant que le clivage « 1re ligne » contre « planqués de l’arrière », le clivage générationnel fait des ravages : tantôt, on « sacrifie nos jeunes pour sauver nos vieux », tantôt, au contraire, « on abandonne les anciens dans les Ehpad ». Si les jeunes souffrent et méritent toute notre mobilisation, pour les seniors c’est un peu la double peine qui se profile : plus fragiles que d’autres sur le plan sanitaire, ils pourraient être encore une fois la « variable d’ajustement » du marché du travail !

Pour les cadres actifs en dernière partie de carrière (disons pour faire simple les dix dernières années, entre 55 et 65 ans), la crise risque d’inverser la tendance positive à l’allongement de la vie active de ces dernières années, en renouant avec le terrible « réflexe » de l’ajustement de l’emploi par l’éviction des seniors. On a connu ça dans les crises du passé et l’on en a payé le prix fort, au propre (le coût faramineux pour les finances publiques et l’assurance chômage des préretraites) comme au figuré (la dévalorisation de l’expérience et les pertes de compétences, sans parler du coût humain de cette relégation).

Gare à cet effet d’accélérateur de la crise, qui ruinerait les progrès toujours plus nécessaires à mesure que nos vies professionnelles s’allongent. C’est un fait : le taux de chômage des cadres augmente avec l’âge et les actifs en fin de carrière sont particulièrement touchés par le chômage longue durée. Un cadre de 50 ans et plus sur quatre craint pour son emploi1, et ils représentent 30 % des cadres inscrits à Pôle emploi.

L’ANDRH a raison de mettre le sujet sur la table : alors que cette catégorie d’âge est pour le moment la grande absente du plan France Relance, il faut un plan dédié aux actifs en fin de carrière… L’emploi des jeunes, priorité nationale – à juste titre –, ne doit pas faire oublier l’emploi des moins jeunes.

Sacré défi : une étude à paraître de l’Apec montre toute l’étendue des contradictions qui nous traversent2. Ainsi les managers qui dirigent des cadres seniors apprécient à plus de 80 % leur engagement et leur motivation, et sont près d’un sur deux à considérer qu’ils sont plus aptes que les plus jeunes à transmettre des compétences ou désamorcer des conflits, mais 60 % les trouvent anxieux et fatigués. Quant aux cadres actifs, plus de 80 % se disent satisfaits de leur situation et les deux tiers considèrent que leur expérience est reconnue… mais plus d’un sur deux accepterait un départ anticipé si leur entreprise le leur proposait !

Les acteurs qui, comme l’Apec, se mobilisent pour accompagner positivement ces dernières années de carrière, et soutenir les seniors dans le difficile – et souvent désespérant – parcours d’un retour à l’emploi après 55 ans, le premier obstacle à vaincre est celui d’une sorte d’intériorisation d’un « désavantage compétitif » sur le marché du travail. Une représentation qu’il faut au contraire inverser : les entreprises ont tout intérêt à diversifier les profils recrutés !

C’est d’abord le meilleur moyen de faire face à la crise… de recrutement. Une crise bien réelle, mais aussi paradoxale : 66 % des entreprises prévoyant de recruter un cadre au premier trimestre 2021 pensent rencontrer des difficultés… mais malgré cela six sur dix privilégient les profils de moins de dix ans d’expérience alors même que les cadres en fin de carrière, expérimentés, compétents en management, constitueraient pour elles un vivier de talents… On voit bien qu’il faut ici renouveler radicalement l’approche pour que l’offre puisse rencontrer la demande. Un enjeu qui sera décisif dans la reprise… comme pour la cohésion de la société

(1) Baromètre Apec, février 2021.

(2) Les cadres seniors en poste : vécus et enjeux du maintien en emploi, à paraître avril 2021.