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Innovation participative : perdre des certitudes pour trouver des solutions

Le point sur | publié le : 19.12.2022 | Gilmar Sequeira Martins

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Innovation participative : Perdre des certitudes pour trouver des solutions

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Alors que la recherche de sens devient toujours plus cruciale pour les salariés, l’innovation participative offre la possibilité d’engager les équipes en les faisant contribuer à la transformation de leur propre mode de fonctionnement.

Les débuts de l’innovation participative peuvent être repérés au début du XXe siècle en France. En 1921, les PTT et le ministère de la Défense installaient des urnes à idées dans leurs locaux. Six ans plus tard, Michelin les imitait en adaptant le système : les salariés devaient remettre leurs suggestions aux chefs d’atelier. Un siècle plus tard, le phénomène n’a rien perdu de sa vigueur, selon Manuel Zacklad, professeur au Cnam et responsable du master transition numérique et innovation collaborative. « Toutes les formes de participation continuent de gagner du terrain sous différents labels. Sur le terrain, le terme “collaboratif” est très présent. L’idée d’associer les collaborateurs ou les utilisateurs aux transformations tend à s’imposer », dit-il. Le domaine de l’innovation participative gagne en extension puisqu’émergent des notions telles que l’innovation organisationnelle ou managériale. Cette diffusion s’accompagne de différents modes d’appropriation. « Selon les organisations, les enjeux de l’innovation participative sont abordés différemment. Le codesign est une autre façon d’en parler. Le terme “innovation” est très prisé des sphères du management, de la gestion et des RH, car c’est un argument pour obtenir des budgets, mais dans les faits, il renvoie souvent à des pratiques d’intelligence collective et de codesign », ajoute ce spécialiste.

Deux constats

Cette progression doit beaucoup à deux constats. « Le premier, c’est que sans l’implication des collaborateurs dans le choix d’une solution, le risque de non-adoption augmente très fortement, ce qui signifie des dépenses élevées en pure perte… », relève ainsi Alexandre Stourbe, directeur général du Lab RH, en déplorant que ce soit encore trop fréquent. Parfois, « les décisions sont prises trop rapidement, pour répondre aux enjeux des marchés qui bougent très vite, sans expliquer les évolutions », précise-t-il. D’où la nécessité d’évangéliser les entreprises pour faire admettre le droit à l’erreur… « Aujourd’hui, lorsque, dans les organisations, des erreurs sont commises, elles sont le plus souvent simplement passées sous silence, ou, dans un système malsain, un bouc émissaire est désigné. Cela dit, le nombre d’entreprises admettant le droit à l’erreur progresse, mais ce chiffre reste encore peu significatif », poursuit-il. Le deuxième constat découle du premier. C’est le fait que « l’implication des collaborateurs assure une meilleure fidélisation et un meilleur engagement de leur part. La clé de la réussite, c’est l’animation en continu », indique-t-il.

Sans oublier un autre impératif, insiste de son côté François Bottollier-Depois, ancien président de Minestrone, cabinet de conseil en stratégie collaborative, devenu directeur de Kéa Tilt. « Il faut de la transparence. C’est fondamental, dit-il. Si l’on n’est pas en mesure de l’assurer de bout en bout, il vaut mieux ne pas se lancer et ne rien faire, car il est très difficile de remobiliser des personnes une deuxième fois. »

Si les avantages sont clairs, comment une entreprise pourra-t-elle savoir si elle doit s’engager dans un tel processus ? « Il faut d’abord un vrai besoin, explique Manuel Zacklad. Ensuite, il faut être ouvert, accepter la diversité et la coopération. Enfin, il faut être prêt à allouer des moyens, c’est-à-dire à mobiliser deux ou trois collaborateurs, des locaux et des prestations extérieures. Il faut aussi se faire accompagner par des gens qualifiés qui seront différents de ceux qui vont concevoir et déployer la solution. Et il vaut mieux éviter les cabinets de consulting qui ont déjà la solution. » Un projet peut mobiliser un budget variable, allant de 10 000 à 100 000 euros.

Le rôle crucial des RH

Reste à trouver les salariés prêts à s’investir dans le processus. Et les spécialistes RH ont un rôle capital à jouer, estime Alexandre Stourbe. « C’est là que leur capacité à déceler des compétences qui n’entrent pas forcément dans le champ professionnel ou que les candidats n’osent pas mettre en avant est essentielle. L’équipe RH doit être à l’écoute, en particulier dans tous ces moments informels qui sont les plus propices pour capter les indices de la présence de ces compétences », explique-t-il. Oui, mais lesquelles ? Celles du futur avant tout. « Ce sont celles qui feront la différence au XXIe siècle : une forme d’esprit critique, une capacité à communiquer et à collaborer ainsi qu’une bonne dose de créativité », affirme-t-il.

Autre point capital qui peut assurer le succès ou faire capoter tout le processus : choisir le bon « facilitateur ». « C’est lui qui fera émerger un collectif en adéquation avec l’ADN de l’entreprise, poursuit Alexandre Stourbe. Là encore, les RH jouent un rôle clé puisqu’il leur revient de choisir la personne la plus adéquate, celle qui sera capable d’amener le collectif à prendre une décision qui réponde aux besoins de l’ensemble de l’entreprise. » Un choix d’autant plus crucial qu’il suscite bien des convoitises, du fait de son influence sur le déroulement des opérations… « Certains consultants ont déjà une solution qu’ils proposeront à la fin du processus, rappelle Manuel Zacklad. Ils sollicitent la participation des collaborateurs, mais savent déjà où ils veulent les emmener. La conduite du changement s’est souvent faite en suivant ce type de modalité, qui peut être qualifiée de “facipulation”. » Autrement dit, un mélange de facilitation et de manipulation… Un travers qui tient à la peur du risque, estime le spécialiste du Cnam. « L’innovation collaborative implique de surmonter une difficulté : il faut faire confiance au collectif et accepter, quand on est dirigeant, de ne pas avoir la bonne solution. Accepter qu’une autre solution peut être également bonne n’est pas facile, mais c’est la condition du succès d’un tel processus », remarque-t-il.

Minoritaire malgré tout, l’innovation participative va-t-elle encore progresser à l’heure des crises, propices au repli sur des méthodes plus dirigistes ? François Bottollier-Depois se veut optimiste. « En 2014, ce type de démarche était qualifié d’extra-terrestre, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Entre-temps, le métier de l’innovation collaborative s’est professionnalisé, des travaux de recherches ont été menés et des résultats sont venus confirmer la pertinence de ce modèle. Il y a par ailleurs une plus forte demande politique de la part des citoyens. Dans les entreprises, les salariés expriment leurs opinions sur la politique environnementale de leur employeur, ainsi que sur d’autres sujets et cela fait bouger les lignes. Les entreprises, au lieu de faire de la gestion de crise, feraient mieux d’anticiper et d’impliquer les gens en amont », résume-t-il. Le choix est possible. Aux dirigeants de franchir le pas !

Auteur

  • Gilmar Sequeira Martins