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Idées

Démêler le vrai du faux pour penser le travail autrement

Idées | À lire | publié le : 01.07.2023 | Irène Lopez

Démêler le vrai du faux pour penser le travail autrement

Démêler le vrai du faux pour penser le travail autrement.

Crédit photo Le Cavalier bleu

« Il coûte trop cher », « les jeunes ne l’aiment plus », « les robots vont remplacer les humains »… Sous la houlette de Marie-Anne Dujarier, professeure de sociologie à l’université Paris Cité, un collectif de chercheurs passe au crible les idées reçues concernant l’emploi.

Les idées reçues sur le travail ou son organisation sont nombreuses. Ainsi, l’une d’elles veut qu’aujourd’hui le management soit horizontal : « Il n’y a plus de chefs », entend-on. Un chapitre de l’ouvrage collectif, mené par la sociologue Marie-Anne Dujarier, lui est en conséquence consacré. Et Lionel Jacquot, enseignant-chercheur en sociologie à l’université de Lorraine, l’a déconstruite. De l’holacratie à l’entreprise libérée, de l’organisation agile à la plate ou participative, tous ces modes de fonctionnement invalideraient le système hiérarchique et signifieraient la fin des chefs. D’ailleurs, depuis les années 1990, le terme de chef a été remplacé par celui de manager, afin de souligner la fonction d’animateur et de médiateur. Reste que contrairement à la chronique d’une mort annoncée des chefs et même des managers, les entreprises n’en ont pas pour autant renoncé à la hiérarchie. Elle continue de s’appuyer sur une chaîne, constituée d’individus ou de groupes qui prennent en charge et se partagent le travail managérial. Lionel Jacquot met également en lumière le travail du sociologue Loup Wolff, lequel a montré « une division du travail de domination, qui se traduit par le développement d’un encadrement de proximité. […] Tout en devant assurer le travail de supervision, [l’encadrement de proximité] est dénué de pouvoir de décision, étant simplement chargé de relayer les objectifs dictés d’en haut ».

L’auteur va plus loin en reprenant les thèses du philosophe et économiste Frédéric Lordon, qui, en 2010, déclarait : « Des dirigeants aux encadrants intermédiaires en passant par les employés de l’appareil gestionnaire, tous contribuent à leur niveau à asseoir le pouvoir politique que le petit nombre de capitalistes exerce sur le grand nombre de travailleurs. Ils s’assurent de la dépendance du second vis-à-vis du premier ; elle est d’ailleurs inscrite dans le lien de subordination qui caractérise le contrat de travail salarié. » Dans ces conditions, faut-il s’affranchir du salariat et opter pour l’autoentrepreneuriat ? Pas vraiment, selon le sociologue, car ces individus « sont alors subordonnés au marché et dépendants de leurs intermédiaires ». Et l’auteur de conclure : « L’idée reçue selon laquelle il n’y aurait plus de chefs dans les organisations résiste donc mal à l’observation et peut véhiculer un imaginaire de l’égalité favorisant la docilité envers eux. »

Autre exemple, Michaël Zemmour, enseignant-chercheur en économie, s’attaque de son côté au coût du travail (non, il n’est pas trop cher), et le sociologue Antonio A. Casilli, au remplacement des travailleurs par les robots (c’est faux). Quant à Gokçe Gulkan, doctorante en sociologie, et Marie-Anne Dujarier, elles remettent en cause l’idée selon laquelle travailler dans une start-up, « c’est fun ! ». Non, cela n’a rien de fun d’être en permanence sous le regard des autres dans les open spaces et faire des journées à rallonge (en dépassant les horaires légaux), ou travailler le week-end, sous prétexte de flexibilité…

L’essai ne cesse de confronter les idées reçues aux faits, nous faisant appréhender le monde du travail sous un angle différent de celui souvent vanté. Drôlement efficace.


Idées reçues sur le travail : emploi, activité, organisation, Marie-Anne Dujarier (dir.), Éditions Le Cavalier bleu, 240 pages, 22 €.

Auteur

  • Irène Lopez