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Idées

Les DRH du public et du privé ne sont pas si différents

Idées | Recherche | publié le : 01.07.2023 | Lise Fournot-Bogey et Séverine Ventolini

Lise Fournot-Bogey et Séverine Ventolini : Les DRH du public et du privé ne sont pas si différents

Lise Fournot-Bogey et Séverine Ventolini : Les DRH du public et du privé ne sont pas si différents

Crédit photo DR

La loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique, dont l’objectif est d’accélérer la transformation du service public, a eu des implications majeures dans les administrations et des répercussions claires sur la fonction RH du secteur public. Ce texte modifie notamment les conditions du dialogue social avec la possibilité de négocier des accords majoritaires ; la formation et les mobilités professionnelles ; les pratiques de rémunération qui peuvent en partie être individualisées ou encore les pratiques de recrutement en favorisant le recours aux contractuels sur des contrats à durée déterminée (trois ans renouvelables) et en CDI. En s’inspirant de certaines méthodes du secteur privé et en revoyant une partie du cadre de sa gestion des ressources humaines, la fonction publique souhaite ainsi montrer qu’elle est capable de s’adapter aux nouveaux enjeux tout en continuant de répondre aux attentes de service public. Le défi de modernisation de la fonction publique est important et toutes les administrations ne sont pas impactées de manière homogène. En effet, la fonction publique est plurielle et recouvre des réalités bien différentes. Parmi ces réalités figure celle des collectivités locales, qui regroupent près de deux millions d’agents travaillant dans les mairies, les intercommunalités, les départements, les métropoles ou les régions qui, au quotidien, œuvrent pour le service public. Les challenges à relever pour les DRH des territoires sont variés et l’on retrouve des problématiques communes à celles du secteur privé.

Recrutement et attractivité

Un enjeu croissant pour les collectivités locales réside dans le renforcement de leur attractivité dans un marché du travail où le rapport de force s’est inversé en faveur des candidats et où les attentes ont beaucoup évolué. Les collectivités locales tentent de se faire connaître et de faire connaître leurs métiers. Cependant, le statut de fonctionnaire n’est plus nécessairement recherché par les jeunes diplômés, qui souhaitent avant tout des expériences professionnelles leur ouvrant rapidement des perspectives de carrière. De même, les métiers proposés par les collectivités territoriales sont peu connus et les candidats détenant certaines compétences pourtant recherchées ne pensent parfois même pas aux organisations publiques pour exercer leur métier. Pour essayer d’attirer les candidats, la fonction publique territoriale a plusieurs leviers d’actions. Bien que la mue du service public soit engagée depuis plusieurs années, la représentation que les individus peuvent se faire de la fonction publique est tenace. Elle souffre encore d’une image de lourdeur de fonctionnement, d’emplois réservés selon la réussite à des concours ou encore d’agents peu motivés. De plus, à l’heure où les candidats cherchent à donner du sens à leur travail, mettre en avant des emplois dont l’objectif est d’œuvrer pour l’intérêt général et le service public est une dimension à travailler à tous les niveaux de la politique RH. Enfin, un autre levier d’action est la valorisation de la marque territoriale et la qualité de vie sur certains territoires. Certaines collectivités territoriales font d’ailleurs appel à des influenceurs. La question de l’attractivité est un réel défi sur le long terme.

Organisations inclusives

Comme pour le secteur privé, les chantiers autour de l’égalité, de la diversité et de l’inclusion sont nombreux. Il s’agit par exemple de garantir un taux d’emploi de 6 % des personnes en situation de handicap. Briser les plafonds de verre pour les femmes, casser les représentations sur les métiers « genrés » ou rééquilibrer les rémunérations, en faveur des métiers fortement féminisés et traditionnellement moins bien rétribués, constitue aussi une problématique à laquelle sont confrontés les professionnels RH du public. L’inclusion est également travaillée à travers des plans de recrutement dédiés à l’insertion dans l’emploi, soit des jeunes, par le développement de l’apprentissage, soit des publics éloignés de l’emploi, par les dispositifs d’insertion. En matière de rapport au fait religieux, il est toutefois à noter que les collectivités locales ne rencontrent probablement pas les mêmes problématiques que dans le secteur privé, peut-être parce qu’elles ont travaillé ce sujet depuis plus longtemps, au regard du principe de laïcité qui impose à tout agent public de ne pas donner à voir, dans son activité professionnelle, ses convictions religieuses.

Évolution des compétences et des parcours

À l’heure où la digitalisation et l’intelligence artificielle modifient en profondeur les organisations du travail et les métiers, les collectivités locales doivent relever le défi des compétences des agents. Face à cet enjeu auquel toutes les organisations, publiques comme privées, sont confrontées, la fonction publique territoriale devra s’appuyer sur sa longue expérience d’analyse des compétences pour que ces évolutions ne soient pas brutales socialement et humainement. Cette problématique est à analyser également au regard du contexte d’allongement des carrières professionnelles des agents, alors que 75 % d’entre eux occupent des fonctions de terrain, de production ou d’exécution du service public et que 46 % des agents publics territoriaux ont 50 ans et plus. Les compétences analytiques des professionnels de la fonction RH s’avéreront nécessaires pour travailler de manière fine sur l’évolution des compétences de leurs agents en interne, mais également les parcours professionnels pour garantir l’employabilité des agents publics. Pouvoir travailler en réseau avec des homologues est ici un atout pour ces professionnels RH.

Renouveler les modes managériales

Les professionnels de la fonction RH des collectivités territoriales doivent également accompagner au quotidien les managers confrontés à de constantes évolutions de leur contexte de travail. Ainsi, le pilotage des services se fait à travers le contrôle de gestion, le design de service, les approches bénéficiaire ou utilisateur, qui sont des pratiques présentes au sein des grandes collectivités territoriales innovant pour faire face, entre autres, aux aléas budgétaires liés aux ressources et à leur répartition par les élus. Les contraintes nécessitent de faire preuve de pragmatisme et d’agilité tout en manageant avec bienveillance les équipes. Pour cela, les professionnels RH peuvent s’appuyer sur des écoles internes ou des campus dédiés à leurs cadres, qui permettent l’acquisition de nouvelles compétences et l’échange de pratiques. De même, le tournant du télétravail fait évoluer le rôle des managers et il leur est désormais demandé de composer avec des activités télétravaillables et des activités non télétravaillables, relatives notamment à toute la production de service public sur le terrain (collecte des ordures ménagères, nettoiement, transports en commun, fonctionnement des écoles, des collèges ou des lycées…) ou encore l’accueil des habitants et usagers (état civil, aide sociale, protection de l’enfance en danger, accueil des personnes âgées ou handicapées…). La mixité des métiers crée une complexité d’organisation que les managers du public savent gérer, mais il n’en demeure pas moins que faire évoluer toute une organisation vers une nouvelle culture reste un enjeu fort pour les professionnels RH.

Les défis de la fonction RH des collectivités territoriales sont variés et rejoignent sur de nombreux points ceux du secteur privé. La loi de 2019 intègre à la fonction publique des éléments de fonctionnement du privé en appliquant des outils de gestion et une logique d’efficacité issus du privé. Mis en place dans l’intention d’améliorer le service public, ce « nouveau management public » peut cependant trouver certains détracteurs, car il questionne, d’une part, la notion même de service public qui doit avant tout être orienté vers le juste et l’intérêt général et, d’autre part, parce qu’il renvoie au côté sombre de certaines techniques managériales présentes au sein d’organisations privées qu’on ne peut ignorer. De ce fait, il incombe aux professionnels RH d’être garants de la qualité de vie et des conditions de travail des agents et des contractuels. Par ailleurs, la fonction publique territoriale porte en elle des atouts qu’il convient d’exploiter et ce sont bien sur des valeurs de service rendu au public que peuvent s’appuyer les DRH des collectivités territoriales. Là où des entreprises du secteur privé cherchent leur raison d’être, la mission des collectivités territoriales est claire : œuvrer pour l’intérêt général. À l’heure où la question du sens de son métier prend beaucoup de place, agir pour une mission de service public reste la boussole du DRH des collectivités territoriales. Nul doute que cela fera une différence pour des professionnels RH en quête, eux aussi, de nouveaux horizons.


Les auteures

Lise Fournot-Bogey est directrice générale adjointe de la métropole de Lyon, en charge des ressources humaines et des moyens généraux. Forte d’une expérience de quinze ans dans différentes collectivités territoriales, aussi bien en ressources humaines que sur le management de politiques publiques, elle est vice-présidente de l’Association nationale des DRH des grandes collectivités territoriales et intervient régulièrement dans des jurys de concours, des formations spécialisées en RH ou management des collectivités territoriales.

Séverine Ventolini est professeure des universités à l’IAE de Tours Val de Loire (université de Tours) et membre du laboratoire Vallorem. Elle est présidente du réseau Référence RH, réseau de masters RH d’établissements publics. Ses recherches portent sur les problématiques de carrière, création de sens et d’inclusion.

Auteur

  • Lise Fournot-Bogey et Séverine Ventolini