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Volkswagen fait fructifier le temps de travail

SANS | publié le : 15.01.2002 |

Avec son Compte actions temps libre, le constructeur allemand propose à ses salariés d'investir l'équivalent de leurs heures supplémentaires, ou une partie de leur salaire, dans un fonds d'investissement spécifique. Pour prendre leur retraite plus tôt.

Si Manfred Krause, l'un des principaux DRH de Volkswagen, arrivé tout exprès de Wolfsburg, intervient ce 10 décembre 2001 à Berlin, au coeur du nouveau siège de la fédération patronale allemande, BDA, c'est que le constructeur d'Outre-Rhin fait une nouvelle fois figure de pionnier en matière d'organisation du travail. Ce qui agite en l'occurrence les DRH allemands, et notamment les spécialistes RH de grandes entreprises réunis ce lundi ? Les comptes de temps de travail à vie, dispositif de flexibilité du temps de travail à l'allemande, qui ne sont pas sans rappeler le compte épargne temps à la française.

Le principe en est simple. En cas de forte demande, les salariés effectuent des heures supplémentaires qui sont inscrites sur un compte. Quand la demande baisse, ces heures sont converties en temps libre. L'entreprise y gagne en flexibilité et fait l'économie d'heures supplémentaires onéreuses. Le salarié peut, lui, convertir ces heures pour réaliser différents projets individuels.

Étalonné dans le temps

Bon nombre d'entreprises possèdent un tel dispositif. Bien peu d'entre elles l'ont étalonné sur le long terme, notamment pour permettre des retraites avant l'heure. Chez les patrons en tout cas, le modèle séduit : « Les comptes à vie sont le modèle de l'avenir », décrète sans hésitation Reinhard Göhner, l'un des responsables du BDA, chargé d'ouvrir le débat. VW est allé plus loin encore, en faisant de ces comptes de temps à vie un fonds d'investissement piloté par des gestionnaires financiers haut de gamme. Le constructeur de Basse-Saxe dispose, depuis le 1er janvier 1998, de cette version élaborée du compte de temps de travail. « On s'est demandé comment faire d'une heure deux heures. C'est comme ça que nous avons inventé les actions temps libre », explique fièrement Manfred Krause. Pour acquérir ces actions (Zeitwertpapiere), les salariés de VW versent soit du temps (heures supplémentaires, pauses non prises, congés exceptionnels...), soit de l'argent (une partie du salaire brut sous forme de prélèvement automatique mensuel ou de virement unique en fin d'année, primes, bonus...) ou les deux à la fois. Ces actions sont ensuite placées dans un fonds d'investissement spécifique, géré par cinq sociétés d'investissements, dont J.P. Morgan Investment GmbH et Frankfurt Trust.

Engouement des salariés

« Certains salariés convertissent une très grande partie de leurs revenus ou de leurs primes en actions. Un de nos salariés, par exemple, a versé sur son compte les deux tiers de la prime de 150 000 euros qu'il avait gagnée pour trois bonnes idées », raconte Manfred Krause. L'engouement des salariés pour les "actions temps libre" s'explique, entre autres, par leur rentabilité. Depuis sa mise en place, le fonds a progressé de 5,9 %, en moyenne, par an. En cas de crash boursier, le salarié est sûr de récupérer au moins la somme investie. « Depuis la création du fonds, nos économies ont progressé d'environ 11 millions à 337 millions d'euros », se félicite Manfred Krause, qualifiant le modèle de "succès ". Parmi les sommes investies, 75 % proviennent de sources financières (salaires, primes, bonus...) et 24,6 % d'heures supplémentaires.

Une utilisation limitée des actions

L'utilisation des actions est toutefois clairement limitée. Les salariés ne peuvent demander à être payés pour arrondir leur retraite, mais seulement pour partir plus tôt. « Notre modèle permet aux salariés de décider eux-mêmes, à partir de l'âge de 55 ans, quand ils souhaitent arrêter de travailler », insiste le DRH. Seules exceptions : en cas de licenciement, choisi ou imposé, le salarié a la possibilité de convertir ses actions en argent sonnant et trébuchant. Il peut aussi les utiliser pour quitter plus rapidement l'entreprise. En cas de décès, la valeur des actions est versée aux héritiers. « Dans l'hypothèse peu probable d'une insolvabilité de Volkswagen, le salarié peut réclamer ses droits directement auprès de notre société de gestion Volkwagenpensiontrust e.v », ajoute Manfred Krause, sachant qu'il aborde un sujet sensible. Les conséquences d'une faillite constituent en effet l'une des hypothèques qui pèsent sur les comptes de travail à vie et qui expliquent leur nombre jusqu'à présent limité. « Un grand nombre de PME vivent au crédit de leurs salariés et ne seraient pas capables de les rembourser en cas de faillite », met en garde Gerhard Bosch, vice-président de l'Institut travail et technique (IAT) à Gelsenkirchen

Réalisation des objectifs

Autre problème : les comptes à vie sont difficiles à gérer et onéreux. « Bien sûr, nous disposons de comptes de travail. Près des deux tiers des entreprises en possèdent, explique Heiko Brockbartold, jeune cadre à la DRH de Siemens, fraîchement arrivé de Munich pour cette réunion du BDA. La question qui se pose aujourd'hui est de savoir s'il faut remplacer ces comptes par des comptes à vie. Je ne sais pas si ces derniers seraient une bonne chose pour Siemens. Chez nous, ce qui importe aujourd'hui, c'est la réalisation des objectifs et non le temps passé en entreprise. La confiance est au coeur de notre politique. » Mais l'idée commence pourtant à gagner du terrain.

Déjà deux organisations patronales (banques et acier) ont conclu récemment avec les syndicats des accords de branche introduisant de tels modèles. Et quelques entreprises ont mis en oeuvre ce dispositif de compte à vie. Comme Bosch, chez qui les heures accumulées sont converties en temps libre en fin de carrière, ce qui permet au salarié de partir à la retraite deux ou trois ans avant la date prévue en touchant 100 % de son salaire.

Dans l'accord signé, une partie des heures supplémentaires (au-delà de 35 heures) est rémunérée, l'autre épargnée en temps. Beaucoup d'entreprises en ont fait aussi un argument de recrutement.

L'essentiel

1 Les comptes de temps libre, largement utilisés par les entreprises allemandes, sont un outil de flexibilité du temps de travail.

2 Les heures supplémentaires y sont converties en temps libre pour permettre le financement de longs congés.

3 De rares entreprises en font un dispositif à vie, permettant des départs anticipés. VW le fait depuis 1998, avec en plus un fonds d'investissement, alimenté par du temps.

Compte épargne temps français

Le compte épargne temps français valorise aussi les heures investies, sur cinq ans, dix ans, ou plus.

En France, le compte épargne temps a été institué par la loi du 25 juillet 1994, et connaît un regain d'intérêt avec les 35 heures. Il présente plusieurs similitudes avec les comptes temps libre allemands.

- Principe : l'entreprise provisionne la contre-valeur en salaire de temps "épargné" par le salarié (RTT, majorations d'heures supplémentaires, reports de congés), ainsi que des primes converties en jours. Le tout dans la limite de 22 jours par an. A la sortie, les sommes perçues pour financer un congé (ou une préretraite) correspondent au nouveau salaire du titulaire du compte.

- Durée : cinq ans. Dix ans dans certains cas. Pour les salariés de plus de 50 ans préparant une cessation anticipée d'activité, ces limites ne s'appliquent pas.

- Gestion : pour faire face aux engagements sociaux de l'entreprise à la sortie, des spécialistes de l'épargne salariale proposent une gestion personnalisée, principalement en Sicav monétaires (court terme, faible risque).