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"Passer d'une gestion par les âges à une gestion des âges"

SANS | publié le : 26.03.2002 |

Faire travailler les salariés plus longtemps impliquera, pour les entreprises, d'agir bien en amont de la retraite. Avec des champs d'intervention prioritaires comme la mobilité, la formation, l'amélioration des conditions de travail, la gestion des différences.

E & C : Maintenir les salariés âgés dans l'emploi fait, aujourd'hui, l'objet d'un consensus. Mais comment passer à l'acte ?

Dominique Thierry : Le consensus auquel on est arrivé reste un consensus intellectuel. C'est un point de passage nécessaire, mais pas suffisant. Il faut maintenant passer à un programme d'actions. Deux considérations sont importantes pour inverser la tendance. Tout d'abord, ne pas aborder la question des retraites sans aborder celle de l'emploi. C'est le message prioritaire du Conseil d'orientation des retraites et c'est une grande première. J'ajouterai qu'il faudrait y intégrer une troisième dimension : les politiques de formation. Il me semble que c'est à travers ces trois piliers - retraite, emploi et formation - qu'on peut poser une problématique en termes nouveaux.

A contrario, il est impensable d'aborder le problème des retraites tant que le taux d'activité des salariés avant la retraite n'est pas à un niveau raisonnable et normal (37,2 % pour les 55-64 ans en France, contre 51,6 % en moyenne dans les pays de l'OCDE).

Cela ne veut pas dire qu'il faut raisonner sur la question "âge et travail" au travers du seul levier de la retraite et se focaliser sur la gestion des fins de carrière. Pour reprendre une formule chère à Développement et Emploi, il faut passer "de la gestion par les âges à la gestion des âges". Les entreprises doivent accepter de considérer globalement la question "âge et travail", en prenant en même temps - même si les pratiques sont différentes - la question de l'intégration des jeunes, la gestion des milieux de carrière et la gestion des salariés vieillissants.

E & C : Comment passer d'une gestion par les âges à une gestion des âges ?

D. T. : A travers au moins six champs d'action prioritaires. D'abord, la mobilité : s'il faut amener à 60 ans, voire plus, la grande masse des salariés, il faut réfléchir à leur mobilité professionnelle dès 40 ans. Ce n'est pas à 55 ans qu'on peut changer de métier, c'est à 40-45 ans, quand il reste quinze à vingt ans d'activité. Il faudra penser ces reconversions précoces avec une approche de mobilité professionnelle territoriale car la réalité, c'est que la grande majorité du marché du travail est un marché du travail local.

Puis, la formation professionnelle : ce n'est que lorsque les gens auront admis l'idée d'une mobilité professionnelle précoce qu'ils pourront se faire à l'idée d'une formation réelle tout au long de la vie. Les gens ne voient pas pourquoi ils se formeraient à 45-50 ans si on ne leur a pas appris avant à se former en continu et s'ils sont coincés dans leurs possibilités d'évolution.

Ensuite, la transformation des conditions de travail : la majorité des salariés se disent usés, physiquement et psychologiquement, par leurs conditions de travail. C'est une des raisons pour lesquelles ils ont envie de partir.

Egalement, l'aménagement du temps de travail : il est évident que des aménagements spécifiques constituent une réponse pour les plus de 50 ans. Mais les marges de manoeuvre pour réaliser ce scénario de la transition ont été réduites par les 35 heures. Il est un peu tard pour parler de réduction sur la vie entière quand, collectivement, nous avons eu le beurre et l'argent du beurre...

Enfin, la reformulation de la notion d'identité professionnelle. L'utilisation des préretraites, même si les salariés la revendiquent comme un droit acquis, est aussi un signe d'exclusion, de perte d'identité. Le maintien au travail des plus de 50 ans passe par la reconstruction d'une identité au travail, spécifique pour ces tranches d'âge, conciliant activité professionnelle et extra-professionnelle.

Pour finir, la capacité pour l'entreprise à gérer la diversité : les entreprises devront apprendre à gérer des âges différents, avec des attentes différentes. Avec, pour les plus de 50 ans, une question fondamentale : la prise en compte du vieillissement dans le travail.

E & C : Les entreprises sont-elles prêtes à mettre en oeuvre de telles préconisations ?

D. T. : Les pratiques d'entreprises sont d'abord liées au marché du travail. Il n'y a pas à proprement parler de politique d'emploi d'entreprise, il n'y a que des pratiques d'emploi. Et celles-ci sont d'abord conditionnées par les contraintes du marché du travail. C'est au travers des difficultés de recrutement, des problèmes de pénurie que les entreprises devront se poser la question de maintenir dans l'emploi les salariés âgés. La pénurie de main-d'oeuvre est le seul levier réel, fort sur les pratiques d'entreprises, indépendamment des mesures relevant davantage des politiques nationales qu'il est, par ailleurs, indispensable de mener.

BIBLIOGRAPHIE

La gestion prévisionnelle et préventive des emplois et des compétences, Ed. L'Harmattan, 1993.

L'entreprise face à la question de l'emploi, Ed. L'Harmattan, 1996.

A la recherche du temps convenu, avec C. Perrien, Ed. d'Organisation, 1997.

20-40-60 ans... Dessinons le travail de demain, ouvrage collectif qu'il a dirigé, Ed. d'Organisation, 2002.

PARCOURS

Ingénieur chimiste, diplômé de l'IEP de Paris et docteur en sociologie, Dominique Thierry a fondé Développement et Emploi en 1981. L'association - 150 entreprises adhérentes - a réalisé, en vingt ans, environ 2 000 actions de conseil et d'études dans les domaines de l'emploi, de l'évolution professionnelle, de l'aménagement du temps de travail.

Personnalité qualifiée de nombreuses commissions (Commissariat général au Plan, Conseil supérieur de l'égalité professionnelle, Commission d'évaluation des aides publiques aux entreprises...), il est l'auteur de nombreux ouvrages.