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PLUS DE POLYVALENCE, MOINS DE PROMOTIONS

SANS | publié le : 14.05.2002 |

Prises en tenaille entre un contexte conjoncturel défavorable au recrutement, et, à l'horizon 2010, une pyramide des âges qui s'annonce alarmante, les entreprises tentent de consolider leur gestion interne de l'emploi : beaucoup favorisent la mobilité.

Après une période de difficultés de recrutement externe, puis une période de ralentissement des besoins en recrutement, les entreprises, voyant leur politique de l'emploi faire le yo-yo, s'orientent progressivement vers une meilleure gestion de leurs compétences internes », analyse Caroline Durand, responsable du marché entreprise au sein du département marketing de l'Apec.

Ces politiques de stop and go donnent le tournis aux entreprises, qui n'ont d'autre choix que de resserrer leur gestion interne de l'emploi, ne serait-ce que pour pallier la pénurie des cadres annoncée pour 2004 (*). D'après l'Apec, environ 460 000 postes doivent être pourvus par la promotion interne, entre 2001 et 2010.

Pas facile, cependant, de gérer un marché interne, assujetti aux mutations structurelles qui frappent les organisations elles-mêmes. De fait, les entreprises écrasent leurs lignes hiérarchiques pour mieux s'organiser en process. Il s'agit là d'une véritable rupture, qui appelle des démarches compétences pour mieux coller à des business models, visant à optimiser la relation client.

Segmentation du marché interne

« Les entreprises ressentent le besoin de professionnaliser leurs filières de métiers, explique Eric L'Homme, consultant chez Bernard Brunhes. Du coup, le marché interne est de plus en plus segmenté. Des mobilités horizontales dans une même filière sont souvent recherchées pour développer la compétence. » Par ailleurs, les entreprises se recentrent sur leur coeur de métier et demandent une expertise plus grande de la part de leurs salariés. Toutefois, dans le quotidien, les vieux réflexes, liés à une stratification marquée, se traduisent dans la pratique des rémunérations qui correspondent, encore bien souvent, à des logiques de poste et à des positionnements dans l'organigramme.

Dans ce contexte incertain, la promotion interne s'organise tant bien que mal. Outre les outils tels que les 360 °, le coaching, l'assessment center, les évaluations one shot pour détecter les potentiels, la mise en place de forums, de conférences métiers, de processus de formation, les bourses de l'emploi..., les entreprises s'appuient sur l'expérience des consultants ou des cabinets de recrutement, devenus à l'occasion des spécialistes du recrutement interne.

« La situation n'est pas la même qu'avant avril 2001, où le recrutement externe était extrêmement fort, explique Hubert L'Hoste, directeur de Mercuri Urval, le marché interne représente, désormais, 35 % de notre activité. »

Le cabinet conseil Atefo a été, pour sa part, récemment mandaté par un équipementier automobile pour engager un processus interne de recrutement, et créer des postes de superviseurs (voir p. 16). Au bout du compte, malgré des tentatives velléitaires, la promotion interne n'a pas connu de sursaut salutaire... pas encore. Alors qu'elle a concerné 11 % des cadres, en 1995, cinq ans plus tard, ce chiffre n'a progressé que de 4 % (enquête Apec mobilité 2001). De surcroît, les seuils entre catégories sont de plus en plus difficiles à franchir (voir p. 16).

Dès l'instant où, dans l'entreprise, il existe moins de niveaux et donc moins de postes clés, la progression verticale est plus difficile. Du coup, seuls les cadres à hauts potentiels et les experts tirent leur épingle du jeu en matière de promotion... qui passe, au préalable, par plus de mobilité transversale. En témoignent les chiffres de la mobilité interne des cadres, qui, elle, est en nette progression (voir graphique ci-contre).

Polycompétence

Ces mobilités conduisent, elles aussi, à la polycompétence du salarié. « A défaut d'une promotion hiérarchique, constate Jacques Freyssinet, directeur de l'Institut de recherches économiques et sociales, on élargit le portefeuille de compétences des salariés, qui correspond à une double préoccupation de ce dernier : acquérir de nouvelles compétences et ac- croître son employabilité. »

Selon Jean-Claude Quentin, responsable secteur emploi et formation à FO : « A cause du développement des logiques de polyvalence et de multicompétences, la rémunération ne dépend plus seulement des qualifications, mais elle se fonde aussi sur des critères comportementaux, dont la détermination est plus qu'aléatoire. » Ces différents observateurs constatent, par ailleurs, « une réduction régulière » de la promotion, et un « mépris » de la part des branches professionnelles et des entreprises, qui « n'ont pas anticipé l'inversion de la pyramide des âges, dans les dix années à venir ». En clair, les entreprises sont vouées à batailler, encore plus fort, pour conserver les compétences et pour en trouver d'autres...

(*) L'étude de l'Apec, présentée le 29 janvier dernier, établit à 755 000 le nombre de cadres à remplacer dans le privé, entre 2001 et 2010.

L'essentiel

1 Les entreprises, qui recrutent moins, développent des outils destinés à fidéliser et à professionnaliser leurs ressources internes.

2 La conséquence directe d'une gestion interne de l'emploi plus attentive est le développement de la polycompétence, qui ne se traduit pas dans les faits par une promotion interne plus soutenue.

3 La pénurie de cadres, à l'horizon 2004, obligera les entreprises à muscler leur promotion interne, encore limitée.

De technicien à superviseur

Le cabinet-conseil Atefo a mis en place, récemment, une organisation autonome de la production, dans une entreprise spécialisée dans l'équipement automobile. « Nous avons commencé par définir les fonctions et les référentiels de compétences, raconte François Boneu, président-directeur général d'Atefo. Des procédures permettant la mesure des savoir-être (tests de personnalité et entretien avec psychologue) sont prévues. Les savoir-faire, eux, seront évalués, après l'appel à candidatures via la bourse de l'emploi, au cours d'entretiens avec les professionnels des différentes fonctions de l'entreprise. »

Le passage cadre au ralenti

Le passage au statut cadre est encore difficile à acquérir. « Dans l'entreprise, la place qu'on acquiert est largement dictée par la sélection déjà opérée par le système éducatif, pense Bernard Galambaud, directeur scientifique à Entreprise & Personnel, et professeur à l'ESCP/EAP. Et cette sélection n'a jamais été aussi systématique. Dans les entreprises industrielles traditionnelles, le passage cadre s'effectue encore au compte-gouttes. Dans d'autres entreprises, la notion de "cadres" n'a pas la même valeur... et le passage est plus aisé. »

« Le statut de cadre, s'il est toujours symbolique, ne revêt pas un caractère prestigieux, remarque, de son côté, Jacques Freyssinet, directeur de l'Ires, mais il demeure nécessaire pour qui veut acquérir des avantages, tels que les retraites complémentaires favorables à cette catégorie de personnel, ou bénéficier de l'Apec, s'il est licencié. » Pour Bernard Galambaud, les bac + 2 sont des « frontaliers sociaux », qui fréquentent à la fois les cadres et les exécutants et assurent assez souvent la quotidienneté des entreprises. Pourtant, leurs compétences et leur rôle sont insuffisamment reconnus en termes de « promotion, de salaire et de prestige ».

Vers un "statut du travail salarié"

L'évolution horizontale, qui supplante la promotion verticale, est synonyme, aux yeux de la CGT, de flexibilité et donc d'insécurité professionnelle. La CGT travaille sur la mise en place d'un "statut du travail salarié" pour répondre à l'insécurité de l'emploi et à la flexibilité dans l'entreprise. L'objectif est d'établir de nouvelles garanties interprofessionnelles, pour que « les salariés n'aient plus de parcours chaotiques », explique Jacques Tord, conseiller confédéral chargé de l'emploi. La mobilité, conséquence d'une gestion plus rationnelle du marché interne de l'emploi, est accusée de développer la précarité. Son raisonnement sous-tend l'idée que les compétences sont certes mieux utilisées, mais ne sont pas rémunérées à leur juste valeur et ne sont pas synonymes de promotion. La démarche requiert la remise en cause de l'ensemble des conventions collectives « pour rebâtir un nouveau contrat de travail, qui s'applique d'une branche professionnelle à l'autre » et qui sera opposable à tout employeur. La CGT veut, par conséquent, engager une négociation interprofessionnelle sur ce thème, qui constituera la base de sa campagne prud'homale.

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