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« Le syndicalisme radical tend à se renforcer »

SANS | publié le : 04.06.2002 |

Apparu à la fin des années 80, le syndicalisme radical a encore de beaux jours devant lui, notamment parce que le management des entreprises reste encore archaïque. Mais il est concurrencé par un syndicalisme de négociation, moins médiatisé mais qui progresse.

E & C : Pourquoi voit-on émerger un syndicalisme radical en France ?

D. L. et H. L. : Il y a toujours eu un fond de radicalisme en France. L'anarcho-syndicalisme fait partie de notre culture sociale, même s'il a été longtemps en sommeil, en gros, jusqu'aux années 90, à cause de la domination du communisme sur une grande partie du mouvement. Cela dit, le syndicalisme radical survient quand un certain nombre de conditions sont réunies. D'abord, la peur du changement : c'est le cas, notamment, quand les entreprises d'un secteur abrité se retrouvent en situation de pleine concurrence, au niveau mondial, ce qui impose des niveaux d'exigence accrue. Ensuite, la perte de reconnaissance dans les syndicats traditionnels : dans beaucoup d'entreprises, les structures syndicales sont usées par l'âge, l'habitude et le compromis. Les gens, et notamment les jeunes, ne s'y reconnaissent pas. Enfin, quand l'encadrement de l'entreprise, lui-même, n'est pas présent sur le terrain, quand des agents de maîtrise ne sont pas en mesure de répondre aux questions ou à l'inquiétude des gens, c'est alors qu'on assiste à l'apparition de syndicats radicaux.

E & C : Quelles sont les caractéristiques du syndicalisme radical et quel poids pèse-t-il ?

D. L. et H. L. : Le syndicalisme radical - Sud, le "Groupe des 10" -, mais aussi des sections syndicales traditionnelles qui adoptent des pratiques radicales restent minoritaires en nombre. Sud, par exemple, ne compte pas plus de 40 000 adhérents, ce qui est très peu par rapport aux grandes centrales. Toutefois, alors que pour les syndicats traditionnels, l'influence se mesure par le nombre, pour les syndicats de type sudiste, on a affaire à un militantisme d'un type nouveau. Leurs moyens d'action sont la guérilla juridique (avec la multiplication des actions judiciaires, parfois à tout propos) et, surtout, la médiatisation : on porte les problèmes internes des entreprises sur la place publique et, quand ceux-ci entrent en résonance avec la sensibilité du public, alors, c'est gagné. Les syndicats radicaux ont d'ailleurs une autre force : ils s'inscrivent dans la constellation anti-mondialiste, qui ne comprend pas seulement des syndicats, mais surtout des associations (Attac, associations de chômeurs, etc.). C'est un militantisme ayant une portée internationale, qui fonctionne en réseau et qui est beaucoup plus en prise avec la société.

E & C : Le syndicalisme radical va- t-il se développer ?

D. L. et H. L. : Oui, pour plusieurs raisons. La première : la mondialisation en cours suscite à la fois de l'inquiétude et des mouvements d'opposition dans les entreprises. Or, le grand aliment du syndicalisme radical, c'est la peur du lendemain, la perte de repères. Deuxième raison : beaucoup de militants des syndicats traditionnels arrivent à la retraite, ce qui va nécessiter un renouvellement. Des syndicats comme Sud correspondent en partie à ce renouvellement. Troisième raison : notre tradition de relations sociales est encore largement marquée par la technocratie et le directivisme. Dans la plupart des grandes entreprises, on n'a pas su introduire vraiment, parmi les managers, une culture de la négociation. Toutes les entreprises où s'est développé Sud sont celles qui se sont ouvertes sur le plan économique, organisationnel, commercial, mais qui sont restées sur des modes de management très traditionnels. Il reste donc encore beaucoup de place pour le syndicalisme radical, car des exemples de tels archaïsmes sont nombreux.

E & C : Quelle place y a-t-il pour le syndicalisme fondé sur la négociation ?

D. L. et H. L. : On assiste à une sorte de course de vitesse entre un syndicalisme moderne, fondé sur la négociation, et un syndicalisme radical, foncièrement protestataire. Dans les années 1993-1994, au plus fort de la crise, des équipes syndicales ont su négocier, dans des centaines d'entreprises, des accords de maintien de l'emploi, et elles ont admis d'échanger du salaire contre du temps de travail. Cette ouverture de la société française à la négociation s'est interrompue en 1995 et le syndicalisme radical a été "reboosté". Mais cet espace pour la négociation existe toujours, même s'il reste souvent en jachère et même s'il n'est pas médiatisé.

Par ailleurs, les lignes de partage ne sont pas claires. On voit des syndicats Sud qui se sont développés dans la protestation et qui, aujourd'hui, sont arrivés à une certaine maturité et sont prêts à négocier. Il existe des entreprises où seul Sud signe des accords. La course de vitesse entre un syndicalisme de négociation et un syndicalisme radical dépendra aussi étroitement de la manière dont sont managées les entreprises. Lorsqu'une équipe de management trouve que la négociation est un pis- aller et n'applique pas, ou mal, les accords sur le terrain, on a tous les ingrédients pour créer un syndicat radical. La culture de la négociation doit être quotidienne, c'est une culture de la manière dont on associe les salariés à la résolution des problèmes qui se posent dans l'entreprise.

SES LECTURES

Droit du travail et société (2 tomes), Jacques Le Goff, Presses universitaires de Rennes, 2001 et 2002.

La lutte syndicale, Pierre Monatte, Maspero, 1976.

No logo, Naomi Klein, Ed. Actes Sud, 2001.

PARCOURS

Daniel Labbé (assis), ancien responsable de la CFDT chez Renault et expert des relations sociales, et Hubert Landier, directeur de la Lettre Management Social et expert en management, sont auteurs de plusieurs ouvrages sur le syndicalisme, l'entreprise et les rapports sociaux. Ils ont publié, notamment, Les organisations syndicales en France (1998), Les relations sociales dans l'entreprise (1999) et L'entreprise face au nouveau radicalisme syndical (2001), tous parus aux Editions Liaisons.