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LE CASSE-TÊTE DES RETOURS

SANS | publié le : 11.06.2002 |

Bien conscients de leur intérêt à fidéliser leurs salariés clés, les grands groupes veulent mieux gérer le retour de leurs expatriés. Eviter les frustrations, voire les démissions, exige une bonne gestion des carrières et, parfois, la prise en compte de la dimension psychologique de l'expatriation.

La qualité de l'élastique : c'est ce qui compte pour les expatriés qui reprennent le chemin du pays. Et, de plus en plus, pour les responsables de mobilité internationale. Dans le jargon des spécialistes de l'expatriation, l'image recouvre l'ensemble des conditions offertes aux cadres en mobilité internationale pour s'assurer qu'ils réintègrent leur entreprise d'origine dans les meilleures conditions : rémunération, relocalisation, avec aide à la recherche de logement, éventuellement à la recherche d'emploi pour le conjoint et, par-dessus tout, proposition d'un poste à la mesure du salarié qui a enrichi ses compétences techniques et managériales dans une filiale lointaine. De quoi éviter les frustrations après une "grande" aventure, et les tentations d'un départ, souvent vers la concurrence. Le parcours de Jean-Pierre Doly, aujourd'hui directeur chez BPI, cabinet spécialisé dans l'évolution de carrières, illustre toute la difficulté de l'exercice. « Je suis rentré en France, il y a un an et demi, après sept ans d'expatriation à des postes de direction générale pour le groupe Danone, en Argentine et en Espagne, explique-t-il. Pendant que j'étais en mission, la filiale d'emballage, dont j'étais patron à l'origine, avait été vendue à une société de capital-risque. » Il aurait pu retrouver un poste de direction au sein de Danone. Il a choisi un autre chemin : « A l'époque, certains pionniers dans un pays ne voyaient pas leur expérience valorisée. Mais le groupe en était encore aux balbutiements dans ce domaine. »

Urgente fidélisation

Pourtant, dans la guerre des talents qui s'impose à tous, les expatriés deviennent une population à fidéliser d'urgence. D'autant plus qu'une expérience à l'international s'avère de plus en plus une figure obligée de l'accession au "top management". Dans une enquête KPMG-Entreprise & Carrières, réalisée auprès de cinquante gestionnaires de mobilité internationale, à l'occasion du salon Avenir Export-Avenir Expat de mars dernier, 29 % d'entre eux considéraient qu'ils devaient favoriser la préparation du retour et 50 % qu'ils devaient soigner la réintégration. Des étapes devenues aussi critiques que celles de la préparation au départ (57 %) ou du suivi de la mission (57 %).

« Parmi nos membres, le retour est l'un des deux grands axes de travail actuels, avec le conjoint, confirme Yves Girouard, président du cercle Magellan, association professionnelle qui rassemble de nombreux gestionnaires de mobilité internationale. D'ailleurs, le groupe de travail dédié à la gestion des retours est passé d'une quinzaine de mem- bres, à l'origine, à quarante aujourd'hui. »

Les risques sont réels pour l'entreprise, même si seules de rares enquêtes américaines se sont efforcées de les mesurer : 20 % à 25 % des expatriés ont quitté leur compagnie dans l'année de leur retour aux Etats-Unis, selon l'une d'entre elles. Dans ce cas, c'est à une hémorragie de compétences que s'expose l'entreprise, même si la population expatriée reste numériquement faible.

L'expatriation est vue d'abord comme un coût

« Cette prise de conscience ne date que d'une dizaine d'années, estime Jacques Vernet, lui aussi directeur chez BPI, après vingt-deux ans d'expatriation et un poste de DRH d'Alstom. Historiquement, l'expatriation a longtemps été considérée en France comme un coût plus que comme un investissement. Aujourd'hui, on s'efforce d'intégrer de mieux en mieux l'expatrié dans une gestion de carrière globale. Même s'il est difficile de se projeter à trois ou cinq ans, le siège ou l'unité d'origine garde un contact plus étroit, évalue les performances et l'acquisition de compétences plus précisément. »

Gestion de carrière efficace

Les consultants et les gestionnaires de mobilité sont unanimes sur ce point : bien gérer le retour et la réintégration des expatriés, c'est d'abord pratiquer une gestion de carrière efficace pour l'ensemble des cadres. Ce qui n'est pas un mince enjeu. « Cela signifie déjà de bien sélectionner les candidats au départ, d'être clair sur les objectifs de la mission, de savoir évaluer pendant la mission et d'être connecté sur une politique globale de gestion des cadres », détaille Etienne Gousson, directeur de la mobilité internationale de HR Valley, filiale de Danone, spécialisée dans le conseil en ressources humaines et la mobilité.

Vision irréaliste

Il y a donc encore du travail à faire sur les politiques de transferts, à en croire les expatriés eux-mêmes ; sur 1 200 d'entre eux, interrogés l'année dernière par HSD Ernst & Young, 20 % expliquaient être partis avec une vision irréaliste de l'objectif de leur mission, et avec le même flou sur les caractéristiques du poste qui les attendait pour un tiers. Quant au retour, 41 % se disaient préoccupés par la fin de leur mission.

Mais la période récente de restructurations et de fusions géantes dans de nombreux secteurs avait de quoi inquiéter ceux qui, loin du siège, ne pouvaient guère défendre leur poste en cas de doublon. Aujourd'hui, après avoir généralement optimisé la préparation au départ et les coûts de l'expatriation, les grandes entreprises devraient ouvrir le chantier des retours. Pour aborder une nouvelle phase de leur internationalisation.

L'essentiel

1 Selon certaines enquêtes, jusqu'à 25 % des expatriés revenant dans leur entreprise d'origine la quittent dans l'année.

2 Les grands goupes savent conserver un lien avec leurs expatriés, évaluer leurs performances, et les associer à une gestion de carrière globale pour mieux prévoir le retour.

3 Les difficultés d'ordre affectif au retour sont encore peu prises en compte. Pourtant, l'expatrié perd en statut, en autonomie et peut subir un choc culturel en retrouvant son pays d'origine.

Témoignage : pas de poste au retour pour Jean-François Tout avait été prévu pour un retour en douceur, sauf la restructuration de son entreprise.

«On n'a rien trouvé pour toi. On est obligés de se séparer. » Cette phrase, Jean-François Rallier l'a entendue quelques mois après être rentré dans son entreprise d'origine, Reuters, en Espagne. Recruté dans ce pays, où il était directeur commercial adjoint, il avait ensuite été expatrié vers la France pour trois ans, puis au Danemark, comme directeur des ventes pour les pays nordiques et baltes.

En février dernier, restructuration : 12 % des postes, en majorité de cadres supérieurs, sont supprimés. Jean-François est rappelé en Espagne pour quelques mois, en attendant une nouvelle affectation. « La période était incertaine, explique-t-il. Aucun poste satisfaisant ne s'est présenté. » Il est aujourd'hui en outplacement - négocié lors de son départ - chez Leroy consultant, à Paris. A 49 ans, il cherche un poste de dimension européenne ou mondiale : « C'est là que je pense avoir une valeur ajoutée. Quand on s'est confronté à d'autres cultures, on s'assouplit et on augmente ses capacités d'écoute. »

Aléas de l'expatriation

Son parcours illustre bien les aléas de l'expatriation. Dans une entreprise sachant pourtant depuis longtemps gérer les carrières internationales, pratiquant un suivi croisé entre les DRH des différents pays de mission et celles du pays d'origine, un changement de stratégie ne lui a pas permis de retrouver un poste. Peu à peu, les expatriés ont été remplacés par des locaux, à la direction des filiales. Il le regrette, considérant que la remise en cause des parcours diversifiés risque d'affaiblir la culture particulière de l'entreprise, jusqu'ici véhiculée par les cadres en mobilité.

G. L. N.