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Renault rattrape la carrière de ses mandatés

SANS | publié le : 11.06.2002 |

Le 14 décembre dernier, le constructeur a signé un accord reprenant la méthode mise au point par la CGT pour démontrer l'existence de discriminations à l'égard de délégués syndicaux. Avec l'évolution de la jurisprudence, les DRH sont de plus en plus enclins à négocier.

«Accord de méthode relatif au règlement de litiges résultant d'évolutions professionnelles de représentants du personnel », tel est l'exact intitulé de l'accord signé, le 14 décembre dernier, par la direction de Renault et quatre syndicats sur cinq. « C'est un accord directement issu d'un précédent texte, signé le 23 juin 2000, qui revisite de fond en comble le droit syndical chez Renault, explique Jean-Christophe Sciberras, responsable du département des relations sociales (voir Entreprise et Carrières n° 582 du 3 juillet 2001). Il prévoyait des règles pour l'avenir, en matière d'évolution professionnelle des représentants du personnel, mais n'abordait pas la question du passé. » A l'origine, également, de l'ouverture de la négociation, au deuxième semestre 2000 : l'évolution de la jurisprudence et de la législation, renversant la charge de la preuve. « Nous avons pensé que ce n'était pas la peine d'aller devant les tribunaux et qu'il valait mieux "internaliser" les litiges. »

Accord d'entreprise

Mais c'est aussi sous la pression de la CGT que la direction a fait le choix du dialogue. « Au départ, la direction voulait régler les cas individuellement. Mais nous n'en voulions pas, pas plus que d'un accord bilatéral entre la direction et la CGT, raconte Philippe Martinez, délégué central CGT. Nous réclamions un véritable accord d'entreprise. » « Personne n'avait à gagner à l'engagement d'une procédure juridique, ajoute-t-il. Mais nous avions des dizaines de dossiers prêts, et si cela avait été nécessaire, nous les aurions portés devant le juge. » Dans sa démarche, cependant, la direction du constructeur a fait le choix d'une approche dépassionnée, technique. Ainsi, le préambule précise : « Des représentants du personnel de Renault déclarent avoir subi ou subir un préjudice dans leur évolution de carrière. Renault prend acte de la réalité de cette situation, mais considère que les mandats de représentants du personnel n'ont jamais été pris en considération pour décider d'une évolution de carrière. » L'objectif de l'accord est, ainsi, « de définir une méthode permettant de régler la situation passée et présente de ces représentants, dans le but, notamment, d'éviter, le cas échéant, l'aléa judiciaire inhérent à toute procédure ».

Coefficient de pondération

Cette méthode, directement inspirée par celle mise au point par la CGT, à la fin des années 90, chez Peugeot, consiste à comparer l'évolution de carrière du mandaté par rapport à un panel de salariés du même établissement et de la même catégorie, qui se trouvaient au départ au même coefficient (en remontant jusqu'à trente ans en arrière). « Si le représentant a évolué en dessous de l'évolution moyenne du panel, alors on compense le différentiel de rémunération, explique le responsable des relations sociales. Mais encore faut-il qu'il n'y ait rien à redire sur le plan professionnel, comme, par exemple, un refus de formation. En outre, il existe un coefficient de pondération : si, en début de mandat, la rémunération du représentant est inférieure à la moyenne du panel, cet écart est reporté tout au long de la carrière pour calculer la somme à verser. » Cette dernière étant majorée de 24 % au titre des dommages et intérêts (et d'une indemnisation complémentaire de mise à la retraite pour les salariés en préretraite Casa ou Arpe). En outre, les mandatés encore en activité bénéficient d'un repositionnement au niveau du salaire moyen du panel, ou d'une formation si le passage au coefficient supérieur la nécessite.

Les mandatés concernés doivent faire une demande écrite et motivée (ou apporter leur accord écrit à une démarche collective d'un syndicat). Ils sont alors reçus par le RRH local, qui se charge de définir les panels de référence, puis de faire le point, au besoin en allant interroger les anciens hiérarchiques sur leur déroulement de carrière. Une transacttion individuelle clôt la procédure, par laquelle les représentants s'engagent à renoncer à toute action en justice.

Un texte pour rester digne

« Pendant toute la négociation, la position de la direction, qui n'a jamais reconnu l'origine des écarts, a fait débat, souligne Fred Dijoud, délégué syndical central CFDT. Mais nous avons jugé que si nous en étions là, c'est que la direction avait fait le constat de réelles discriminations. A partir de là, nous avons élaboré un texte qui permet à chacun de rester digne. Le plus important étant de régler la situation des personnes concernées. »

Même pragmatisme du côté de la CGT : « On ne faisait pas de la reconnaissance de la discrimination une affaire de principe. L'accord est intéressant, car il n'est pas limitatif : parmi les premiers dossiers, on a même pu traiter les cas de collègues décédés. Par ailleurs, il accorde 24 % de dommages et intérêts, ce qui est plus que ce que l'on aurait pu obtenir en justice, de même que le repositionnement. »

Méthode injuste

La CGC, en revanche, a refusé de parapher l'accord : « Nous avons trouvé la méthode injuste, car elle permet de rattraper la carrière de délégués qui n'ont pas été discriminés, mais ont réellement fourni un travail inférieur à la moyenne, explique Robert Malherbe, le délégué syndical central. Par ailleurs, la direction avait décidé d'appliquer purement et simplement la méthode de la CGT, sans qu'il soit possible de négocier des aménagements.

Enfin, il existait déjà un accord qui prévoit que les organisations syndicales fassent, chaque année, un point sur l'évolution de leurs militants. Et s'il y a réellement discrimination, alors, c'est au juge de se prononcer. »

GROUPE RENAULT

Effectif : 140 417 personnes, dont 77 609 en France et 47 515 au sein de Renault SAS.

Chiffre d'affaires : 36,35 milliards d'euros en 2001.

Ventes : 2,4 millions de véhicules vendus en 2001, dont 1,9 en Europe.

L'essentiel

1 A la suite d'un accord qui organisait le suivi de carrière des salariés mandatés, Renault a signé un accord d'entreprise relatif au règlement des litiges du passé.

2 La méthode retenue, directement inspirée par la CGT, prévoit de comparer la carrière des mandatés à celle d'un panel de référence. Si un écart, non expliqué par des raisons professionnelles, apparaît, une indemnité transactionnelle est proposée.

3 Applicable à un nombre illimité de mandatés, cet accord a toutefois été rejeté par la CGC, qui juge la méthode inéquitable.

A l'employeur de prouver qu'il n'a pas discriminé

Depuis la directive européenne du 15 décembre 1997, qui inverse la charge de la preuve en matière de discrimination sexuelle, des jurisprudences de la Cour de cassation ont transposé ces principes en matière de discrimination syndicale. L'arrêt Fluchères, du 28 mars 2000, précise ainsi qu'il appartient au salarié syndicaliste qui s'estime discriminé de soumettre au juge les éléments de faits susceptibles de caractériser cette inégalité de traitement. Il incombe ensuite à l'employeur de prouver que la disparité de situation est justifiée par des éléments objectifs, étrangers à toute appartenance syndicale. La loi du 16 novembre 2001, relative à la lutte contre les discriminations, reprend cet aménagement de la charge de la preuve. Elle renforce également les moyens d'action des inspecteurs du travail, qui peuvent désormais se faire communiquer tout document ou tout élément d'information utile à l'établissement d'une éventuelle méconnaissance de l'interdiction des discriminations. Et permet aux syndicats représentatifs d'ester en justice pour un salarié, à condition qu'il ne s'y oppose pas.

Depuis "l'affaire PSA", les accords se multiplient

De plus en plus d'entreprises, à l'image de Renault, prennent acte de l'évolution de la jurisprudence et cherchent à régler les litiges relatifs à la discrimination. Pour autant, souligne François Clerc, devenu le "Monsieur discriminations" de la CGT après avoir obtenu la "réhabilitation" de 169 mandatés chez Peugeot, « aucune n'accepte de discuter s'il n'y a pas de réelles menaces juridiques. Ce qui signifie que nous devons continuer à monter les dossiers, à faire la démonstration de la discrimination, à calculer le montant du préjudice... »

Transactions

Par ailleurs, nombre d'entreprises choisissent de négocier des transactions individuelles. C'est le cas, par exemple, du groupe EADS, qui a demandé à chacune de ses filiales de traiter les cas. Un premier accord de dédommagement, concernant 13 délégués, a été signé dans l'établissement ex-Aérospatiale de Suresnes (92), prévoyant un repositionnement et la compensation à 50 % des arriérés de salaires. D'autres ont suivi chez Matra, Eurocopter, tandis que des discussions sont en cours au sein de la filiale MBDA (missiles) et chez Airbus.

Accord-cadre

Parallèlement, direction et syndicats ont signé, le 5 avril dernier, un accord-cadre, qui assure, notamment aux mandatés dont le crédit d'heures de délégation est supérieur à un mi-temps, une évolution de rémunération sur trois ans au moins équivalente à la moyenne de celle des autres personnels de même catégorie, et prévoit, dans chaque entité, une comparaison annuelle des salaires et classifications des salariés mandatés avec ceux de l'ensemble du personnel.

La SNPE a, quant à elle, choisi d'agir par accord d'entreprise. Avec les cinq syndicats, elle a signé, le 5 février dernier, un texte se référant explicitement à la loi du 16 novembre 2001 sur la lutte contre les discriminations. L'accord répare, à hauteur de 610 000 euros, la stagnation de carrière de 16 représentants syndicaux, et permet à d'autres mandatés présentant « un différentiel atypique de rémunération et de coefficient hiérarchique ne pouvant être justifié par des causes professionnelles », calculé en référence à un panel, de percevoir les arriérés de salaires assortis d'une majoration de 25 % au titre des dommages et intérêts. Il prévoit également qu'à l'avenir, tous les mandatés évolueront au moins comme la moyenne du panel de référence auquel ils appartiennent. « Cet accord est le plus précis en ce qui concerne le suivi de carrière des représentants du personnel, juge François Clerc. On touche là à l'essentiel du combat contre la discrimination, qui n'est pas une combine pour s'en mettre plein les poches, mais vise à donner les moyens aux organisations syndicales de vivre et de se développer. » S. F.