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La loi du placard

SANS | publié le : 01.10.2002 |

La psychiatre Marie-France Hirigoyen avait décrit le harcèlement moral et lancé une vaste réflexion qui a abouti à une loi. Un ouvrage de la psychosociologue Dominique Lhuilier lève le voile sur une des pratiques régulièrement associées au harcèlement : la mise au placard.

Une pièce raisonnablement confortable : table, chaise, ordinateur et même fenêtre. Tout comme un bureau. C'était, en réalité, un placard. Hélène, cadre d'un organisme public de recherche, y a passé près de deux ans, en fin de carrière. Elle avait purement et simplement disparu de l'organigramme. Un soir, après trente-six ans dans l'entreprise, « dont trente et un ans de bonheur », précise-t-elle, elle est partie en retraite, sans que personne lui dise au revoir. Aujourd'hui, elle attaque son employeur pour voir reconnue la somme des douleurs et de l'humiliation qu'a représenté, pour elle, cette inactivité forcée.

Un phénomène caché

Combien y a-t-il de placardisés en France ? Aucun élément chiffré ne permet d'apprécier l'importance d'un phénomène qui reste, en outre, souvent caché par les victimes. En revanche, Placardisés, des exclus dans l'entreprise, un ouvrage de la psychosociologue Dominique Lhuilier, paru le 27 septembre, en explore précisément les effets et les mécanismes (lire ci-contre). « Les placardisations peuvent perdurer extrêmement longtemps, surtout dans la sphère publique, explique-t-elle. J'ai rencontré une personne au placard depuis douze ans. Dans le privé, bien que l'existence de placards soit contradictoire avec l'exigence de réduction des coûts, certains y passent trois ou quatre ans. »

La fonction publique, avec un statut garantissant l'emploi, semble la plus propice à la mise en oeuvre de telles pratiques. Dans les collectivités territoriales, en plus, l'alternance politique favorise la suspicion quant à la loyauté des fonctionnaires qui ont oeuvré avec l'équipe précédente. Dominique Lhuilier relève aussi des cas dans les activités usantes physiquement et moralement, avec peu de dispositifs préventifs. Certaines entreprises ont, ainsi, créé un service des inaptes. La chercheuse a aussi ouvert la porte de nombreux placards dans les médias et même dans les start-up.

La placardisation peut relever d'une faillite du management. La forte pression sur les résultats met à l'écart un salarié que le hiérarchique ne parvient pas à motiver. « Il ne s'agit pas toujours d'une volonté de nuire, relève Michèle Drida, présidente de l'association Mots pour Maux. Mais l'effet sur les gens est visible. Il y a au moins une passivité coupable. »

Processus de harcèlement

Dans la plupart des cas, la placardisation fait partie d'un processus de harcèlement moral. La privation de travail et de contact était déjà décrite par la psychiatre Marie-France Hirigoyen comme un des moyens de torture mentale à la disposition du harceleur. On retrouve au placard les victimes fréquentes du harcèlement : syndicalistes, fortes têtes soucieuses de dénoncer des dysfonctionnements ou n'adhérant pas totalement à la culture maison... « Sans oublier les plus de 50 ans qui, pour des raisons économiques, représentent une bonne partie de cette population placardisée », signale l'avocat Philippe Ravisy. Le placard se trouve alors généralement dans le corridor qui mène droit vers une tentative de licenciement pour faute... et sans indemnités. Il fait partie des mesures destinées à émousser la combativité des victimes. Autre objectif, mentionné par Dominique Lhuilier comme par Loïc Scoarnec, président de l'association Harcèlement moral stop, délégué syndical et lui-même placardisé depuis 1997 : la volonté de conserver, en interne, visible de tous, l'image de celui qui a dérogé. On signifie, sans rien en dire, la nécessité d'adhérer. On montre celui qui a échoué pour que les autres se voient faire partie, à l'inverse, de ceux qui gagnent.

« Ce livre sur les placardisés devrait intéresser beaucoup de monde, pronostique Loïc Scoarnec. Si on pouvait rassembler tous les placardisés de France, on se trouverait face à un sacré panel : tous âges, toutes fonctions et tous secteurs. »

Placardisés : des exclus dans l'entreprise*

Dominique Lhuilier, maître de conférence en psychologie sociale à Paris-7, a rencontré des dizaines de placardisés pendant trois ans d'enquête. Elle a recueilli certains témoignages proprement hallucinants, comme celui de Jacques, un temps responsable de l'urbanisme dans une mairie, puis écarté de toute forme de responsabilité et de contact avec les autres, pour devenir le gardien d'un terrain vague aux allures de décharge, disposant d'un baraquement sans eau ni électricité.

Sur le mode utilisé en 1998 par Marie-France Hirigoyen dans Le harcèlement moral, la chercheuse s'appuie sur des cas concrets pour détailler à la fois les effets destructeurs sur la personne et les processus à l'oeuvre dans l'organisation. La dernière partie du livre indique quelques portes de sortie, précisant, notamment, comment plusieurs des victimes rencontrées sont parvenues à lentement se reconstruire.

* Editions Seuil. Septembre 2002.