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« Savoir gérer, c'est d'abord savoir penser »

SANS | publié le : 01.10.2002 |

Au sein des entreprises, la gestion des ressources humaines est souvent déficiente car peu d'entre elles savent établir un lien entre "l'usage de la ressource" et la performance. La GRH se concentrera dans l'avenir sur des salariés dits "stratégiques".

E & C : Que signifie "gérer des ressources humaines" ?

Bernard Galambaud : La gestion, c'est la quête de la performance. Le problème, c'est l'articulation entre l'usage de la ressource et la performance, la gestion n'étant que la maîtrise de cet usage. Il faut donc se poser la question du lien entre l'usage de la ressource et la performance. Il n'y a pas de différence de nature entre la gestion des ressources humaines, la gestion de trésorerie, la gestion des stocks. Dans tous les cas, il s'agit d'optimiser une ressource.

Par exemple, quand je dis que je gère des carrières, je dois me poser une série de questions telles que « faut-il optimiser l'usage de ma ressource au niveau local, national, international ? Faut-il optimiser l'ensemble de mon personnel ou certaines catégories seulement ? Quels sont les groupes qui contribuent de façon essentielle à mon avantage compétitif ? Des managers ? Des experts ? ».

Tant qu'on n'a pas fait ce travail conceptuel, on ne fait pas de gestion. Savoir gérer, ce n'est pas faire l'inventaire raisonné de la caisse à outils. Savoir gérer, c'est d'abord savoir penser, même si savoir penser n'est pas suffisant pour savoir gérer. C'est la condition nécessaire, ce n'est pas la condition suffisante. Il faut avoir un savoir-faire, mais il faut d'abord un savoir-penser.

E & C : Pourquoi la GRH est-elle stratégique ?

B. G. : Gérer consiste à mettre la décision sous contrôle. Or, le contrôle est toujours l'épreuve de vérité de la volonté politique. Si la volonté politique est faible, le contrôle sera faible ou inexistant. Si la volonté politique est forte, le contrôle sera fort. Je peux juger de l'intelligence d'un dirigeant à travers la conception d'un processus. Mais c'est sur le contrôle de sa mise en oeuvre que je jugerai de sa volonté.

E & C : Nombre d'entreprises ont une fonction RH, mais font-elles vraiment de la gestion ?

B. G. : Non. Il y a gestion quand il y a maîtrise des décisions concernant l'usage de la ressource. Or, on constate, le plus souvent, un abandon de cet usage à la main invisible du marché, c'est-à-dire à la loi de l'offre et de la demande. Ce n'est pas étonnant, puisque c'est l'idéologie libérale qui domine, la gestion reposant, elle, sur une idéologie de type technocratique. Cela dit, il n'y a là rien de blâmable. Nous ne sommes pas dans l'ordre du bien et du mal où gérer serait bien et s'en remettre au marché serait mal. Je pense même qu'une entreprise n'a pas de raison de gérer une ressource qui n'est pas stratégique. Je plaide pour la lucidité de sa propre pratique : le DRH doit être clair avec lui-même sur ce qu'il fait, même s'il n'est pas obligé de rendre clair ce qu'il fait.

E & C : Le DRH peut-il être un acteur-clé s'il ne fait pas de gestion ?

B. G. : On en revient à la quête de la performance. Si le DRH ne maîtrise aucune part du mystère de la performance, il ne se fera jamais attribuer un rôle de premier plan. Cela dit, il peut maîtriser d'autres mystères. Il peut, par exemple, maîtriser le mystère de la paix sociale !

Il peut y avoir des fonctions RH qui gèrent très peu tout en étant indispensables par ailleurs. On peut être un acteur clé d'autres façons. Il y a quatre niveaux de connaissance, aujourd'hui, dans la fonction RH. La gestion n'est que le quatrième, d'ordre stratégique, qui n'existe que si l'optimisation des RH rassemblées contribue à la performance de l'entreprise. Le troisième niveau est de l'ordre du "pouvoir faire", de l'ordre du politique : c'est la maîtrise des rapports de force au sein d'une organisation. Certaines fonctions RH se sont arrêtées à ce niveau-là.

Le deuxième niveau est juridique, car tout cela doit se faire en mettant l'entreprise en sécurité juridique. Le premier niveau est celui de la connaissance de la matière, de la ressource, c'est-à-dire un minimum de savoir en matière de sociologie, de psychologie sociale, d'histoire du travail.

E & C : La GRH va-t-elle se développer ?

B. G. : La GRH va se poursuivre mais elle va se réduire quantitativement. Cela signifie que les salariés gérés seront moins nombreux mais que ceux qui seront gérés le seront certainement mieux. La GRH se focalisera sur des populations stratégiques fidélisées.

Hier, le social était corrélé à l'entreprise dite « communautaire », entreprise plutôt fermée sur elle-même. Avec la mondialisation, l'entreprise entre en société et le social n'est plus en interne, il est à l'articulation de l'entreprise et de la cité. Il y a là un bénéfice important pour le gestionnaire : on cessera de penser la gestion en termes moraux. Gérer, ce n'est pas bien se conduire. Gérer ne veut pas dire s'occuper des gens, cela veut dire optimiser la ressource. Or, demain, puisqu'on aura la gestion en interne et le social à l'articulation entre l'entreprise et la cité, cela clarifiera bien des choses.

SES LECTURES

Relever les défis de la gestion des ressources humaines, S. Saint-Onge, M. Audet, V. Haines, A. Petit, Gaëtan Morin éditeur, Montréal,1998.

Les métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat , Robert Castel, Folio-Gallimard, 2000.

Chevilles ouvrières, Michel Verret, Editions de l'Atelier, 1995.

PARCOURS

Bernard Galambaud est professeur à l'ESCP-EAP où il dirige le programme de mastère spécialisé en management des hommes et des organisations. Il est, par ailleurs, directeur scientifique de l'association Entreprise et Personnel. Il est l'auteur de nombreux ouvrages sur le management des RH, parmi lesquels Des hommes à gérer, ESF, 1983 et Si la GRH était de la gestion, Editions Liaisons, 2002.