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« La gestion des compétences rattrapée par les âges »

SANS | publié le : 03.12.2002 |

Le choc démographique à venir va remettre la gestion des compétences au premier plan. Pour faire travailler des salariés jusqu'à 65 ans, les entreprises devront repenser tous leurs outils RH à l'aune de la question des âges.

E & C : Pourquoi la gestion des compétences va-t-elle être impactée par la gestion des âges ?

Guy Le Boterf : A partir de 2006, le départ en retraite des baby boomers entraînera une contraction de la population active : il faut prévoir 30 000 actifs de moins par an entre 2006 et 2010, et 80 000 ensuite. L'arrivée des jeunes ne suffira pas à compenser les départs à la retraite. Les entreprises devront donc maintenir dans leur effectif une population plus âgée. Cette prévision démographique va les conduire à anticiper non seulement sur leurs besoins en compétences mais aussi sur les distributions de compétences dont elles disposeront effectivement à moyen terme.

E & C : Comment s'y préparer ?

G. L. B. : Il faut que les RH aient des outils beaucoup plus précis pour faire le diagnostic de la situation. On peut ainsi évaluer, sur les différentes situations de travail, et sur les métiers, où sont les compétences critiques et, avec le mouvement de pyramide des âges, voir si celles-ci vont disparaître. L'exercice peut permettre de localiser les compétences là où on ne les attendait pas : dans l'usine de Dunkerque appartenant au groupe Usinor, une étude sur la répartition de celles-ci a montré que les détenteurs de compétences critiques étaient les quadras et non les quinquas.

L'autre grand travail à mener concerne le changement de représentation sur les capacités des salariés plus âgés. Elles sont à la fois celles des individus eux-mêmes, celles de l'entourage et celles de l'encadrement. On pense que les plus de 50 ans ne peuvent plus s'adapter aux technologies, n'arrivent plus à suivre de formations. Si l'on veut inciter les personnes à travailler jusqu'à 65 ans, il va falloir réviser ces jugements et repenser un certain nombre d'outils et de méthodes de gestion des compétences et de formation.

E & C : Lesquels ?

G. L. B. : Je pense aux référentiels de compétences. Il sera pertinent de distinguer les ressources nécessaires pour agir avec compétence en fonction du type d'effets que l'âge peut produire : la traditionnelle classification en savoirs, savoir-faire et savoir-être, n'est pas, ici, la plus pertinente. Il sera, par exemple, beaucoup plus utile de distinguer les ressources sensorielles et motrices, les capacités cognitives fondamentales pour traiter et mémoriser l'information, le capital de connaissances et de savoir-faire provenant de l'expérience.

L'analyse des pratiques professionnelles est un outil qui devra être développé. Il permet d'aider à prendre ses distances par rapport à sa pratique, et, in fine, à s'adapter à des situations diverses. Développer la prise de conscience des façons de faire peut permettre de renforcer la confiance en soi des travailleurs âgés et d'intégrer les leçons des ergonomes dans la pratique du métier et la conception des emplois.

Les méthodes de formation devront être adaptées. En réalité, on ne constate pas vraiment une diminution des capacités d'apprendre avec l'âge. Mais les salariés plus âgés ont besoin de disposer de davantage de temps, de pouvoir se référer à des expériences antérieures, de relier ce qui est appris aux connaissances déjà acquises.

L'organisation du travail sera aussi un chantier très important. Elle devra permettre à chacun, quel que soit son âge, d'optimiser l'usage des ressources (connaissances, compétences...) dont il dispose. Elle devra tout particulièrement rendre possible une bonne coopération intergénérationnelle.

Autre point à repenser : la gestion de la mobilité. La notion de carrière doit maintenant être abandonnée pour celle de parcours. L'entreprise peut proposer aux salariés des points professionnels à certaines étapes clés, autour de 30 ans, de 40 ou 45 ans. Ces points permettront de faire un bilan des compétences et de redessiner de nouveaux projets professionnels. Si l'on veut penser une évolution professionnelle plus longue, jusqu'à 64 ans, il ne faut pas se poser cette question lorsque les gens arrivent à 54 ans !

E & C : Qu'est-ce que cela implique pour les responsables RH ?

G. L. B. : Les responsables RH devront se professionnaliser sur les outils de pronostic et de diagnostic et tenir des raisonnements en termes d'études d'impact : quel est l'impact de telle situation démographique sur les outils RH et sur la cohérence à avoir entre ces outils (gestion des carrières, formation, etc.) ? Ces raisonnements démographiques devront être également présents dans la concertation sociale, puisqu'ils mettront en jeu non seulement l'intérêt de l'entreprise mais celui des personnes.

La gestion prévisionnelle des compétences, qu'on avait souvent oubliée, revient maintenant sous la pression démographique. Or, les mouvements démographiques sont des mouvements de fond, stables, qui permettent vraiment de faire des anticipations.

SES LECTURES

Ages et emploi à l'horizon 2010, Bernard Quintreau, rapport au Conseil économique et social, 2001.

Le travail au fil de l'âge, J.-C. Marquié, D. Paumès, S. Volkoff, Octarès, 1995

Réalités industrielles, mai 2001, numéro spécial coordonné par Daniel Atlan et Michel-Louis Lévy.

PARCOURS

Docteur en lettres et en sociologie, Guy Le Boterf conseille les entreprises et les administrations dans le domaine du management et du développement des compétences. Il est auditeur agréé de l'Institut international de l'audit social.

Il a publié une trentaine d'ouvrages, parmi lesquels, De la compétence. Essai sur un attracteur étrange, 1994, Développer la compétence des professionnels, 4e édition, 2002, L'ingénierie et l'évaluation des compétences, 4e édition, 2002 (tous aux éditions d'Organisation).