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Les entreprises face à la loi NRE

SANS | publié le : 10.12.2002 |

Le décret d'application de la loi sur les Nouvelles régulations économiques (NRE), qui précise les informations sociales et environnementales devant figurer dans leur prochain rapport annuel, est jugé inapplicable par les entreprises, qui tentent néanmoins de respecter l'esprit de la loi.

Ce n'est pas l'article le plus connu de la loi Nouvelles régulations économiques (NRE), mais il donne des cheveux blancs aux directions des entreprises françaises cotées. L'article 116, qui veut « inscrire dans la loi des pratiques devenues courantes dans les grandes entreprises », prévoit que les sociétés cotées présentent, dans leur rapport annuel portant sur l'exercice 2002, « des informations sur leur politique sociale et environnementale ». Un décret d'application, datant du 20 février 2002, précise lesquelles. Mais alors qu'il ne reste plus que quelques semaines aux entreprises pour se mettre en conformité, force est de constater que les directeurs des ressources humaines, de l'environnement ou du développement durable, naturellement amenés à s'occuper de ce dossier, ne savent pas comment appliquer le décret.

Difficultés

« Comment distinguer les embauches en CDI et celles en CDD, qui sont deux notions françaises, alors que nous sommes implantés dans le monde entier ? Comment déterminer ce qu'est une heure supplémentaire pour l'ensemble de nos salariés quand cette question est intimement liée à celle des 35 heures ? Comment donner les motifs de licenciement ? », s'interroge Gilles Vermot-Desroches, directeur développement durable de Schneider Electric.

« Comment évoquer les oeuvres sociales, concept français, au niveau mondial ? », questionne, de son côté, Max Matta, DRH France de Rhodia. « De quelle manière rendre compte de la notion très qualitative d'employabilité des collaborateurs ? », renchérit Thierry Chambolle, délégué à l'innovation et à l'environnement chez Suez. De même, donner la répartition des effectifs par sexe est interdit aux Etats-Unis, et connaître le nombre de personnes handicapées travaillant dans l'entreprise n'a de sens que dans un pays appliquant des quotas, font valoir les directions. Le volet environnemental du décret suscite également de la perplexité. « Autant la consolidation au niveau mondial des rejets de gaz à effet de serre dans l'atmosphère est pertinente, autant celle des rejets dans l'eau n'a pas de sens, car ce qui intéresse les gens est de savoir si leur rivière "à eux" est polluée », poursuit Thierry Chambolle.

Vives critiques

Si personne n'ose contester que la loi est un bon moyen de sensibiliser les entreprises à leurs responsabilités sociales, sociétales et environnementales, le décret, rédigé pendant les dernières semaines du précédent gouvernement, fait l'objet des plus vives critiques : « Trop français » ; « ne prend pas en compte la dimension internationale des entreprises » ; « certains points seront caduques d'ici peu » ; « il veut tout régenter » ; « il est impossible à appliquer ».

« Le décret est arrivé alors que les outils pour la collecte des chiffres, les capteurs, n'étaient pas prêts », remarquait, ainsi, Philippe Peuch-Lestrade, associé chez Ernst & Young, au cours de la remise du prix du meilleur rapport développement durable de l'association Entreprise & Progrès, le 13 novembre dernier.

Néanmoins, les entreprises ne semblent guère inquiètes à l'idée qu'elles ne seront pas prêtes à appliquer le décret dans leur prochain rapport annuel. Et ce, pour plusieurs raisons. Le flou règne sur l'identité des instances chargées de contrôler que le décret est respecté. S'agira- t-il de la Commission des opérations de Bourse (COB) ? Des commissaires aux comptes ? De la direction de la prévention des risques du ministère de l'Environnement ? Pour cette raison, et ainsi que le fait remarquer Thierry Chambolle, « il est difficile pour l'Administration de sanctionner les entreprises, même si, dans l'absolu, la COB pourrait demander la rectification a posteriori des documents produits ». L'actuel gouvernement n'en a pas la volonté. « Francis Mer a toujours été contre une application trop précise de la loi », rappelle Stanislas Dupré, consultant chez Utopies, cabinet d'informations et de conseils sur le développement durable.

Les marchés sont encore peu réceptifs aux informations extra-financières, malgré l'apparition de fonds éthiques. La loi peut être appliquée restrictivement. « L'ensemble des prescriptions législatives et réglementaires ne s'applique pas pour les groupes constitués comme le nôtre. En étant restrictif, on pourrait dire que la loi ne s'applique qu'à la société holding », remarque Max Matta.

Esprit de la loi

En fait, les entreprises font valoir que si elles ne respectent pas la lettre de la loi, elles en respectent l'esprit. « L'esprit de la loi NRE est d'inciter les entreprises à publier des informations non financières. En publiant un rapport développement durable, nous sommes déjà dans l'esprit de la loi », fait ainsi valoir Alice de Brauer, directrice politique industrielle et environnement de Renault. Même des entreprises qui ne se sont pas encore vraiment penchées sur loi NRE, telles STMicroelectronics ou Dassault Systèmes, ou qui ne sont pas soumises à la loi, telle Dexia, société de droit belge, ont initié une démarche ou une réflexion sur le développement durable qui les place, affirment-elles, dans l'esprit de la loi.

L'essentiel

1 Dès 2003, les entreprises cotées devront faire figurer dans leur rapport annuel des informations sociales et environnementales, au même titre que les informations financières, pour se mettre en conformité avec la loi sur les Nouvelles régulations économiques (NRE).

2 Aucune n'est prête, actuellement, à se conformer à la lettre au décret d'application de la loi, qu'elles considèrent inapplicable.

3 Mais, pour elles, l'essentiel est de se conformer à l'esprit de la loi en initiant, comme certaines l'ont déjà fait, une démarche de développement durable.

Le bilan social mondial de Dexia

Quoique n'étant pas concernée par la loi NRE, car société de droit belge, Dexia a produit un bilan social consolidé au niveau du groupe, baptisé Social data 2001, qui se rapproche, autant que possible, de la lettre du décret.

Y figurent, notamment, des informations sur la formation initiale des collaborateurs, sur les formations dispensées par Dexia, sur les temps partiels, le turn-over, la répartition entre CDI (permanent contract) et CDD (fixed terme contract), ainsi que sur les causes de départs (licenciements, démissions, retraites...).

Conseils et éditeurs : un marché émergent

a nécessité de se mettre en conformité avec la loi NRE d'un côté, les attentes des entreprises en matière de développement durable, de l'autre, créent les conditions pour l'émergence d'un marché pour le conseil et pour les éditeurs de solutions informatiques. Déjà sur cette niche depuis 1993, Utopies et Terra Nova Conseils sont les plus anciens des cabinets de conseil dédiés au développement durable. Mais certains généralistes commencent à s'y mettre.

riceWaterHouseCooper, qui a renommé son département "environnement" "développement durable" en 2000, semble le plus avancé. Deloitte a également mis en place une ligne de services. Cap Gemini Ernst & Young s'y intéresse.

Du côté des éditeurs, on a vu apparaître une solution dédiée à la loi NRE. Il s'agit de Enablon Sustainable development de l'éditeur Enablon, créé en 1999. Solution 100 % Web, elle doit permettre d'« automatiser le reporting environnemental, social et économique » de l'entreprise, grâce à un "préparamétrage des indicateurs clés de la loi NRE". L'éditeur, qui tisse des partenariats avec des cabinets de conseil, indique être en contact avec une quinzaine de grandes entreprises françaises déjà très avancées sur ces questions, parmi lesquelles Danone, Lafarge, Péchiney, ainsi que le britannique Kingfischer.