logo Info-Social RH
Se connecter
Newsletter

SANS

La capacité d'adaptation est le critère clé dans le travail

SANS | publié le : 24.06.2003 |

Travailler, ce n'est pas seulement produire. C'est aussi avoir les capacités d'adaptation nécessaires pour suivre l'évolution de son travail. Cette seconde composante est devenue source de toutes les attentions des DRH. Et l'un des premiers critères de recrutement.

E & C : En introduisant le concept de "valorité", vous proposez un nouvel outil pour mesurer l'efficacité du salarié au travail. S'oppose-t-il à la notion de productivité ?

François Stankiewicz : Les deux notions se complètent. Car mesurer la productivité ne revient qu'à étalonner une partie de ce qui constitue le travail. Qu'est-ce que travailler ? C'est, évidemment, produire, et l'efficacité dans ce domaine se mesure en termes de productivité. Mais, pour des raisons techniques ou environnementales, les modes de production changent. En plus de produire, le travail réclame donc une certaine capacité d'adaptation aux changements. Plus cette capacité est élevée, moins l'adaptation sera longue et coûteuse.

Mon concept vise à prendre en compte ces deux composantes. A productivité égale, le coût de formation de deux personnes à de nouvelles techniques sera différent. Celle qui offre un coût d'adaptation moindre présente donc une valeur supplémentaire pour l'entreprise, que j'appelle "valorité différentielle". Pour la mesure réelle de l'efficacité d'un collaborateur, la prise en compte de la productivité et de l'adaptabilité est d'autant plus importante que ces deux facteurs ne sont pas nécessairement convergents.

E & C : Comment le recruteur peut-il évaluer cette capacité d'adaptation ?

F. S. : Le recrutement est un art difficile. Il faut à la fois évaluer les capacités du candidat pour un poste immédiat et ses capacités à évoluer dans l'entreprise. C'est pourquoi il faut distinguer le coût d'intégration du coût d'adaptation. Le premier concerne le coût pour que le salarié ait les compétences requises pour le poste auquel on le destine immédiatement. Le second cumule les coûts nécessaires de formation aux postes qu'il sera amené à occuper ensuite. Les DRH savent bien que le second est bien plus élevé que le premier : dans certains cas, elles préfèrent recruter des personnes qui disposent de connaissances de base plus larges et qui s'adapteront donc plus facilement aux changements, plutôt que d'embaucher des personnes directement opérationnelles.

Dans une enquête de 2001, menée par la Dares, la plus grande adaptation aux nouvelles technologies et la plus grande adaptation aux changements figuraient, ainsi, en tête des motifs cités par les DRH en réponse à la question « Pourquoi avez-vous recruté une personne de moins de 30 ans plutôt qu'une personne de plus de 30 ans ? », avec, respectivement, 56 % et 51 % des citations. Si les entreprises rechignent à recruter des gens âgés, c'est donc parce qu'elles jugent ces derniers comme étant relativement moins compétitifs sur le critère de l'adaptabilité.

E & C : Alors que les salariés âgés sont aussi jugés comme étant les plus productifs...

F. S. : Il y a deux formes de savoirs. Le savoir pratique, opérationnel, qui induit un coût d'intégration très bas. Et les savoirs de base d'une discipline. Or, les savoirs qui déterminent la capacité à apprendre ne sont pas les mêmes que ceux qui déterminent le savoir opérationnel. Je ne dis pas que le savoir pratique est inutile : c'est lui qui permet au salarié de produire. Encore une fois, les DRH ont, aujourd'hui, totalement intégré cela. Qu'est-ce que les bilans comportementaux, sinon des mises en situation permettant d'évaluer la capacité d'adaptation des candidats ?

E & C : Pourquoi la capacité d'adaptation est-elle aujourd'hui si importante ?

F. S. : D'abord, parce que l'on assiste à une accélération des changements. L'avenir est considéré comme une incertitude radicale, et la capacité d'adaptation est devenue le critère prépondérant dans l'univers professionnel.

Surtout, l'entreprise entend, aujourd'hui, améliorer l'efficacité de l'adaptabilité de ses salariés, au même titre qu'elle les invite à augmenter leur productivité. Autrement dit, elle cherche à faire des gains de productivité sur son adaptabilité. L'émergence du knowledge management et de l'apprentissage organisationnel témoigne de cette évolution : depuis quelques années, l'entreprise favori- se l'adaptabilité de ses salariés.

Mais attention : pour que cette capacité d'adaptation demeure, il faut renouveler les savoirs théoriques, les savoirs de base dont je parlais. Or, plus de deux tiers des stages et des formations en situation de travail durent moins d'une semaine. Cela n'est pas suffisant pour éviter l'obsolescence des savoirs de base, surtout dans certaines disciplines. C'est donc précisément le fait de bénéficier de savoirs de base plus récents qui offre à l'ingénieur de 30 ans une capacité d'adaptation supérieure. Si l'on forme son homologue de 50 ans aux mêmes savoirs, ils auront la même adaptabilité. L'enjeu induit par la "valorité", c'est la formation. Peut-on imaginer qu'un médecin ne se tienne pas au courant des progrès de la médecine ?

SES LECTURES

- Théorie de l'évolution économique, de Joseph Schumpeter, Dalloz, 1999 (traduction de la seconde édition de 1926).

- Réfléchir la compétence, sous la direction de A. Dupray, C. Guitton, S. Monchatre, éditions Octares, 2003.

- Hausse d'éducation et marché du travail, de Catherine Beduwé et Jordi Planas, Cahier du Lirhe, 2002.

PARCOURS

François Stankiewicz est professeur à l'UST Lille et responsable du DESS du management des RH de Lille-1.

Il est également codirecteur de l'antenne régionale du Centre d'études et de recherches sur les qualifications (Cereq).

Il est, par ailleurs, consultant, pour les Nations unies, pour qui il a mené, depuis 1986, une trentaine de missions d'étude.

Il a écrit, notamment, Economie des ressources humaines (La Découverte, 1999). En juillet 2002, il signait son premier article sur sa théorie de la "valorité" du salarié dans la revue Travail et Emploi, de la Dares.