Cette fois, ça y est, le projet est fignolé. Tout est au point. Pour la validation, il ne reste plus qu'à rencontrer une dernière fois les protagonistes du dossier, associés depuis le premier jour à son élaboration. Huit réunions, autant de modifications, mais l'essentiel est préservé. On a même trouvé au dernier moment quelques recettes supplémentaires qui enrichissent le projet et lui donnent une allure formidable. Une machine à conquérir des clients. Une oasis de marge en pleine "sahelisation" du marché. Comme dit le chef de projet : « C'est dans la seringue. Plus qu'à appuyer. »

Appuyons.

Nous voilà donc pour la dernière réunion avec le même groupe de travail, et quelques acteurs essentiels qui nous ont rejoints pour s'associer au démarrage de cette opération, entretemps devenue indispensable pour sauver l'année. C'est que le marché devient franchement médiocre, et qu'il faut maintenant passer à l'acte le plus vite possible.

C'est maintenant.

Le chef de projet soutient son dossier avec brio, poussant ses arguments, prenant à témoin les complices de cette réforme, multipliant les preuves de pertinence de cette affaire et de la faisabilité de l'ensemble. On écoute. On approuve. On veut en être. Tout est au mieux. Ah, encore une question ?

Ecoutons la question. Comment faire autrement ?

Ce n'est pas une question. C'est un mur d'opposition franche et massive, un refus d'agir, un bunker d'arguments contre la réforme. Une hostilité haineuse. Une volonté absolue d'enliser le projet, de le casser dans l'oeuf, d'en empêcher le début du commencement.

Douche froide sur le groupe de travail.

Je sens l'énervement qui monte d'un cran, à deux doigts de la révolte : de quoi se mêle-t-il celui-là, qui débarque quand tout est fini. Ne connaît rien au dossier et s'imagine qu'il peut tout remettre en cause au dernier moment ? Se croit malin, peut-être ? Veut faire son intéressant ? Monsieur pense qu'il est indispensable ? Et qu'on va se laisser planter par la première objection venue ?

Tentons de calmer le jeu. Evitons le drame. Sauvons Willy, si c'est encore possible. Et le chef de projet, par la même occasion, que je sens proche de la suffocation.

Et tachons de comprendre.

Groupe de travail d'experts non concernés par la mise en place de leurs propres recommandations. Chef de projet grand connaisseur du sujet, mais en posture hiérarchique et piètre animateur. Calendrier trop serré. Consultation tardive des opérationnels. Tous les ingrédients de la machine à perdre sont réunis.

Et on s'étonne qu'il y ait de l'artérite dans la seringue ?