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LE BLUES DES QUADRAS

SANS | publié le : 23.12.2003 |

Les quadragénaires ont le blues, coincés entre les "quinquas" et les jeunes hauts potentiels, qui semblent mobiliser toute l'attention des gestionnaires de carrières. La réforme des retraites pourrait les maintenir plus longtemps à la porte du top management. A l'orée d'une sévère pénurie de compétences, rares sont les entreprises qui ont identifié ce malaise et veulent y remédier.

Le malaise des quadras est-il l'un des futurs chantiers des directions des ressources humaines ? Pour le moment, celles-ci ne semblent pas avoir pris la mesure du découragement qui guette parfois cette génération de salariés. Or, certains d'entre eux ne laisseront personne dire que 40 ans est le plus bel âge de la vie dans l'entreprise.

Ceux-là sont tombés dans un trou noir du management. Ce sont des ni-ni : ni jeunes diplômés, ni hauts potentiels (que l'on repère plutôt chez les trentenaires), ni seniors, toutes populations faisant l'objet d'attentions particulières. Il existe pour eux des programmes spécifiques, alors que les quadras ne se définissent plus qu'en creux.

Manque de prise de conscience

« La plupart des entreprises n'ont rien élaboré de particulier pour leurs quadragénaires, confirme Jean-Marie Peretti, professeur de management à l'Essec et à l'IAE de Corte. Elles ne se rendent pas compte qu'ils risquent d'être sacrifiés. Ils sont coincés entre les baby-boomers et les trentenaires à la progression de carrière rapide. Parmi les cadres, quelques individus connaissent une évolution brillante, beaucoup d'autres n'ont plus vocation à être détectés. »

Situation déjà inconfortable en considérant qu'après 45 ans, il ne restait qu'une dizaine d'années de tranquille glissade vers la préretraite. Mais, le paysage a brutalement changé et l'état d'esprit ne peut plus être le même si l'on postule que cet âge charnière représente plutôt, désormais, la mi-carrière. Circonstance aggravante : la réforme des retraites se traduit non seulement par la disparition des départs anticipés, mais aussi par le probable maintien dans l'entreprise des aînés. Résultat : l'horizon de promotion des quadras recule d'autant.

Effet retard

Bref, nos quadras rongent un peu plus longtemps leur frein avant de devenir califes, mais ils pourraient même voir la place leur échapper au profit de la jeune classe. Car cet effet retard pourrait suffire aux jeunes cadres pour acquérir l'expérience et la culture maison qui leur manquent pour succéder directement aux top managers.

Crainte exacerbée par le fait que les quelques pratiques de coopération intergénérationnelle mises en avant par les entreprises qui travaillent sur la motivation de leurs seniors consistent à leur proposer d'accompagner des jeunes hauts potentiels pour leur transmettre leur expérience et leur culture de l'entreprise.

Cumul de qualités

Une organisation peut-elle faire l'impasse sur la gestion de ses cadres âgés de 40 ans à 50 ans ? Claire Isnard, directrice générale de Hewitt Consultants, en France, pointe les dangers d'une telle lacune : « Ces managers cumulent des qualités que les autres ne réunissent pas : ils ont une bonne expérience de leur métier, de leurs marchés, maîtrisent parfaitement la culture corporate, et sont encore dans le registre de la fidélité à l'entreprise par rapport aux plus jeunes. Peu d'entreprises ont fait un examen précis de leur démographie. Il y aura pourtant urgence à agir. Par exemple, pour celles qui globalisent leur recrutement, embauchent au-delà des frontières et favorisent la mobilité dans leurs filiales ou leurs établissements, pour faire face au risque de manque de compétences : il faudra ensuite assurer la mixité des profils et des populations, en maintenant une culture d'entreprise forte. Qui d'autre que les quadragénaires peut assurer la réussite de tels programmes ? »

Gisement de compétences

Parmi les gisements de compétences trop peu exploités, Claire Isnard mentionne aussi le cas des femmes de cet âge, peu présentes à des postes de direction et dont la carrière a souvent été ralentie par les maternités. Les réintégrer dans le système de développement de l'entreprise sera aussi un des enjeux importants.

Sans communiquer sur un "programme quadras", beaucoup d'entreprises industrielles, qui construisent leur succès sur l'accumulation d'un patrimoine technologique, au contraire de celles qui parient sur la réactivité (téléphonie mobile, software, certains services), ont tout de même maintenu des règles de progression de carrière qui conservent leur place aux cadres quadragénaires. Dans des groupes industriels multi métiers, Alstom, la Snecma, Renault, Thalès, GDF, par exemple, on a tendance à considérer que, pour des postes incluant la négociation sociale, comme celui de directeur d'usine, on ne peut choisir des candidats de moins d'une quarantaine d'années.

Deux générations distinctes

D'autre part, souligne Gilles Dacquet, directeur général du cabinet de conseil en RH DDI, « sous le même vocable de dispositif hauts potentiels, beaucoup d'entreprises distinguent nettement deux générations, les trentenaires et les quadras, et deux approches ». Celle des plus de 40 ans est plus individualisée et suivie, ce qui la rend peut-être moins visible.

De nombreux groupes ont modifié l'idée de plan de succession pour une réflexion plus large sur les rôles. « Ils ont besoin d'un certain nombre de quadras pour diriger des unités, ou de placer des hommes maison dans des sociétés acquises par croissance externe, poursuit-il. Ils craignent les déficits de managers à venir et créent des viviers avec des cadres susceptibles de tenir ces postes. On ne se concentre plus sur un seul homme par poste. » Dans les sessions d'assessment pour dirigeants de DDI, la cible type est âgée de 38 à 45 ans.

Logique de compétences

Mais, au-delà de certaines bonnes pratiques sur la population des futurs dirigeants, ou propres à des entreprises ou à des branches qui travaillent depuis longtemps sur leur pyramide des âges, comme Usinor, Air France ou l'assurance, les organisations du travail, en général, devront évoluer dans les grandes entreprises.

« Elles sont conçues, de fait, dans le cadre des retraites anticipées, explique Michel Anger, responsable du département compétences travail emploi de l'Anact. Il faut les réorganiser autour des logiques de compétences et de la GPEC. Dans les années qui viennent, les entreprises ne trouveront plus de "prêt à porter compétences", dont elles profitent aujourd'hui. Elles vont devoir réapprendre à prévoir, intégrer et former, et ce, quel que soit l'âge. »

Scénario catastrophe

Mais une autre hypothèse est possible, selon Dominique Thierry, vice-président de Développement & Emploi. Il s'agirait, cette fois, d'un scénario catastrophe : « Beaucoup de grandes entreprises n'anticipent pas et attendent 2006, avec les premiers départs des baby-boomers, explique-t-il. Elles comptent sur leurs capacités d'adaptation. Mais, en cas de croissance économique, on peut assister à une inversion totale des rapports de force sur le marché du travail ; ces grandes entreprises deviendront alors fortement prédatrices sur le marché de l'emploi. Et les PME, qui, elles, sont créatrices d'emploi, auront du mal à rester attractives. »

Grosses turbulences possibles donc, si la très forte envie de mobilité, aujourd'hui contrariée par la stagnation économique, ne trouve pas à s'exprimer en interne rapidement, avant que le retournement de conjoncture lance la foire aux embauches.

L'essentiel

1 Beaucoup d'entreprises gèrent avec volontarisme la carrière de leurs meilleurs trentenaires, certaines le font pour leurs quinquagénaires. Les "quadras", eux, se sentent parfois oubliés.

2 Ils sont pourtant à un tournant de leur vie professionnelle, devenu plus crucial encore avec la fin des préretraites, puisqu'ils n'arrivent désormais qu'à mi-carrière.

3 Or, le maintien dans l'emploi des seniors risque de ralentir leur évolution et d'éroder leur motivation. Pourtant, les entreprises devront bientôt faire face à la pénurie des compétences, mais aussi de l'expérience, avec le départ des baby boomers.

L'assurance radiographie ses quadras

L'Observatoire de l'évolution des métiers de l'assurance, émanation de la Fédération française des sociétés d'assurance (FFSA) et du Groupement des entreprises mutuelles d'assurances (Gema), a présenté, le 11 décembre, une étude sur les conséquences de l'arrêt des sorties précoces avant 60 ans, à la suite de la loi sur les retraites, sur le taux de recrutement et sur l'employabilité des plus de 40 ans. Intitulée Les quadras d'aujourd'hui... quinquas de demain ?, cette étude se veut un outil, au service des entreprises de l'assurance, pour les aider à appliquer l'accord de branche relatif à la formation professionnelle, signé le 26 septembre dernier, dans la foulée de l'accord interprofessionnel du 20 septembre. Elle doit permettre, conformément à ce que prévoit l'accord national, d'identifier des populations cibles, prioritaires pour bénéficier de l'effort de formation.

- Au coeur du dispositif, se trouvent les 45-49 ans, qualifiés de « fragiles » par les auteurs, car cumulant les handicaps d'être « peu formés » et d'être « présents massivement dans des familles [de métiers] en transformation, voir en disparition ». Les 40-44 ans, en revanche, sont « peu sensibles aux problèmes d'employabilité sous l'angle de la conservation de l'emploi [...] Ils sont plus dans une approche de formation promotionnelle ».

- La rapidité avec laquelle l'accord national a été décliné (6 jours) dans la branche laisse présager de l'importance de la problématique du maintien dans l'emploi pour les sociétés d'assurance, dont 54 % des salariés ont plus de 40 ans. « Nous aurions signé l'accord de branche même si l'accord interprofessionnel avait échoué », confie un négociateur.