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Le monde du travail malade Des TMS

SANS | publié le : 27.01.2004 |

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Le monde du travail malade Des TMS

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En tête du palmarès des maladies professionnelles, les troubles musculo-squelettiques (TMS) touchent l'ensemble des secteurs d'activité. Plus inquiétant : ces pathologies continuent leur inexorable progression. Pourtant, dans certaines entreprises, des actions de prévention ont démontré leur efficacité.

vitez de parler de TMS à Dominique Olivier. A l'évocation de ces trois lettres, le secrétaire confédéral de la CFDT en charge des questions de santé au travail a tendance à sortir de ses gonds : « C'est une véritable catastrophe sanitaire. Avons-nous réellement tiré les leçons du drame de l'amiante ? », s'alarme-t-il. Difficile, pourtant, de lui donner tort, tant les données disponibles sur les troubles musculo-squelettiques (TMS) sont inquiétantes. Coiffe des rotateurs (épaule), épicondylite (tennis elbow, coude), syndrome du canal carpien (poignet) ou lombalgies, ces différentes pathologies, recensées aux tableaux 57, 97 et 98 du régime général de l'assurance maladie, caracolent en tête des maladies professionnelles. Selon les dernières statistiques de la Caisse nationale de l'assurance maladie (Cnam), 23 801 TMS ont été reconnus et indemnisés en 2002.

Mais, au quotidien, plusieurs millions de salariés souffriraient de ces maladies. « La sous-déclaration et, probablement, la sous-reconnaissance, sont des phénomènes à prendre en compte », soulève Catherine Ha, médecin de santé publique à l'Institut de veille sanitaire. Autre indicateur : sur quelque 740 000 accidents du travail avec arrêt, environ 256 000 auraient pour cause des manutentions manuelles entraînant des TMS et des lombalgies.

Progression exponentielle

« Les TMS représentent les deux tiers des maladies professionnelles, constate Michel Aptel, médecin et chercheur à l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS). A titre de comparaison, les cancers professionnels dus à l'amiante ne représentent «que» 12 % de ces maladies, alors que l'amiante est interdite depuis plusieurs années. Les entreprises fabriquent des TMS tous les jours. » Dans ce tableau déjà très sombre, le pire est à venir : depuis une dizaine d'années, en effet, les TMS enregistrent une progression exponentielle, de l'ordre de 15 % à 20 % par an, selon les experts les plus optimistes.

Facture élevée

Quant à la facture des TMS, inutile de dire qu'elle atteint des sommets. En 2002, le montant imputé aux employeurs au titre de la réparation s'est élevé à 384 millions d'euros ! Une enveloppe à laquelle il convient d'ajouter une multitude de coûts cachés, tels que la baisse de la qualité du travail, la chute de la productivité, le recours à l'intérim ou encore l'aménagement de poste pour raison médicale.

La France ne détient pas, bien sûr, le monopole des TMS. Le fléau concerne, aujourd'hui, l'ensemble des pays industrialisés. Il affecte aussi des endroits plus exotiques, là où les groupes internationaux aiment à délocaliser leurs sites de production. « Les pays du Maghreb commencent à prendre conscience des dégâts causés par les TMS », observe Michel Aptel. Dans un pays plus proche de nous, l'Allemagne, les TMS sont responsables d'environ 30 % des jours de travail perdus, selon un rapport de l'Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail. Aux Etats-Unis, les TMS des membres supérieurs coûtent, chaque année, plus de 2,1 milliards de dollars en termes d'indemnisation des travailleurs.

Origine bien identifiée

Ces maladies multi factorielles, qui peuvent parfois provoquer des séquelles irréversibles entraînant inaptitudes et pertes d'emploi, ont des origines bien identifiées. « Les TMS se caractérisent par des souffrances dues à des sursollicitations de multiples tendons. Les causes sont variées, comme la répétition des gestes ou les vibrations. Il y a aussi des facteurs liés à des sollicitations extra-professionnelles dues à la pratique d'activités sportives provoquant la tendinite du lundi matin », détaille Jacques Pireault, rhumatologue à l'hôpital Broca, à Paris.

Facteurs psychosociaux

Aux côtés des risques biomécaniques, l'impact des facteurs psychosociaux sur l'apparition des TMS est scientifiquement prouvé. Conditions de travail au rabais, environnement stressant, insatisfaction professionnelle, absence de reconnaissance ; 30 % des cas de TMS auraient une origine psychosociale. « Je vois en consultation des jeunes femmes qui développent des polyarthrites parce qu'elles ont une situation professionnelle déplorable », avance Jacques Pireault.

Les secteurs d'activité à haut potentiel de TMS sont également connus. Des branches comme l'industrie agroalimentaire (abattoirs), le textile (fabrication de vêtements, chaussures, etc.), l'industrie automobile, sont en première ligne. « Grosso modo, explique Michel Aptel, les salariés les plus concernés sont issus d'une population de main-d'oeuvre peu qualifiée et féminisée. »

Le tertiaire également touché

Mais les TMS touchent aussi le tertiaire, notamment dans les administrations, les hôpitaux, les banques ou encore l'informatique. Le travail de bureau et son corollaire, le maniement de la souris (lire l'article sur les Pays-Bas, p. 19), est, aujourd'hui, montré du doigt. Sicom, une PME des Bouches-du-Rhône, spécialisée dans le mobilier urbain, vient, ainsi, d'adopter pour ses 49 salariés, Matoo, un repose-bras articulé qui soulage les personnes travaillant sur écran.

Une chose est sûre : les TMS résultent de la mise en oeuvre de nouvelles formes d'organisation du travail. La production en «juste à temps», l'application de la RTT non compensée par des embauches ont, dans certaines entreprises, conduit à une intensification des rythmes de travail. De même, la précarisation de l'emploi et le développement massif de la sous-traitance ont une incidence sur l'apparition de ces maladies. « Il y a, certes, une meilleure reconnaissance, ce qui explique, en partie, la croissance mécanique des TMS. Reste que la raison essentielle, soulève Dominique Olivier, réside dans l'augmentation de la charge mentale et l'accélération des cadences. »

Prévention dérisoire

En mars dernier, lors de la séance plénière du Conseil supérieur de la prévention des risques professionnels, à laquelle participait le ministre des Affaires sociales, le secrétaire confédéral de la CFDT est entré dans une colère noire. En cause, l'atonie des pouvoirs publics et de la partie patronale en matière de prévention. « Devant l'ampleur du problème, les actions de prévention sur le terrain sont dérisoires. Les entreprises moins disantes, prévient Dominique Olivier, se mettent en situation de faute inexcusable. La perspective d'une judiciarisation des TMS n'est pas à exclure. »

Programmes d'action

La situation est d'autant plus regrettable, estime encore le syndicaliste, que les pistes de prévention existent. Si le vaccin anti-TMS n'a pas encore été inventé, nombre d'entreprises ont mis en place des programmes d'action, voire des dispositifs de prévention complets agissant tout à la fois sur les facteurs biomécaniques et psychosociaux. Des organismes comme l'Anact, l'INRS, les Cram, ainsi que des cabinets spécialisés en ergonomie, ont déployé des méthodes d'analyse pertinentes. « La prévention des TMS est un exercice délicat, car elle induit une remise à plat de l'organisation du travail et des modes de management, remarque Jean-Pierre Cazeneuve, responsable de la prévention des risques à la Cnam. Toutefois, certains secteurs, comme celui de l'agroalimentaire, ont pris le problème à bras-le- corps. Mais il est clair qu'il est plus facile de faire de la prévention quand on est un groupe international plutôt qu'une PME régionale isolée. »

Pour Henri-Jacques Bussière, médecin et directeur associé du cabinet toulousain de conseil Merlane, le nerf de la guerre contre les TMS reste l'implication de la direction générale et de la DRH : « Elles doivent être convaincues que la prévention est un investissement sur le long terme. »

L'essentiel

En 2002, selon la Cnam, 23 801 TMS ont été reconnus, pour un coût de réparation de 384 millions d'euros à la charge des employeurs. En France, plusieurs millions de salariés souffriraient au quotidien de ces maladies professionnelles.

2 Les TMS concernent l'ensemble des secteurs d'activité et ont des origines bien identifiées. Les chercheurs ont, ainsi, mis en évidence la corrélation entre ces pathologies et les facteurs psychosociaux. De même, les nouvelles formes d'organisation du travail ont une incidence sur l'apparition des TMS.

3 Devant l'ampleur du phénomène, les politiques de prévention, qui ont pourtant prouvé leur efficacité, restent dérisoires. Pour Dominique Olivier, secrétaire confédéral de la CFDT, certaines entreprises moins disantes se mettent en situation de faute inexcusable.

Allègement des tâches

« Il faut également mener des réflexions sur des allègements de tâches à partir d'un certain âge », recommande, quant à lui, Yves Roquelaure, médecin et ergonome au CHU d'Angers, qui a piloté une étude épidémiologique de surveillance des TMS dans les Pays de la Loire (voir encadré). A Loos, dans le Nord, Alain Cohen, DRH de Coats France (ex-DMC), une entreprise de textile de 320 salariés, pourrait écrire un roman sur les troubles musculo-squelettiques. A son arrivée dans cette société, il y a dix ans, le syndrome du canal carpien était devenu une pathologie courante. Aujourd'hui, après un long travail fait d'observations, de mesures et d'actions préventives, les TMS ont été jugulés. Son conseil ? « Toujours associer le personnel aux groupes de réflexion. Non seulement cela permet de trouver des solutions auxquelles l'encadrement n'aurait jamais pensé, mais, surtout, le fait de libérer la parole des opérateurs a des incidences fondamentales sur le ressenti au travail, donc sur les TMS. »

Pays de la Loire : 13 % des salariés atteints

« 13 % des 1 500 salariés suivis par 68 médecins du travail des Pays de la Loire souffrent de TMS de l'épaule, du coude ou du poignet, et ce chiffre augmente pour les plus de 50 ans », déclare Yves Roquelaure, du service des pathologies professionnelles au CHU d'Angers. Ce spécialiste des TMS coordonne une étude épidémiologique lancée par l'Institut de veille sanitaire, la direction régionale du travail et l'université d'Angers.

« C'est la maladie de la productivité : plus les entreprises sont performantes et plus les TMS se multiplient », déploret-il, en invitant les sociétés à réfléchir au coût des arrêts de travail et aux difficultés à produire rencontrées par ceux qui souffrent. Dans la région, les TMS représentent les deux tiers de l'ensemble des maladies à caractère professionnel constatées au cours d'une semaine test. Et, pour le seul département du Maine-et-Loire, le syndrome du canal carpien s'avère, en moyenne, cinq fois plus fréquent chez les actifs que chez les inactifs.