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SANS

Sauterelle à tige et grenouillère

SANS | publié le : 10.02.2004 |

« La modernité, c'est la banalité. »

Mon interlocuteur n'est pas peu fier de son effet, lui qui veut me démontrer que toutes ses interventions de consultant peuvent trouver leur pleine efficacité quel que soit le métier de l'organisation où il intervient, quelles que soient sa culture, son histoire, son implantation géographique.

Personnellement, j'en doute. Mais écoutons-le.

« Après vingt ans de besogne sur le terrain, quelle est ma conclusion ? C'est que toutes les organisations se rapprochent d'un même modèle. Soumises au même niveau de pression concurrentielle, elles finissent toutes par adopter les mêmes pratiques de management. Les attentes des clients, des collaborateurs, des actionnaires, des pouvoirs publics, des citoyens... sont de plus en plus souvent identiques. La mondialisation, c'est aussi cela : une forme de modernité qui débouche sur une perte d'identité mais une plus grande efficacité globale. A nous de le comprendre et d'en tenir compte. A nous d'en profiter pour renforcer l'impact de nos méthodes. »

Là, du coup, pas du tout d'accord. A moi de parler. C'est le moment. Encore une demi-heure de route et nous serons chez ce nouveau client qui nous demande notre intervention conjointe pour « sortir d'une phase de mutation délicate et mobiliser les équipes sur un nouveau projet ». Une demi-heure, c'est bien le minimum qu'il me faut pour tenter de préciser ma pensée et défendre mon hypothèse, totalement inverse, sur la personnalisation des modèles d'organisation.

Je me lance : « Vous imaginez un monde d'entreprises identiques, quel que soit leur statut, public ou privé, quel que soit leur métier. Vous croyez que la performance est la fille de l'organisation. Je ne crois rien de tout cela. Je crois que la performance est l'enfant naturel de la culture et de la nécessité. La culture des origines, celle du terroir, ce qu'on apprend localement, ce que chaque métier véhicule comme valeurs, comme idée de performance. La nécessité des marchés, des coûts, des contraintes. Entre les deux, chacun cherche un compromis local, provisoire, presque bricolé. La pression est forte, l'adaptation nécessaire, c'est vrai. Mais la modernité, c'est, pour moi, la fin des modèles. Le début du prêt-à-porter, du cousu-main de l'organisation. La primauté du management des hommes sur la mise en place de schémas d'organisation. Bref, l'adaptation chaque jour. Plasticité, personnalisation. A chacun son modèle. Et le management pour emballer le tout. »

Haussement d'épaules du taylorien, pour signifier quelque chose du genre « si on recommence à tenir compte des métiers, on est mort... ».

Arrivée chez le client qui commence par se présenter, plutôt fier : « Nous sommes les leaders mondiaux de la sauterelle à tige et des grenouillères. Vous voyez de quoi je parle ? »

Air ébahi de mon confrère. Non, il ne voit pas. Moi non plus, évidemment. Le client, lui, ne voit que cela. Et nous pourrions ne pas en tenir compte ?