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« Pourquoi ne pas admettre que nos lois sont mal faites ? »

SANS | publié le : 17.02.2004 |

Pour de nombreux experts, il est temps de réformer le Code du travail. Parmi eux, Philippe Langlois propose de réviser le mode d'élaboration de la législation du travail, de donner une plus grande place à la négociation collective après s'être assuré de la représentativité des acteurs, et de responsabiliser davantage les juges.

E & C : Le 21 janvier, soit une semaine après les recommandations de la commission de Virville, vous avez présenté vos réflexions sur la réforme du droit du travail, menées dans le cadre d'un groupe de travail, à l'Institut de l'entreprise. Vous pointez, en particulier, l'accumulation des textes dans le Code du travail, qui conduit à l'illisibilité de l'ensemble. Comment envisagez-vous de résoudre ce phénomène de sédimentation ?

Philippe Langlois : Une modernisation du Code du travail passe par la révision du mode d'élaboration de la législation du travail. Il serait temps, en effet, de rompre avec cette regrettable habitude qui consiste à multiplier, au gré des alternances politiques, les réformes ponctuelles. L'article L.432-1 du Code du travail, sur les compétences des comités d'entreprise, en est un exemple frappant, tout comme les textes sur les licenciements économiques. Si, à l'origine, leur principe était simple, ils se sont alourdis au fil des temps, après que les gouvernements successifs y ont laissé leur marque. Aujourd'hui, nous disposons de textes illisibles et plus ou moins contradictoires.

Pourquoi ne pas admettre que nos lois sont mal faites ? Il est nécessaire de retrouver de la cohérence. A chaque réforme, il conviendrait qu'un spécialiste du droit, en véritable technicien, intègre les nouveautés, mais en réécrivant l'ensemble de la matière concernée pour un équilibre global.

E & C : Comme la commission de Virville, vous plébiscitez la négociation collective. Quelle place souhaiteriez-vous lui voir donner ?

P. L. : Avant de donner davantage de place à cette négociation collective, il importe d'en établir les conditions. Ce qui suppose qu'elle ne puisse être engagée que par des organisations syndicales véritablement représentatives, tant du côté patronal, pour les négociations de branche et interprofessionnelles, que du côté salarial, pour l'ensemble des négociations.

La première étape consisterait à supprimer toute représentativité par affiliation. Ensuite, il s'agirait de revoir, enfin, les critères de la représentativité. Ils pourraient porter sur des effectifs significatifs, une audience suffisante et une activité réelle exercée en toute indépendance. Autant de conditions pour obtenir des négociations où la volonté des salariés s'exprimerait de manière authentique.

A partir de là, l'élargissement du champ des négociations est envisageable, après avoir opéré un découpage entre ce qui est de la compétence législative et ce qui regarde les partenaires sociaux. Prenons l'exemple de la durée du travail et ses trois principes directeurs que sont la santé et la sécurité des salariés, la rémunération et le droit au repos. On peut imaginer que ce qui fait référence à la sécurité et à la santé soit de la compétence législative. La santé des gens qui vivent en France étant, en effet, de la responsabilité de l'Etat. Quant à la rémunération de cette durée du travail, elle revient, à mon sens, aux partenaires sociaux, surtout pour ce qui concerne la définition des heures supplémentaires et leur calcul.

Enfin, le repos est un sujet plus difficile à appréhender. Il est lié au droit à la vie privée, principe pilier regardant le législateur. Mais si l'on parle de repos compensateur, il me semble que les partenaires sociaux sont les plus légitimes pour établir les règles du jeu.

Autre thématique, autre découpage : les licenciements économiques. Tout ce qui a trait à la procédure et à l'opérationnel, comme la consultation des instances représentatives, revient, selon moi, aux partenaires sociaux. Contrairement à la légitimité d'un licenciement pour motif économique, qui est une question de société, voire de politique.

E & C : Quelle place donnez-vous à la jurisprudence ?

P. L. : Il ne peut y avoir de droit sans jurisprudence créative. Aussi bien faites peuvent être une loi ou une convention collective, il y a toujours des problèmes à régler et des situations nouvelles.

Il n'empêche que l'on peut moderniser le rôle créatif de la jurisprudence en responsabilisant davantage les juges. Tout d'abord, en exigeant d'eux qu'ils motivent leurs arrêts, comme c'est le cas à la Cour de justice des communautés européennes. Les « attendu que » de la Cour de cassation ne peuvent plus suffire. Le revirement jurisprudentiel sur la faute inexcusable de l'employeur, qui est intervenu suite à une affaire sur l'amiante, n'a, ainsi, jamais été justifié. On ne sait donc pas comment les juges sont parvenus à cette nouvelle définition de la faute. Alors que nous devrions connaître le raisonnement juridique qui l'a fait passer d'une loi et de précédents jurisprudentiels à une nouvelle orientation.

Ensuite, il faudrait envisager que toutes les documentations écrites intégrées dans la procédure de la cassation, comme, par exemple, les mémoires d'avocat, les conclusions de l'avocat général et du conseiller rapporteur, soient consultables sur Internet.

Il faudrait revoir la place du secret du délibéré à propos d'affaires pour lesquelles la Cour de cassation statue en droit et non en fait, comme cela se pratique couramment dans certains pays ou dans certaines juridictions internationales.

SES LECTURES

A la recherche du temps perdu, Marcel Proust, collection Quarto de Gallimard (1999).

- Eureka Street, Robert McLiam Wilson, collection Fictives, Bourgeois éditeur (2000).

PARCOURS

Philippe Langlois est professeur agrégé de droit privé. Il enseigne depuis 1969 à Paris-10, où il a, notamment, créé et dirigé le DESS Droit et gestion de la protection sociale en France et en Europe, ainsi que le magistère de droit social.

Il est, depuis 2001, associé au sein du cabinet d'avocats Flichy & Associés et membre de la commission Modernisation du droit du travail, créée il y a près de trois ans, à l'Institut de l'entreprise.