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Ethers de glycol : une "affaire amiante" bis ?

SANS | publié le : 27.04.2004 |

Malgré leur caractère hautement toxique, les éthers de glycol continuent d'être manipulés par les salariés. Les pouvoirs publics n'ont encore fait valoir aucun principe de précaution pour interdire leur usage dans l'entreprise, alors que la justice est, aujourd'hui, saisie par d'anciens salariés contaminés.

«Avec les éthers de glycol, nous n'en sommes qu'au début des contentieux judiciaires. » Cette prédiction est celle d'André Cicolella, l'un des premiers scientifiques français, ex-employé à l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS), aujourd'hui, à l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris), à avoir alerté sur les dangers de ces solvants pour la santé des salariés.

Très largement utilisés dans les entreprises, les éthers de glycol sont présents un peu partout, dans les encres, les vernis, les adhésifs, les détergents, les colles ou encore les peintures. Inhalés ou pénétrant par voie cutanée, ils provoquent stérilité, fausses couches et malformations foetales. Selon l'enquête Sumer de 1994 (1), l'industrie française comptait alors 3,4 % de salariés (soit environ 150 000) potentiellement exposés à des éthers de glycol de la série E (2).

Immobilisme

Les premiers doutes quant à leur dangerosité ne datent pas d'hier. En 1982, déjà, l'Etat de Californie avait informé de leur caractère toxique sévère pour la reproduction. Plus de dix ans plus tard, l'Union européenne faisait de même en classant quatre de ces éthers comme également toxiques pour la reproduction (trois autres l'ont été depuis). Mais il faudra attendre 1997 pour qu'une première réglementation soit appliquée en France. Son objet ? Interdire à la vente certains éthers utilisés dans les produits à usage domestique. « Pour ce qui concerne l'usage professionnel, rien ne bouge », s'insurge Dominique Olivier, secrétaire confédéral CFDT, chargé de la santé au travail. Son organisation syndicale fait d'ailleurs partie du collectif "Ethers de glycol", avec, entre autres, la CGT, l'association des accidentés de la vie (Fnath) et la Ligue contre le cancer, qui exige, depuis 1998, leur interdiction totale. En vain. « Nous demandons aussi que des efforts de recherche soient engagés pour démontrer ou infirmer le lien entre les éthers et certains cancers, ajoute Arnaud de Broca, de la Fnath. Car, pour l'instant, il n'existe pas de consensus scientifique sur leur caractère cancérigène. En attendant, les autorités devraient au moins faire valoir le principe de précaution. »

Une très haute toxicité démontrée

Ainsi, les pouvoirs publics ne pourront pas dire qu'ils n'ont pas été prévenus, surtout depuis qu'une étude de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) a démontré, enfin, en 1999, la très haute toxicité des éthers de glycol, confirmant par là même les travaux d'André Cicolella. Il était donc temps. Cela n'empêche pas ce dernier de s'étonner : « On reconnaît le risque, on interdit certains éthers dans les produits de consommation courante. Malgré tout, on accepte que les salariés soient exposés. »

Maigre succès

Contre toute attente, un décret fait son apparition, le 1er février 2001. Il étend les champs d'application des règles particulières de prévention contre les risques d'exposition aux agents cancérogènes, aux agents mutagènes et toxiques pour la reproduction. Il rend notamment obligatoire la substitution de ces agents, mais lorsque cela est techniquement possible. Et, enfin, interdit l'affectation ou le maintien des femmes enceintes et des femmes qui allaitent à des postes les exposant à des agents avérés toxiques pour la reproduction. Maigre succès. Même si, convient André Cicolella, « une certaine substitution est en cours ». Dow et Shell, grands producteurs d'éthers, ont, ainsi, arrêté la vente de la série E.

Les avancées viendront peut-être des juges, comme ce fut le cas avec l'amiante et l'arrêt du 28 février 2002 indiquant que l'employeur, en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, « est tenu envers celui-ci à une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par le salarié du fait de produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise ».

Déjà, quelques plaintes ont été déposées et avec elles, l'impression que les choses peuvent changer. En particulier depuis que la justice a reconnu, pour la première fois, le lien « direct et certain » entre l'exposition aux éthers de glycol et la stérilité de Thierry Garofalo, employé d'IBM de 1988 à 1993 (lire article ci-dessous).

Autre affaire : celle de Claire Naud. Cette ancienne salariée d'une PME de sérigraphie a déposé une plainte en juin 2001, au tribunal de grande instance de Paris, contre son ex-employeur et trois de ses fournisseurs d'encres et de solvants. « En 1992, pendant ma grossesse, je me suis inquiétée des produits que je manipulais », explique-t-elle. Elle en informe le médecin du travail, qui adresse un courrier à son employeur, lui conseillant d'attribuer à Claire Naud un autre poste de travail. Ce dernier n'en tiendra pas compte. Quelques mois plus tard, Claire Naud donne naissance à une petite fille très lourdement handicapée. « Ce n'est que des années plus tard que j'ai appris que les éthers de glycol étaient présents dans l'encre. » Aujourd'hui, elle veut que soit reconnue la responsabilité de son employeur et celle des fournisseurs des produits dont les fiches techniques taisaient leur dangerosité pour les femmes enceintes. Pour l'heure, les audiences se succèdent, la date du jugement ne devrait plus tarder. Son avocat, Jean-Paul Teissonnière, bien connu pour avoir défendu les victimes de l'amiante, appréhende ce dossier comme un défi qui s'impose à l'institution judiciaire. D'autant que d'autres devraient suivre ; il étudie, aujourd'hui, dix autres cas qui pourraient, prochainement, faire l'objet d'une plainte. « Ce genre d'affaire, comme toutes celles liées aux maladies professionnelles, pose le problème de la preuve absolue. Contrairement à un accident du travail, l'effet n'est pas immédiatement visible. Il est donc toujours difficile d'établir le lien de cause à effet ; nous raisonnons par présomption en étudiant les éléments concrets, graves, précis et concordants d'un dossier. »

Prévention inefficace

Autre difficulté : la particularité des maladies provoquées par les éthers. « Dans le dossier de Claire Naud, nous nous plaçons dans le registre du droit du travail. Or, la victime - la fille de madame Naud - est un tiers par rapport au contrat du travail. Il nous faut donc établir un lien entre la maladie de l'enfant et l'exposition aux éthers de sa mère », explique Me Teissonnière. Peut-être est-ce plus facile dans des cas de stérilité ? « Pas forcément, ajoute l'avocat. Le système d'indemnisation des victimes reconnaît les atteintes à l'intégrité physique après une perte de capacité de gain. Mais l'infertilité ne cadre pas avec cette perte de capacité. Avec les éthers de glycol, la question de l'indemnisation va se poser dans des termes nouveaux. » Celle de la prévention aussi. « La particularité de certains éthers est d'atteindre très tôt le foetus. La prévention n'est pas efficace. Nous attendons donc beaucoup du programme Reach (enregistrement, évaluation et autorisation de substances chimiques) », signale Dominique Olivier. Ce programme, présenté dans une proposition, adoptée en octobre dernier par la Commission européenne, vise à instaurer une nouvelle politique en matière de substances chimiques en obligeant les fabricants et les importateurs à les enregistrer dans une base commune avec les informations relatives aux propriétés de ces substances, à leurs utilisations et aux moyens permettant de les manipuler en toute sécurité.

Enfin, ce type de contentieux est nouveau ; il ne peut se référer à aucune jurisprudence. Pas étonnant donc que les conclusions du prochain rapport d'expertise sur l'état de santé de l'ancien salarié d'IBM, Thierry Garofalo, promises pour le 1er juillet prochain, soient particulièrement attendues.

(1) Dares - Ministère de l'Emploi.

(2) Les éthers de glycol se divisent en deux groupes : la série E, regroupant les dérivés de l'éthylène de glycol, reconnue pour sa toxicité, et la série P, qui rassemble ceux de propylène glycol.

L'essentiel

1 Depuis les années 1980, les éthers de glycol sont considérés par les scientifiques comme toxiques pour la reproduction des individus.

2 En France, seuls les consommateurs sont réellement protégés contre les éthers, depuis qu'une réglementation interdit la commercialisation de produits à usage domestique contenant certains éthers. Aucun texte n'exclut leur usage dans la sphère professionnelle.

3 Plusieurs dossiers sont, aujourd'hui, sur le bureau des juges, tant au pénal qu'au civil. Mise en cause : la responsabilité des employeurs dans des maladies contractées par des salariés ou des enfants de salariés.

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