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Les travailleurs du savoir vont accroître leur pouvoir

SANS | publié le : 31.08.2004 |

L'entreprise vit une importante transition. Le développement des NTIC entraîne de nouvelles formes d'organisation du travail. Les "travailleurs et les professionnels du savoir" vont accroître leur influence dans cette économie de la connaissance.

E & C : Vous venez de publier un livre intitulé Les nouveaux travailleurs du savoir*. Quelles sont les spécificités de leur activité ?

Jean-Pierre Bouchez : J'ai réalisé que ce terme était de plus en plus utilisé, alors que l'on ne savait pas ce qu'il recouvrait, tant son acception pouvait être large. Nous sommes face à une véritable nébuleuse. Il n'y a rien de commun, en effet, entre ceux que l'on qualifie parfois d'intellos précaires, comme les traducteurs, les photographes, etc., qui bouclent souvent leur fin de mois avec difficulté, et les grands consultants ou experts internationaux qui ne fréquentent que les dirigeants de firmes mondiales. Pourtant, tous vendent des prestations à dominante intellectuelle auprès de clients.

Je me suis donc efforcé de proposer une grille de lecture permettant d'opérer un repérage reposant sur la nature dominante de l'activité. Une première distinction structurante doit être d'abord opérée entre les travailleurs du savoir et les professionnels du savoir.

Les travailleurs du savoir réalisent des activités principalement centrées autour du traitement de l'information, alors que les professionnels du savoir manipulent le plus souvent des idées et des concepts.

Les travailleurs du savoir, en somme, réalisent des prestations à contenu intellectuel, mais relativement banalisées, voire routinières, ce qui, naturellement, n'a rien de péjoratif. En cela, ils appliquent du savoir, dans le cadre d'un champ d'activité dominant qui se situe soit dans le registre de la copie ou de la reproduction (en appliquant, par exemple, des procédures strictes), ou dans celui de l'adaptation et de la modification (en appliquant plutôt des processus pour atteindre un référentiel). Dans ce dernier cas, on trouve, par exemple, des consultants qui "vendent des solutions" et des formateurs qui conduisent des apprenants vers l'atteinte d'objectifs pédagogiques prédéterminés.

E & C : Comment situez-vous, dans ce cadre, les "professionnels" du savoir ?

J.-P. B. : Avec les professionnels du savoir, nous opérons un saut conceptuel et qualitatif significatif, puisqu'ils effectuent un travail de nature plus complexe, pouvant conduire à créer du savoir. Il y a donc un changement d'état. Leur champ d'investigation s'inscrit, ainsi, dans des activités dites de transformation ou d'innovation. Les activités de transformation mobilisent des compétences expertes combinées à des compétences sociales et relationnelles.

A titre d'illustration, on trouvera, par exemple, la figure des banquiers et des avocats d'affaires, qui manipulent des dossiers sensibles et complexes (fusions/acquisitions), ou celle des experts dans les grands groupes.

Les activités d'innovation, qui se combinent d'ailleurs souvent avec celles de transformation, s'actualisent à travers deux postures particulièrement représentatives : le modèle du designer, qui peut se décliner à travers les activités du designer industriel, du créateur de mode, du créatif dans la publicité, de l'architecte, etc.

E & C : Y a-t-il un risque de voir se développer un clivage entre "travailleurs" et "professionnels" du savoir ?

J.-P. B. : Cette polarisation s'observe à travers un double risque. Il y a, d'abord, le risque de la dérive méthodologique que l'on peut observer, par exemple, chez certains consultants qui se situent dans la reproduction durable des mêmes discours, des mêmes méthodologies, avec un regard critique de plus en plus lointain. Il faut toujours regarder avec prudence le formatage des prestations intellectuelles.

A l'autre extrémité, il faut prêter attention au risque possible de dérives liées à la fabrication et à la vente de rêves ou d'illusions. La réputation s'inscrit dans la durée et non sur "un coup". Je pense, toutefois, que ces risques seront de mieux en mieux maîtrisés, dans la mesure où les clients des travailleurs et des professionnels du savoir se professionnalisent et deviennent de plus en plus vigilants.

E & C : A l'avenir, quelle place pourront prendre ces deux intervenants ?

J.-P. B. : On peut avoir recours à la métaphore musicale pour répondre à votre question en ne faisant que des hypothèses, par nature fragiles. Les bureaucraties professionnelles qui emploient de nombreux travailleurs du savoir, que l'on peut ainsi comparer à des orchestres symphoniques, vont, sans doute, se développer et tirer, en quelque sorte, la croissance à travers le développement des technologies de l'information.

C'est ce qui ressort de l'enquête du Bureau of Labour Statistic (2001) sur l'évolution des métiers aux Etats-Unis. Les "boutiques" et les agences identitaires, qui emploient des professionnels et des créatifs, évoquent plutôt des formations à taille réduite, comme l'orchestre de chambre ou la jam session. Elles auront leur place à condition qu'elles gardent une réelle autonomie si elle sont absorbées dans les grands groupes.

Enfin, les solistes auront toujours leur place, pourvu que leur talent ne soit pas usurpé...

* Editions d'Organisation.

SES LECTURES

Knowledge work and knowledge-intensive firms, Mats Alvesson, Oxford, 2004.

- Moon Palace, Paul Auster, Actes Sud, 1993.

PARCOURS

Jean-Pierre Bouchez a été DRH pour de grandes entreprises (Thalès, Nielsen, Giat Industries). Il exerce depuis une dizaine d'années des activités de consultant en management et développement des ressources humaines.

Il est également directeur d'Interface Recherche, association fondée en 1996, qui conduit des recherches en matière de ressources humaines, en partenariat avec des chercheurs et des DRH, donnant lieu à des publications et à des recommandations.

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