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« La «flexécurité», un concept en hausse en Europe »

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 19.10.2004 | Violette Queuniet

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« La «flexécurité», un concept en hausse en Europe »

Crédit photo Violette Queuniet

Concilier flexibilité pour les entreprises et sécurité pour les salariés est possible, voire érigé en modèle dans les politiques sociales de certains pays européens. Le concept de «flexécurité» influence de plus en plus la stratégie de l'emploi de l'Union européenne.

E & C : Les entreprises ont besoin de flexibilité pour faire face aux irrégularités des carnets de commande, les salariés ont besoin de sécurité pour assurer leur avenir. Comment concilier ces deux demandes ?

Brigitte Rorive : Il faut d'abord souligner que la flexibilité n'est pas seulement demandée par les entreprises, mais aussi par les travailleurs. Ils souhaitent des arrangements individuels pour mieux concilier les temps de vie. Quant aux entreprises, elles ont également besoin de sécuriser les compétences, c'est-à-dire de fidéliser les employés. C'est important de le souligner pour comprendre que l'on n'oppose pas nécessairement deux intérêts contradictoires : flexibilité pour les entreprises, sécurité pour les employés. En Europe, deux pays sont particulièrement avancés sur la conciliation de la sécurité et de la flexibilité : les Pays-Bas et le Danemark. Un terme a même été inventé, la «flexécurité» (flexicurity, en anglais), pour désigner cette politique. Il s'agit à la fois de permettre une plus grande flexibilité à l'activité économique et, en même temps, de la compenser par des mesures de sécurité. Une politique de «flexécurité» intègre les deux dimensions, elle est synchronisée et proactive, les Hollandais insistent beaucoup là-dessus. Il ne s'agit pas de trouver des parades à un marché du travail devenu de plus en plus flexible. Il s'agit d'anticiper cette flexibilité en la compensant, d'avance, par une nouvelle protection du salarié.

Autre originalité du concept : selon le type de flexibilité visée, la réponse en termes de sécurité ne sera pas la même. La flexibilité peut être interne ou externe à l'entreprise, de nature quantitative ou qualitative : recours à l'intérim, à la réduction du temps de travail, à des horaires atypiques, changement de l'organisation du travail, mise en réseau d'entreprises, etc. De la même façon qu'il y a plusieurs types de flexibilité, il y a aussi plusieurs façons de concevoir la sécurité. On peut faire porter le centre de gravité de la sécurité sur le contrat de travail, sur le poste occupé, sur l'employabilité ou encore sur le revenu.

E & C : Pouvez-vous donner des exemples de «flexécurité» aux Pays-Bas et au Danemark ?

B. R. : Aux Pays-Bas, à la fin des années 1990, suite à des travaux importants dans lesquels ont été très fortement impliqués les partenaires sociaux, a été promulguée une loi sur la «flexécurité». Elle a permis le développement de nouvelles formes d'emploi flexibles, tout en leur apportant une protection. Par exemple, les on call workers (gens travaillant sur appel) doivent travailler un minimum de temps ; les travailleurs intérimaires, au bout de 24 semaines, sont considérés comme salariés en CDI de l'entreprise de travail temporaire. En contrepartie, le droit du travail a été fortement assoupli. Il faut savoir qu'aux Pays-Bas, jusqu'au début des années 1990, les entreprises qui voulaient mettre fin à un contrat de travail devaient demander une autorisation à l'organisme équivalent de l'ANPE ou faire une requête auprès du tribunal du travail. C'était une procédure extrêmement lourde qui freinait, notamment, le développement du travail intérimaire.

Outre ces types de flexibilité quantitative, les Pays-Bas ont développé de la flexibilité qualitative. C'est le cas avec la mise en place de pôles de main-d'oeuvre : des entreprises qui ont des contraintes de flexibilité très importantes ne leur permettant pas d'assurer à elles seules un emploi à temps plein à durée indéterminée, et présentes sur un territoire donné, mettent en place une structure intermédiaire qui engage des travailleurs en CDI à temps plein. Les salariés, en fonction des besoins des entreprises membres de ce pôle, travaillent dans l'une ou l'autre d'entre elles. C'est le même principe que dans un groupement d'employeurs.

Au Danemark, un certain nombre de lois ont été assouplies pour faciliter les contrats à court terme. En compensation, ont été mis en place une politique sur la sécurité du revenu - les personnes qui perdent leur emploi subissent peu de baisses de revenu - et un dispositif très innovant pour retrouver un emploi, associant formation, réintégration, médiation.

E & C : Ce concept de «flexécurité» a-t-il une audience en Europe et influence-t-il le modèle social européen ?

B. R. : La stratégie sociale européenne est très clairement fondée sur la réconciliation ou, en tout cas, l'équilibre entre la flexibilité et la sécurité. C'est très net, notamment dans les textes issus du sommet de Lisbonne, et cette stratégie participe, en effet, du modèle européen. Il y a, d'ailleurs, de plus en plus de groupes d'experts, de conférences, de rencontres sur ce sujet. Des réflexions sont conduites pour savoir à quelles conditions transférer, par exemple, les pôles de main-d'oeuvre hollandais. Le Lentic*, associé à l'IAE de Lille, a d'ailleurs déposé un projet européen pour mettre en place, dans les régions de Liège et de Lille, une plate-forme de création et de développement d'emplois qui s'en inspire.

* Laboratoire d'étude des nouvelles technologies, de l'innovation et du changement, de l'université de Liège.

Flexicurity : conceptual issue and political implementation in Europe, M. Jepsen et U. Klamer, in Transfer, revue de l'Institut syndical européen, Vol. 10, n° 2, été 2004.

Les flexibilités en Europe : pratiques, décisions, négociations, M. de Nanteuil-Miribel, E. Léonard, M. Shots, L. Taskin, Presse universitaire de Louvain, dossier 22, mars 2004.

Au-delà de l'emploi, Alain Supiot (sous la direction de), Rapport pour la Commission européenne, Flammarion, 1999.

parcours

Brigitte Rorive a travaillé pour diverses sociétés et centres de recherche, en Belgique et au Canada, avant de rejoindre le Lentic (Laboratoire d'étude des nouvelles technologies, de l'innovation et du changement), de l'université de Liège, qu'elle dirige depuis janvier 2004.

Elle a dirigé le projet européen Re-Lier sur le dialogue social dans les nouvelles formes d'entreprise et de travail. Elle intervient également en tant qu'experte dans des projets de formation et de coopération sur ces questions.

Elle réalise, actuellement, une thèse de doctorat en gestion sur les nouvelles formes d'organisation.

Auteur

  • Violette Queuniet