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« La logique de performance va dynamiser la GRH publique »

Demain | Aller plus loin avec | publié le : 02.11.2004 | Sandrine Franchet

A partir du 1er janvier 2006, l'application de la Loi organique relative aux lois de finances (Lolf) modifiera en profondeur les modalités de vote du budget de l'Etat. Mais, elle suppose d'instaurer une gestion dynamique des carrières des fonctionnaires.

E & C : En quoi la réforme budgétaire instaurée par la Lolf peut-elle impacter la gestion des ressources humaines au sein de la fonction publique française ?

Yves Chevalier : La Lolf est une réforme de grande ampleur : elle instaure une nouvelle «constitution financière» pour l'Etat (le système actuel datant de 1959). A partir du 1er janvier 2006, les parlementaires ne voteront plus les autorisations de dépenses selon une logique de moyens attribués à chaque ministère : ils les répartiront par missions (enseignement scolaire, sécurité, culture, etc.) et par programmes, en fixant des objectifs à ces politiques publiques, et en mesurant leurs résultats grâce à des indicateurs. Quant aux crédits de rémunération de fonctionnaires, aujourd'hui votés par corps et par grades, ils seront remplacés par une masse salariale allouée à chaque programme. Les responsables de programme pourront gérer cette masse salariale selon leurs besoins (sachant qu'elle constitue un plafond de dépenses). Chaque année, ils devront présenter un projet de performance pour l'année à venir (objectifs et indicateurs de résultats), puis un rapport de performance (mesure des résultats). Le débat et le vote sur la loi de finances de l'année écoulée précéderont le vote des crédits pour l'année suivante, crédits dont la justification sera examinée dès le premier euro. C'est cette logique de performance, qui aura un impact fort sur la gestion des ressources humaines publiques.

E & C : Quels sont, plus précisément, les procédures ou outils qui évolueront à partir du 1er janvier 2006 ?

Y. C. : En réalité, la mise en oeuvre de cette nouvelle GRH relève d'un processus progressif de gestion du changement : on n'observera pas de révolution dans les pratiques de gestion au 1er janvier 2006, d'autant plus que nous ne partons pas de zéro !

Pour commencer, la Lolf implique de discuter, chaque année, dans les services participant à un programme donné, des objectifs, des moyens alloués et de l'évaluation des résultats : cela représente un enjeu considérable de management. Les cadres seront, par ailleurs, plus attentifs à l'adéquation entre les profils personnels et les postes à pourvoir. Cela suppose, pour l'Administration, de faire évoluer ses process de recrutement, de formation et de mobilité. Par exemple, la conception des concours devra permettre de mieux évaluer les motivations professionnelles et les capacités relationnelles.

Les directeurs de programme rechercheront également des marges de manoeuvre, en matière d'avancement ou de rémunération. Les ministères de l'Intérieur et des Finances expérimentent déjà des dispositifs de rémunération aux résultats, individuelle pour les cadres et collective pour les autres agents.

Mais, outre le fait que ce type de rémunération au mérite doit s'appuyer sur des procédures peu contestables, il doit aussi s'intégrer dans un système plus global de reconnaissance. Nous devons, en particulier, travailler sur les valeurs de service public, qui constituent un élément essentiel de motivation pour les fonctionnaires.

E & C : Ce programme ressemble fort à une révolution culturelle : les fonctionnaires sont-ils prêts à l'accepter ?

Y. C. : Une exigence accrue de qualité du service rendu et d'efficacité économique pèsera, en effet, sur l'Administration. La logique de performance, sous-tendue par la Lolf, est parfois perçue avec une certaine méfiance par les agents. Mais je rappelle régulièrement que, dans l'Administration, la définition de la performance n'est pas celle qui prévaut dans une entreprise commerciale : il ne s'agit pas de mesurer les résultats en termes de marge. La gestion par la performance, qui signifie que l'Administration s'expliquera sur le degré de réalisation des objectifs fixés par la représentation nationale, va redonner du sens à l'action des fonctionnaires, et la valoriser auprès de l'opinion publique.

Quant aux organisations syndicales, elles veulent légitimement s'assurer que cette réforme n'entraînera aucun arbitraire dans la gestion des fonctionnaires. Mais la Lolf n'est, en aucun cas, un démembrement de l'Etat ! La liberté des gestionnaires de programme ne pourra s'exercer sans règles.

En outre, pour être efficace, il sera nécessaire de conserver un minimum de gestion globale des fonctionnaires. De ce fait, la mission des DRH de ministères va évoluer : ils joueront, à la fois, le rôle de prestataire de services et celui de régulateur. Quant à la DGAFP, elle continuera d'animer leur réseau, afin de faire émerger les problématiques, de dégager un consensus sur les bonnes pratiques minimales, et de coordonner les évolutions statutaires.

E & C : Faut-il, comme le suggérait récemment Renaud Dutreil, ministre de la Fonction publique, réformer les corps pour tirer pleinement partie de la Lolf ?

Y. C. : L'extrême segmentation de la population des fonctionnaires, en plusieurs centaines de corps, dont certains n'ont même pas 100 personnes, est génératrice de complexité et de coûts. Elle ne permet pas la mise en place d'une véritable GRH. Elle freine également la déconcentration, dans la mesure où l'on ne peut pas déléguer l'avancement de grades à un échelon local s'il ne regroupe pas un minimum de 50 personnes d'un même corps. Des cadres de gestion statutaire plus vastes que les corps actuels permettraient des parcours professionnels plus faciles, à la fois plus motivants pour les fonctionnaires et correspondant mieux aux besoins fonctionnels des services. Tel est le sens d'une réforme dont l'ambition est de dynamiser la gestion de carrière dans la fonction publique.

(1) Direction générale de l'administration et de la fonction publique.

ses lectures

Trois discours sur la condition des grands, de Blaise Pascal, in Pensées sur la politique, Blaise Pascal, Rivages Poche, 126 pages, 1992.

Qu'est-ce que la philosophie antique ?, de Pierre Hadot, Gallimard, collection Folio Essais, 461 pages, 1995.

Le management par les valeurs (2de édition), de Jean-François Claude, éditions Liaisons, 256 pages, 2003.

parcours

Yves Chevalier a commencé sa carrière comme instituteur, avant de passer le concours interne de l'ENA, dont il est sorti en 1989.

Après avoir été magistrat à la Chambre régionale des comptes d'Orléans pendant six ans, il a intégré, comme administrateur civil, la direction du Budget, avant de devenir, en 1997, conseiller technique du ministre de la Réforme de l'Etat, Emile Zuccarelli.

A la sous-direction des statuts et de la rémunération de la DGAFP, il a ensuite travaillé sur la réforme des retraites des fonctionnaires. Depuis novembre 2003, il est chef de service, en charge de la réforme de la GRH, et plus particulièrement du dossier Lolf et GRH.

Auteur

  • Sandrine Franchet