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Les centres d'appels encore loin du compte

Enquête | publié le : 14.12.2004 | Jean-François Rio

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Les centres d'appels encore loin du compte

Crédit photo Jean-François Rio

En dépit d'efforts évidents portant, notamment, sur l'aménagement des postes et le confort matériel, les centres d'appels, en particulier les «externalisés», peinent encore à proposer à leurs salariés de bonnes conditions de travail.

«Franchement, préférez-vous travailler dans la restauration en servant les plats 45 heures par semaine ou répondre au téléphone en bénéficiant de vos RTT ? Bien sûr que le métier de téléopérateur est source de stress, mais faut-il pour autant tirer à boulets rouges sur les centres d'appels ? Dans mon entreprise, j'essaye de rendre le travail plus agréable en variant les missions, en proposant de la polyvalence, en offrant un meilleur confort matériel » Gérante d'Aviva, un call center de 45 salariés basé à Guéret, dans la Creuse, Agnès Weissberg ne supporte plus que son métier soit traîné dans la boue. Un sentiment que partagent aujourd'hui de nombreux dirigeants de centres de contacts.

Ainsi, les centres d'appels ne seraient donc plus les nouvelles usines du tertiaire ? La gestion des ressources humaines y aurait acquis ses lettres de noblesse ? Les superviseurs, ces contremaîtres des temps modernes, se seraient mués en véritables managers ? Et les téléopérateurs, cette main-d'oeuvre bon marché, seraient des salariés comme les autres, à qui l'on reconnaît le droit de réclamer de dignes conditions de travail ? Rien n'est moins sûr.

Respectabilité

Mais une chose est certaine : ce secteur, qui rassemble quelque 200 000 actifs et qui est un des rares à créer des emplois en France, souhaite s'acheter une respectabilité.

Le gouvernement Raffarin, inquiet de la recrudescence des délocalisations dans les pays low cost, a pris la balle au bond. Après le coup de semonce provoqué par Nicolas Sarkozy, souhaitant imposer, par arrêté, la localisation des appels, les organisations professionnelles du secteur ont été illico presto conviées au ministère de l'Emploi (voir encadré p. 14).

Label social

Les protagonistes : le SMT (Syndicat du marketing téléphonique des centres d'appels et des médias électroniques), seul syndicat patronal reconnu représentatif par les pouvoirs publics et, à ce titre, signataire de la convention collective des prestataires de services dont relèvent les «outsourceurs» (centres d'appels externalisés) ; et l'AFRC (Association française des centres de relation clientèle), un lobby qui rassemble à la fois des entreprises de tout secteur, disposant de plates-formes intégrées, et des prestataires. L'enjeu de ces rencontres ? Redorer le blason de la profession en créant une sorte de label social et en communiquant sur les formations et leurs débouchés. Et, pour la partie patronale, obtenir au passage des assouplissements sur le travail le dimanche. Des mesures qui seraient susceptibles, selon le SMT, de prévenir les délocalisations et de mieux prendre en compte les fluctuations de l'activité.

En attendant le résultat de ces discussions, qui se sont déroulées sans les syndicats de salariés, les centres d'appels ont, sur le terrain, entamé leur mutation.

Conditions de travail

« Les entreprises se sont professionnalisées », observe Eric Dadian, président de l'AFRC. Du coup, les conditions de travail sont davantage prises en compte par les employeurs. Mais les progrès réalisés restent bien souvent circonscrits aux conditions matérielles du travail et à son environnement. Les plateaux «poulaillers» d'hier ont, en effet, presque tous disparu, laissant place à d'agréables open spaces. « Les efforts consentis par les entreprises en matière d'ergonomie du poste du travail et de lutte contre les nuisances sonores sont indéniables », affirme Denise Bengioar, présidente du SMT et Pdg d'Addibell, un outsourceur de 35 personnes situé en région parisienne.

Nouveau visage

Généralisation des écrans plats qui diminuent la fatigue visuelle, réflexion sur l'aménagement des postes, recours aux ergonomes, moquettes épaisses et plafonds absorbants pour atténuer le niveau de décibels, espaces de décompression pour les plus vertueux... Les call centers présentent, il est vrai, un nouveau visage. « Les conditions matérielles du travail sont aujourd'hui normées. Les centres d'appels à la traîne sont montrés du doigt », avance Kalia Delmas, en charge, chez Adia, du marché de l'intérim de la relation à distance. Craignant une prochaine pénurie de main-d'oeuvre et confrontées à des populations excessivement volatiles - dans certains bassins d'emploi, les taux de turn-over peuvent dépasser les 50 % -, les entreprises y voient aussi leur intérêt. « Ce n'est pas le fait du hasard si les centres d'appels améliorent les conditions de travail. Dans certaines régions, ils commencent à rencontrer de gros problèmes de recrutement », indique Denis Berard, chargé de mission à l'Anact.

A ce petit jeu, les plates-formes intégrées détiennent les meilleures cartes. Captant 80 % des emplois, celles-ci offrent aux salariés de bien meilleures conditions de travail que les outsourceurs. Les conventions collectives y sont, par exemple, nettement plus favorables pour les salariés. Alors que « la convention collective des prestataires de services n'apporte rien de plus que le Code du travail », assène Annick Roy, secrétaire fédérale à la fédération CFDT des services. Les moyens financiers y sont aussi plus importants et les téléopérateurs peuvent rêver d'évolution professionnelle. « C'est vrai qu'en matière de conditions de travail, les outsourceurs ont encore des progrès à faire », admet Eric Dadian. « Ils affichent des taux de marge tellement faibles qu'il est difficile d'investir dans les conditions de travail », ajoute le responsable d'un centre de contacts adossé à un opérateur de téléphonie mobile.

Réponse nuancée

Alors, heureux les salariés des plates-formes intégrées ? Là encore, la réponse mérite d'être nuancée. Guislaine Coineaud, de la Fédération CGT des PTT, dénonce, par exemple, dans les centres d'appels France Télécom, un système de management autoritaire, la pratique des écoutes sauvages, la présence de mouchards embusqués dans les PC pour traquer la productivité des salariés, le manque d'autonomie des téléopérateurs, leur infantilisation. Des dérives qui se traduisent, selon elle, par des prises abusives de médicaments et une progression des arrêts de travail.

Dans le Nord-Pas-de-Calais, Guy Fages, un élu CFDT, a diligenté de nombreuses enquêtes de terrain auprès des salariés de centres d'appels. Son diagnostic est sans appel : « Le fond du problème, c'est la qualité du management. C'est le règne de l'amateurisme. »

Stress

« Le superviseur subit une très forte pression de sa direction sans bénéficier du moindre accompagnement. Du coup, il reporte son stress sur les salariés », soulève Katia Delmas. En 2002, l'étude de la CFDT sur «Le travail en questions» révélait ainsi que 48 % des problèmes de santé dans les centres d'appels étaient liés au stress et à l'anxiété. Egalement en cause : la flexibilité des horaires, et des temps de pause et de temporisation (respiration entre deux appels) insuffisants. Autre fait nouveau : « Le chantage à la délocalisation est de plus en plus utilisé pour entretenir un climat de terreur », soutient Anne Leclerc, déléguée syndicale CFDT chez Téléperformance, un des leaders du secteur en France avec ses 1 800 collaborateurs.

L'essentiel

1 Les organisations professionnelles des centres d'appels et le ministère de l'Emploi discutent de la mise en place d'un label social.

2 Les conditions matérielles du travail sont davantage prises en compte par les employeurs.

3 Pour le reste, les problèmes demeurent. Stress, manque de reconnaissance et absence d'évolution professionnelle sont encore le lot commun des téléopérateurs.

Un secteur à plusieurs facettes

L'univers des centres d'appels est coupé en deux. D'un côté, les call centers internalisés, de l'autre, les centres d'appels externalisés ou «outsourceurs».

Les premiers concernent 80 % des salariés en France, avec une prédominance des secteurs banque/assurance, informatique et télécoms. Les salariés relèvent alors de la convention collective de la branche à laquelle leur entreprise est rattachée.

Les seconds sont des entreprises gérant la relation client pour le compte d'un donneur d'ordre.

La convention collective en vigueur est celle des prestataires de services du secteur tertiaire, signée en 1999 par la CGC et la CFTC, et par le syndicat patronal SMT.

Les missions traitées sont, en revanche, semblables dans les centres de contacts externalisés et les internalisés. La réception d'appels (accueil, information, renseignement, hot line) occupe encore 75 % des tâches. « Les appels sortants (prospection, télémarketing, qualification de fichiers) sont généralement utilisés pour lisser la charge de travail et occuper les périodes creuses », souligne le cabinet Cesmo Consulting.

Plan Borloo : vers le mieux-disant social ?

Les centres d'appels auraient obtenu du gouvernement un accord sur la formation, la création d'un label social et l'assouplissement du travail du dimanche.

Le ministère de l'Emploi et de la Cohésion sociale devait annoncer, ce 14 décembre, un plan d'action en faveur des centres d'appels. Issu des recommandations d'un groupe de travail, composé uniquement de représentants des employeurs du secteur - le syndicat patronal SMT (Syndicat du marketing téléphonique des centres d'appels et des médias électroniques) et l'Association française des centres de relation clientèle -, ce plan vise à améliorer l'image des centres d'appels français, leur compétitivité, et à créer des emplois.

Pour y arriver, le gouvernement devait annoncer trois types de mesure. Un accord-cadre sur la formation devait être signé entre le ministère, les services publics de l'emploi et l'Afpa d'une part, et les employeurs d'autre part. Ces derniers s'engageraient sur des créations d'emploi, et en contrepartie, l'Administration mettrait à leur disposition des moyens en faveur de la formation et du recrutement.

La création d'un label social devait, également, être annoncée. Délivré à des entreprises vertueuses en matière de formation, d'amélioration des conditions de travail et de pratiques sociales, il devrait aussi devenir un critère d'attribution des marchés publics. L'idée étant que les donneurs d'ordre publics donnent le «la» vers le mieux-disant social.

Enfin, le ministère devait s'engager sur un assouplissement du travail du dimanche, conformément à une demande insistante de la profession.

Auteur

  • Jean-François Rio