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Les Pratiques

L'espoir de Scop liquidé

Les Pratiques | Expériences & Outils | publié le : 18.01.2005 | T. B.

À Tourcoing (59), une partie des salariés de la brasserie Terken ont remué ciel et terre pour reprendre l'entreprise par l'intermédiaire d'une coopérative. Mais les obstacles juridiques et techniques se sont accumulés sur fond de polémique politique.

«On ne peut plus revenir en arrière. » Ce 12 octobre 2004, l'émotion est vive dans la brasserie Terken, à Tourcoing (59), où une bonne partie des anciens salariés sont venus assister à la vente aux enchères des cuves de fermentation et autres équipements de production de leur ancienne entreprise. Les regards sont d'autant plus tristes que le démantèlement de la brasserie tourquenoise ravive un fort sentiment d'échec. Car, avant la liquidation, une poignée d'entre eux (35, puis 25) avaient vécu six mois d'euphorie en nourrissant l'ambition de constituer une société de coopérative ouvrière (Scop) pour reprendre l'entreprise et préserver une cinquantaine d'emplois.

Engouement pour le projet

Le projet est annoncé dès le 24 décembre 2002, alors que la brasserie se déclare en cessation de paiement. S'engageant dans une véritable course contre la montre, les salariés ont alors un mois pour ficeler leur offre de reprise de l'activité, rechercher des partenaires industriels ou financiers, et obtenir d'éventuelles aides publiques. Une tâche d'autant plus délicate que jamais les brasseurs n'ont été en possession des comptes de l'entreprise, reprise un an plus tôt par Covinor, une filiale du hollandais Farex.

Dans une région dévastée sur le plan de l'emploi, l'initiative suscite immédiatement l'engouement du public et des collectivités locales. Fin février, plusieurs milliers de personnes visitent la brasserie, souscrivant au passage une participation de 5 euros pour aider les ouvriers à constituer leur coopérative. Sollicitées, les villes environnantes (Tourcoing, Roubaix, Wattrelos...) et la région se disent également prêtes à soutenir financièrement le projet. Malgré le contexte électoral, une table ronde réunissant des élus de tous bords se tient, mi-mars, pour étudier les modalités pratiques d'un tel engagement.

Soutien financier

A la fin mars, le dossier semble bien avancé. Trente-cinq ex-salariés s'engagent à verser tout ou partie de leur prime de licenciement dans la future coopérative, à hauteur de 172 000 euros. Dans le cadre du dispositif Eden (aides à la création d'emplois par les chômeurs), le ministère du Travail promet, pour sa part, une aide de 75 000 euros. Avec les 12 000 euros de souscription, pas moins de 257 000 euros sont réunis sur les 400 000 nécessaires à la constitution du capital de la Scop. Un reliquat que les salariés se font fort de trouver auprès des établissements financiers. Convaincus que le capital de départ n'est plus un problème, les porteurs du projet se concentrent sur les aspects commerciaux, en essayant, notamment, de convaincre les distributeurs de continuer à leur faire confiance.

Mais les fonds recueillis resteront trop longtemps virtuels. Au fur et à mesure que les jours passent, l'impatience monte chez les Terken, qui cherchent, par tous les moyens, à obtenir confirmation écrite des engagements de l'Etat au titre de la «création d'entreprise» - et non «poursuite de l'activité » - pour bénéficier des allègements de charges dans le cadre de la zone franche urbaine.

Entre les deux tours des élections régionales, les Terken comprennent que leurs demandes sont gelées, dans l'attente d'un remaniement ministériel. Sitôt le nouveau gouvernement composé, ils en appellent directement à Jean-Louis Borloo et à Nicolas Sarkozy, représentant les deux ministères habilités à débloquer les aides à la création d'entreprise et l'exonération des taxes douanières sur l'alcool.

Changement ministériel

Mais, à la mi-avril, Bercy fait savoir que les collectivités territoriales et les communes ne peuvent pas participer au capital d'entreprises privées, hormis les sociétés d'économie mixte. Le ministère de l'Economie et des Finances enfonce le clou en précisant qu'il n'est pas compétent à statuer sur les aides réclamées. La communauté urbaine de la métropole de Lille ayant reçu délégation en la matière, depuis 2002. Les subventions votées par les différents conseils municipaux sont donc invalidées. Et le financement toujours loin d'être bouclé... Pendant que les responsables politiques locaux alertent les grandes collectivités, les banques s'inquiètent du versement de ces subventions. Le tribunal de commerce accorde un délai supplémentaire permettant d'avoir confirmation, fin juin, de la participation de la région, qui s'engage à financer 20 % des investissements.

Désistements

Le second coup dur survient alors que le dossier est ficelé à 99 % et que l'aventure semble, enfin, pouvoir débuter. Au moment où les 25 futurs actionnaires de la Scop apportent leur chèque, l'ancien cadre appelé à occuper les fonctions de directeur général de l'entreprise jette l'éponge, avec cinq autres cadres.

Pour faire face à plusieurs mois de chômage, certains ont entamé leurs économies et il manque 30 000 euros d'apport, alors même que les banques réclament le versement de l'intégralité du capital au moment de la constitution de l'entreprise. « Une trahison de l'intérieur », diront certains. « Une décision raisonnable pour un projet risqué, nécessitant le versement des indemnités et un renoncement aux droits au chômage », répliqueront les autres. « C'est comme une nouvelle mort », s'exclamera un ancien brasseur, au terme de six mois d'acharnement. Après un ultime passage au tribunal de commerce, Terken sera définitivement liquidée le 2 juillet 2004. La page est définitivement tournée.

Auteur

  • T. B.